Jamais seuls, les meilleurs marathoniens courent en compagnie d’autres athlètes chargés de leur garantir un rythme de course. Surnommés "lièvres", ils sont pourtant des athlètes à part entière. Visite du terrier.
Les rayons orangés du soleil d’automne enveloppent lentement la ligne de départ du 32ᵉ Marathon de La Rochelle. Les athlètes élite le savourent, eux qui s’échauffent depuis plusieurs minutes, dimanche 26 novembre. Dans leur ombre, des coureurs un peu particuliers. Dossard "Pace", pour rythme, sur le ventre, Calistus Kimutai est ce que l’on appelle dans le milieu "un lièvre". "Ce n’est pas simple, explique le Kényan qui se définit avant tout comme un athlète. Je dois respecter strictement les temps demandés, ni trop vite, ni trop lent." Les lièvres sont des coureurs payés par l’organisation, chargés d’emmener les meilleurs, à ne pas confondre avec les meneurs d’allure, simples bénévoles. "Mon but, c’est que la meilleure féminine fasse son meilleur chrono possible en fonction de ses capacités, explique avant la course Maxime Bargetto, lièvre pour les élites féminines. Je dois la mettre dans les meilleures conditions pour qu’elle fasse un temps. Le but ce n’est pas qu’elle explose. C’est un service qui est mis à disposition par les organisateurs. Je suis leur assistant de course." Protection contre le vent, avertissement des dangers, connaissance du terrain… Le lièvre joue le rôle de repère.
Chez les hommes, le cahier des charges est précisément fixé par l’organisation : 15:10" pour les cinq premiers kilomètres, 30:20" pour les dix kilomètres. Leur mission s’achève au bout de 30 km, qu’ils doivent boucler en 1h31 et 18 secondes. Une opération de précision pour ces athlètes occupant le rôle de faire-valoir, qui doivent également rester à l’écouter de l’athlète. Un lien se crée pendant la course, avec parfois ses frustrations. "Certains sont persuadés que leur montre a une précision militaire, sourit Maxime Bargetto. L’an dernier la coureuse avait course gagnée assez rapidement, mais elle me demandait tout le temps d’accélérer ou de ralentir en fonction des infos de sa montre. Mais je me connais et je sais garder le même rythme sans montre…"
Lièvre, un moyen de vivre de la course
Si la confiance ne règne pas tout le temps entre le lièvre et son athlète à ce niveau, il n’en va pas de même parmi les tous meilleurs mondiaux. Eliud Kipchoge, passé sous la barre symbolique des deux heures au marathon, ne se déplace pas sans une armée de lièvres qu’il connaît sur le bout des orteils, et qui le portent littéralement. Ils effectuent une portion à un rythme soutenu puis s’effacent pour laisser la place à un autre.
Des athlètes font ce choix d’occuper un rôle de l’ombre, car l’argent n’abonde pas dans le milieu du marathon. "Au niveau français, je ne suis pas sûr que cinq des dix meilleurs qui prétendent aux JO soient professionnels et vivent décemment de leur sport, reprend le lièvre des féminines. Il y a beaucoup d’athlètes qui sont à un niveau international depuis des années, ils vivent tout juste. Pour certains, être lièvre, c'est une aide financière." Dans le cas des tous meilleurs lièvres capables d'emmener un athlète briser des records, les primes peuvent atteindre plusieurs milliers d'euros.
Les organisateurs activent, deux à trois mois en amont, leur réseau de managers ou d’agences qui gèrent les intérêts des coureurs. En fonction du pic de forme du moment ou des résultats, certains sont désignés, moyennant des primes que les directeurs de course préfèrent garder secrètes. Mais Porte Océane, ce n’est pas le Pérou pour autant, et les primes se chiffrent plutôt en centaines d'euros. "Je ne pourrais pas en vivre comme activité principale", assure Maxime Bargetto, tandis qu’il se positionne. Pendant plus de 2h30, c’est pour l’Éthiopienne que le Français va courir, l'amenant jusqu'au bout de l'épreuve, après un début compliqué.