Coronavirus : une soixantaine de seniors bloqués au Nord de l'Afrique pendant 70 jours

Ils se sont surnommés "les oubliés du Maroc". Plusieurs groupes de camping-caristes, principalement picto-charentais, partis en février ou tout début mars, avant le confinement, commencent à peine à être rapatriés. Âgés de 60 à 83 ans, ils ont souffert de la chaleur et du manque d'informations.

3 tempêtes de sable... 40 degrés tous les jours... L'inquiétude et l'exaspération ont depuis longtemps cédé la place à l'attente patiente. Marc Billard est organisateur bénévole de séjour en camping-car. Par le biais d'une association, basée à Saint-Jean-d'Angely, il opère depuis une dizaine d'années au Maroc. Sous sa responsabilité pour ce séjour, deux groupes différents, d'une trentaine de personnes chacun, sont en itinérance. L'un dont le voyage a débuté le 7 mars, l'autre dont le voyage allait s'achever lorsque les premières mesures de confinement ont été décidées.

Thermomètre en hausse

Le 19 mars, le Maroc instaure le confinement. Les touristes ont interdiction formelle de se déplacer. Les frontières se referment. A ce moment-là, l'un des groupes est en excursion en Mauritanie... D'abord stoppés en plein désert, à Châmi, ils sont ravitaillés tous les deux jours par camions-citernes. Alertée par la dangerosité de la situation, l’ambassade de France en Mauritanie négocie et obtient, au bout de deux semaines, leur déplacement jusqu'à une grande ville, la deuxième du pays, Nouadhibou.


Pendant ce temps, l'autre groupe est à Taliouine, au Maroc. Marc Billard, le responsable de l'association, multiplie les coups de fil, tout comme son président, depuis Vivonne dans la Vienne, mais la situation est bloquée... Sur place, Mireille et son compagnon Bernard n'en peuvent plus.

 

Hier après-midi, il faisait 39°. Ca fait une semaine que c'est comme ça. Au début, on avait un peu de vent, mais là, en plein soleil, avec seulement l’ombre de l'auvent, la chaleur devient très difficile à supporter.
- Mireille Renard

Le groupe n'a pas le droit d’aller en ville. Ce sont les propriétaires du camping qui font leurs courses, les conduisent à la banque pour retirer de l’argent.

On peut se déplacer à pied alentours, dans la montagne. Le soir, il y a des patrouilles, pour veiller au couvre-feu à partir de 18h. Le confinement est très sévère, mais on l'accepte comme tout le monde. Quand il fait beau, on mange tous ensemble, heureusement on peut se réunir, sinon…

Médicaments en baisse

Mais avec ce confinement qui dure, les inquiétudes se font plus précises. Toujours à Taliouine, Danielle Berthelot nous raconte :

Les gens avaient prévu pour 2 à 3 mois de médicaments, d'accord mais par exemple, l'un des voyageurs, octogénaire, a besoin d'un traitement précis, sous forme de piqûre, introuvable au Maroc. Il en attend de France mais ça n'arrive pas... Alors il repousse au maximum. 


Chacun a en tête le drame vécu par ces autres Français, dans le même camping. La femme de ce couple est décédée d'un AVC. Aucune possibilité de rapatriement du corps. Son compagnon a dû acheter une concession sur place, l'inhumer. Le retour en France du corps sera organisé plus tard, après le confinement.
Ou celui de cette sexagénaire poitevine, violemment poignardée, et qui a attendu plus de dix jours avant de pouvoir embarquer dans un avion sanitaire.

On est stationnés là. On porte le masque. On ne sait pas ce qui se passe. On tombe sur des répondeurs à l’ambassade de France. Nos enfants sont inquiets, si on a un problème de santé, comment on fait ?
- Danielle Berthelot
 

Bateaux à géométrie variable

Pour revenir, avec leurs campings-cars, ces touristes doivent forcément prendre la mer. Et c'est bien là tout le problème. A plusieurs reprises, leurs billets réservés sont annulés. La compagnie italienne explique ne pas avoir eu l'autorisation d'accoster.

