C'est le récit oublié d'un épisode peu glorieux de l'histoire de France, celui des travailleurs indochinois arrachés à leur pays pendant la guerre et maintenus ici jusque dans les années 50. Aujourd'hui un seul est encore en vie en Aquitaine. Nous l'avons rencontré, avec sa famille.
Entre 1939 et 1952, 20 000 travailleurs indochinois ont été amenés en France par les autorités de ce qui était encore l'Empire Colonial, pour remplacer dans l'industrie de l'armement les ouvriers français partis à la guerre (et plus tard prisonniers, ou soumis au STO). Ces jeunes, originaires de ce qui deviendra le Vietnam, saisis de force pour la plupart resteront durant toute la guerre et bien au-delà, jusqu'en 1952, date des derniers rapatriements.
Employés dans les poudreries, puis dans les travaux agricoles ou industriels, loués aux patrons privés et même aux allemands, logés dans des camps, affamés, soumis au froid et à une discipline militaire, payés au mieux un dixième du salaire normal, ces Ouvriers Non Spécialisés sont tombés dans l'oubli de l'histoire. 2 à 3 000 sont morts à l'époque, un millier est resté en France, où ils se sont mariés et ont fondé des familles. Plus de 15 000 seront enfin rapatriés, et plus ou moins bien accueillis à leur retour, dans un pays en guerre contre la France pour son indépendance.
Quelques-uns sont restés dans la région, mais aujourd'hui un seul est encore en vie, il habite Bergerac.
Plusieurs familles vivent toujours en Aquitaine et ont un ascendant ancien travailleur indochinois.
Cet épisode historique longtemps occulté commence à sortir de l'oubli. En 1988, une étudiante a écrit un mémoire de maitrise sur le sujet, puis en 2009 le journaliste Pierre Daum a écrit un livre : "Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952)", paru aux Editions Actes Sud. L'auteur a recueilli le témoignage de dizaines de survivants, en France et au Viet Nam et découvert de nombreux documents d'archives.
Un film documentaire du réalisateur franco-vietnamien Lam Lê vient de sortir. "Cong Binh, la longue nuit indochinoise" (*) a recueilli lui aussi le témoignage des derniers survivants, ils ne seraient plus qu'une centaine aujourd'hui, tous très âgés.
Enfin, un fils français de travailleur indochinois, Joël Pham a créé un site Internet il y a une dizaine d'années, où il recueille informations et témoignages sur ces 20 000 vietnamiens. Son projet est la création d'un Mémorial Virtuel, qui retracera le nom des 20 000, avec quelques informations sur chacun d'eux. Beaucoup de descendants n'ont que très peu d'informations sur ces anciens qui ont souvent gardé le silence sur leur passé douloureux.
La ville d'Arles pourrait inaugurer à Salin de Giraud un monument national aux travailleurs indochinois en 2014. (En Camargue, les travailleurs ont lancé la culture du riz, jusque là balbutiante, et fait ainsi gratuitement la fortune des propriétaires…)
En Aquitaine,les Archives Départementales de la Dordogne ont fait un gros travail de recherche sur la présence des ONS (ouvriers non spécialisés) pendant la Guerre. La Ville de Bergerac a inauguré fin 2012 une plaque à la mémoire des travailleurs indochinois et reçu une exposition.
En Gironde, Nicolas Ong, petit-fils de Cong Binh travaille sans relâche à retrouver des traces de leur présence, il prépare une exposition sur l'agglomération bordelaise pour 2014.
Un magazine de Josiane Bouillet et Bernard Hostein-Aris
Aller + loin
Un site internet dédié au sujet : www.travailleurs-indochinois.org
Archives départementales Périgueux : www.cg24.archives@dordogne.fr
Le photographe Lecat à Bergerac propose une série de photos très intéressantes et notamment sur la présence des indochinois en Périgord.
galerie photo Bergerac : www.bondier-lecat.fr
Le site du film de Lam Lê : www.congbinh.net
(*) Le film "Cong Binh : la longue nuit indochinoise" va être à nouveau diffusé dans l'agglomération bordelaise, vendredi 29 à 18h à St Médard et à 21 h à Blanquefort, samedi 30 à Cadillac et Créon et dimanche 31 à 15h à Eysines, en présence du réalisateur Lam Lê qui pourra discuter avec le public.