Le 29 janvier, France 3 diffusera le téléfilm de Pierre Aknine consacré à l’affaire Boulin, intitulé " Crime d’État" qui accrédite la thèse du règlement de comptes. Le film sera projeté ce soir en avant-première à Libourne
L'affaire Boulin
En 1979, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, Robert Boulin est ministre du Travail et de la Participation du troisième gouvernement Raymond Barre. Selon certains gaullistes de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing songe à nommer un Premier ministre membre du RPR pour réduire l’influence de Jacques Chirac. Les noms de Robert Boulin, Joël Le Theule ou encore Alain Peyrefi tte sont évoqués.
À l’automne 1979, des lettres anonymes parviennent aux sièges de plusieurs journaux. Elles accusent Robert Boulin d’avoir acquis de manière illégale une garrigue à Ramatuelle (Var), sur laquelle il aurait fait bâtir une résidence secondaire.
Le journal d’extrême droite Minute est le premier à attaquer vigoureusement le ministre. Boulin choisit de riposter, déclarant au micro d’Europe 1 le dimanche 21 octobre : « Que voulez-vous que je réponde ? J’ai l’âme et la conscience tranquilles et j’ai été exemplaire. Peut-être encore plus que vous ne le pensez, parce qu’il y a des choses que je ne peux pas dire ici. »
Le 30 octobre 1979 à 8 h 40, le corps de Robert Boulin est retrouvé dans l’étang Rompu, au coeur de la forêt de Rambouillet (Yvelines). Son cadavre se trouve à cinq mètres de la berge, et gît dans un endroit où la profondeur est de cinquante centimètres.
La mort est tout de suite présentée comme un suicide du fait d’une dépression causée par l’affaire de Ramatuelle.
Le SRPJ de Versailles, chargé de l’enquête, conclut d’abord au suicide par noyade après absorption de barbituriques, puis, dans un deuxième temps, après ingestion de Valium. La publication des articles de presse, après la réception de lettres anonymes, aurait rendu Robert Boulin dépressif. Il aurait alors ingéré une grande quantité de Valium, pénétré dans l’étang et se serait noyé.
Retour sur l'affaire avec les archives de l'Ina
Entretien avec l'acteur François Berléand qui joue le rôle de Robert Boulin
Vous jouez le rôle de Robert Boulin, ministre du Travail et de la Participation du gouvernement Barre, retrouvé mort en octobre 1979 dans un étang de la forêt de Rambouillet.
C’est l’une des affaires les plus sombres de la Ve République, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Cette histoire, je m’en souviens parfaitement, a fait beaucoup de bruit. C’était une tempête dans un verre d’eau. La raison d’État est plus forte que tout – « raison » à mettre, bien évidemment, entre guillemets – et a mis à mort un ministre dans l'exercice de ses fonctions.
Une raison d’État qui est un « crime d’État ». Le titre du film ne laisse aucune ambiguïté sur l’affaire Boulin… Il s'agirait bien d’un assassinat.
Oui, je me souviens même du titre de Libération : « Dans 50 cm d’eau », ou comment se noyer dans un verre d'eau, avec le visage tuméfié ; la thèse du suicide paraissait absolument hors de propos. Pour moi, à l’époque, il était évident qu’il s’agissait d’un assassinat… Pour quels motifs ? Le mobile est évidemment flou. On ne le connaît pas vraiment… Le film de Pierre s’intéresse tout particulièrement à l’entourage familial… la famille, qui sait forcément plus de choses, n’a jamais cru à la thèse du suicide.
Pour vous imprégner du personnage, avez-vous lu le livre de Fabienne Boulin-Burgeat, la fille de Robert Boulin ?
Je n’ai pas lu Le Dormeur du Val, le scénario se suffisait à lui-même. Crime d’État est avant tout une fiction qui se permet quelques libertés, tout en s’approchant bien sûr de la vérité…
Quelles sont les caractéristiques du personnage de Robert Boulin ?
C’est quelqu’un qui écoute, qui est aux abois. Robert Boulin n’était pas un homme médiatisé, on a peu d’éléments le concernant, mis à part sa coupe de cheveux particulière, quelques enregistrements… C’est son histoire qui est marquante dans une Ve République très violente. Je n’avais pas envie de lui ressembler, d’essayer d’avoir la même voix… copier n’était pas intéressant. Je devais jouer la vie d’un ministre pris à ses dépens dans les mailles de l’imbroglio politico-financier. Un personnage en « creux », sans texte vraiment porteur… car cela se passe autour de lui. L’intégrité de cet homme dérange. Un type comme Boulin, un gaulliste de gauche de l'époque, est en effet d’une honnêteté trop évidente… Il est capable de tout balancer parce qu’on lui fait du tort…
L’honnêteté pèse-t-elle dans la balance politique ?
Une « certaine politique ». Les gens qui font des malversations ont-ils plus de poids ? sans aucun doute… L’escroc Henri Tournet, promoteur et homme d’affaires douteux, interprété par Philippe Torreton – un proche du conseiller politique Jacques Foccart, joué par André Marcon – qui a vendu illégalement à Robert Boulin un terrain à Ramatuelle dans le Var, en est un exemple flagrant…
Boulin avait déclaré au micro d’Europe 1 qu’il était exemplaire, « peut-être encore plus que vous ne le pensez, parce qu’il y a des choses que je ne peux pas dire ici. » Une déclaration dangereuse ?
La vérité ne plaît pas à tout le monde. Il fallait empêcher Robert Boulin de parler, le faire plonger avec cette histoire d'acquisition de terrain illégale. C’est l’affaire de Ramatuelle. Robert Boulin en sait trop. Il doit mourir à cause d’une trop grande intégrité. Il gêne beaucoup de monde. En 1974, il ne faut pas oublier la trahison à l’encontre de Jacques Chaban-Delmas, durant la campagne présidentielle. Chirac abandonne le candidat officiel pour se rallier à Giscard d’Estaing. Robert Boulin, qui doit être nommé Premier ministre, n’accepte aucune compromission. Cette période de la Ve République est brutale – notamment les méthodes connues du Service d’action civique, le SAC – avec des morts qui n’ont jamais été élucidées : comme celle de Joseph Fontanet, victime, sans témoin, d’une « balle perdue »… Une balle perdue dans le XVIe, c’est courant, n’est-ce-pas ?
Cette histoire et la construction scénaristique sont assez proches du polar…
Une certaine politique implique des théories et contre-théories qui peuvent être lues comme un polar. A partir du moment où le suicide est remis en question, il y a questionnements, enquêtes. Comme la mort de Bérégovoy, par exemple…
C’est la première fois que l’on vous nomme ministre ?
Oui, mais j’ai été le roi Louis XV (rires) dans Aurore de Nils Tavernier et prince de Parme dans le téléfilm La Chartreuse de Parme de Cinzia Th. Torrini. Peut-être jouerai-je un jour Gaston Deferre, puisque l’on m’a dit que je lui ressemblais.
Propos recueillis par Françoise Jallot