Arrivé de Kharkiv il y a cinq mois avec son épouse et leur petit garçon, Vadim Zubko a troqué le costume cravate de banquier pour la tenue de boulanger à Saint-Georges-de-Didonne. Un nouveau métier à mille lieues de son ancienne vie, par nécessité.
"Je ne dirais pas que c'est le job de mes rêves". Une petite lame à la main, il donne des coups de rasoir secs et méthodiques sur les pâtons disposés sur sa table de travail. Il ne s'arrête pas de travailler en lâchant cette phrase. Même dans un anglais un peu hésitant, son message est très clair : Vadim Zubko ne souhaite pas être boulanger "toute sa vie".
Arrivé d'Ukraine il y a cinq mois avec son épouse Nastia et leur petit garçon de six ans, il était employé de banque à Kharkiv. Comme nombre de ses compatriotes, il s'est réfugié en France. Mais sans parler un mot de français, impossible de conserver le même métier. Pas question non plus de "dépendre uniquement des aides du gouvernement français."
J'ai compris que j'avais besoin d'un emploi. Je ne voulais pas rester assis à la maison. Donc j'ai trouvé un travail.
Vadim Zubko, réfugié ukrainien
Depuis plusieurs mois, c'est dans la boulangerie de Valéry Valette que Vadim gagne sa vie. De la finance à la boulange, la transition s'est opérée comme une nécessité. "Avant, j'avais des rendez-vous avec des clients, maintenant je fais des baguettes, explique-t-il, c'est différent, mais on apprend avec de la volonté." Et avec Valéry qui lui a donné sa chance.
Gagnant-gagnant
Entre l'apprenti et son employeur, la rencontre s'est faite autour du pain. "Je m'étais engagé à aider les réfugiés ukrainiens et donc je leur portais des baguettes tous les jours à Semussac", raconte le commerçant. "En me remerciement, Vadim m'a dit qu'il voulait travailler pour moi. Je lui ai dit que banquier et boulanger, ce n'était pas le même métier, mais il m'a répondu qu'il voulait quand même essayer."
Le premier contrat de quinze jours s'est transformé en contrat pour l'été. "Vadim est quelqu'un de très intéressant et très appliqué dans son travail, il m'a prouvé qu'il a su s'adapter à ce nouveau métier", raconte le boulanger saint-georgeais qui, à la fin août, a décidé de prolonger leur collaboration pour deux mois supplémentaires.
Lui qui manquait de main d'œuvre a trouvé en Vadim un coup de pouce inattendu.
Tout le monde sait qu'aujourd'hui, on a beaucoup de mal à recruter dans nos métiers. Donc quand il s'est proposé, je ne pouvais pas dire non.
Valéry Valette, boulanger
Un goût de normalité
Pour Vadim et sa famille, cette nouvelle vie en France a comme un goût de normalité retrouvée. Son fils de six ans fréquente l'école et le club de football local. Son épouse a trouvé un emploi dans le restaurant voisin. Tous les trois apprennent le français, le regard tourné vers leur pays. "On veut rentrer en Ukraine, c’est notre pays. Avant la guerre, on n’avait jamais imaginé notre vie ailleurs. Nous voulons construire nos vies là-bas" confie Vadim. Nastia est à ses côtés, elle acquiesce.
Le couple le sait, le retour au pays n'est pas pour tout de suite. "Je parle très souvent avec mon frère qui est resté combattre là-bas et j'ai peur pour lui", souffle celui qui se désespère de voir le conflit se terminer rapidement.
À la fin du mois d'octobre, son contrat à la boulangerie prendra fin. Valéry Valette envisage déjà de proposer à Vadim de rester "si il le souhaite", et même de prendre en charge sa formation pour devenir un "vrai" boulanger. "Pourquoi pas", s'interroge l'intéressé, "mais ici en France, il y a plein de choix possibles."
Reportage de Jaël Galichet et Camille Michelland