A chaque fois, le groupe avait négocié, en fonction de ces dates de départ, des autorisations de circuler, avec le délai administratif que cela suppose, de la navette entre les autorités françaises et marocaines...

On nous promet des bateaux, on n’en voit pas… On est passé par nos députés, le ministère dit que des bateaux sont mis en place. Mais le site de l'ambassade du Maroc renvoie vers la compagnie, quand on le peut, on s'inscrit, mais c'est annulé ensuite !
- Bernard Perré

Des dates sont tout de même reprises, le 26 mai pour certains, le 1er juin pour d'autres.

Il y a des moments où ça va, et puis des moments où ça ne va plus ! Quand le bateau est annulé...
-Danielle Berthelot

Une source diplomatique française nous assure que ces questions sont suivies par une cellule de crise au Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères "dans un contexte inédit et complexe de fermeture des frontières maritimes et terrestres". Chacun des acteurs officiels (autorités marocaines et mauritaniennes, nos ambassades et consulats généraux et le Ministère), "continuent de travailler à la mise en place de solutions en lien avec l’armateur de ces bateaux".
 

Moral à zéro

Marc Billard, le responsable du groupe de Taliouine, était parti en reconnaissance dans un autre secteur lorsque le confinement a été décrété. Mais il est en lien permanent avec eux.

Moi j'ai pas le droit de craquer. Je les appelle tous les jours. Il y a une bonne ambiance, on essaye de se battre. Mais on a vraiment le sentiment d'être des oubliés.
- Marc Billard, responsable du groupe de Taliouine


Le fondateur de l'association, et président d'honneur, Roland Caillaud est du voyage lui aussi, et encore plus virulent. 

Le problème, c’est que tout le monde s’est focalisé sur les agences de voyage, les avions, pas les petites associations comme les nôtres. On est confrontés au vide. On nous ignore, nous, les retraités. On voit qu’il y a deux France, les actifs et les autres... Quand on voit la somme monstrueuse dépensée pour rapatrier des salariés à la place de l'entreprise responsable, et nous… On ne demande pas d’aide financière, on a déjà payé nos billets... deux fois !
- Roland Caillaud, fondateur de l'association


Tous deux insistent sur ce point financier. "On nous prend pour des nantis, mais ce n’est pas le cas. On veut juste rentrer, avoir un bateau qui part vraiment"
 

Il leur aura fallu encore plusieurs semaines de patience, émaillées de nombreuses déceptions, avant que les choses ne se débloquent enfin.

Retour par mer

Aucun des bateaux réservés auprès de GNV ne s'est finalement concrétisé. Cette compagnie italienne est fortement suspectée par les campings-caristes de s'être enrichie sur leur dos. Les billets réservés, payés, annulés à chaque fois pour les Français, semblent avoir fonctionné pour d'autres nationalités. Nos camping-caristes ont ainsi croisé des Allemands, Hollandais et Suisses embarquant aux dates de traversées prévues pour eux. "Ils étaient appuyés par leur pays, les bateaux étaient réquisitionnés pour eux" explique Gérard Péroux, le président de l'association.

Après une longue période où la communication était complètement coupée avec l'ambassade et le ministère des Affaires Etrangères, de nouvelles compagnies maritimes sont finalement autorisées à effectuer des liaisons.

Ainsi, la Méridionale, grâce à son bateau utilisé habituellement pour la Corse, assure une traversée jusqu'à Marseille. Quatre couples de camping-caristes sont montés à bord. Un voyage retour la dernière semaine de mai, soit plus de deux mois après la date initialement prévue.

Suivront 9 autres couples, parvenus à Sète ce jeudi 4 juin, sur un bateau réquisitionné par la France. Désormais, des liaisons quotidiennes, opérées par Baléaria, relient Tanger et Malaga.

Toujours pas de solution pour la Mauritanie

Le dénouement semble toujours incertain en revanche pour le groupe coincé en Mauritanie. La frontière est toujours fermée avec le Maroc, pays où le confinement a été prolongé jusqu’au 10 juin.

Sur les 14 couples de camping-caristes, certains ont financé le rapatriement de leur véhicule par cargo et leur retour par avion. Demeurent sur place 17 personnes. "On ne voit pas le bout du tunnel".

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