Faire classe dehors, la maternelle du Chay en rêvait ! Depuis septembre, les jeunes enfants explorent la forêt et en profitent pour apprendre. 14 000 enfants de l'académie de Poitiers pratiquent l'école dans la nature.
Chaque mardi matin, c'est l'expédition ! Bottes, manteaux de pluie, gants de jardinage. Les élèves de la maternelle du Chay, en Charente-Maritime, partent vivre l'aventure en forêt à 300 m de leur école. "J'enseigne ici depuis 20 ans et, même si on a un jardin dans l'école, je voulais aller un peu plus loin. Je pense que faire l'école dehors est vraiment intéressant" explique Christelle Esclafit, la professeure des écoles de cette classe unique de 22 élèves.
Depuis septembre 2024, une demi-journée par semaine, les enfants apprennent donc autrement, en plein air : "On peut mener des ateliers pédagogiques qui respectent le programme en utilisant ce qui est autour de nous : observer la nature pour étudier le cycle des plantes grâce aux glands, regarder des insectes avec des loupes ou faire du calcul avec des morceaux de bois."
Ce projet pédagogique, mené par l'enseignante, nécessite de se former et de lever de certains a priori : "Il y a un peu d'inquiétude au début. Les enfants découvrent un nouvel univers, sans leurs parents, dans lequel il faut fixer des règles. Ils n'ont pas le droit de s'éloigner, mais ils peuvent jouer avec des bâtons à leur grand étonnement."
Toutes les études montrent que cet enseignement différent porte ses fruits, ce que confirme Christelle Esclafit : "J'ai remarqué que les enfants sont plus observateurs après quelques mois, plus calmes et qu'ils ramènent des "trésors" (feuilles, fruits ou insectes) pour nous interroger. Cela prouve qu'ils développent leur attention, leur concentration, leur curiosité. C'est aussi une manière de commencer la résolution de problèmes. Ceux qui ne parlaient pas en classe osent davantage."
Une mise en œuvre à imaginer
Mais un projet d'école dehors n’est pas si facile à mettre en œuvre. Sortir pour découvrir la forêt ne coûte rien. Néanmoins, il faut convaincre la communauté éducative, les parents et la mairie. Puis il faut trouver l'espace naturel à proximité de l'école et délimiter un périmètre de sécurité. "Par chance, explique Christelle, il y avait un bois privé laissé à l'état naturel près de l'école. Le propriétaire a été d'accord quand il a su que c'était pour accueillir des enfants."
Il reste à régler quelques problématiques de sécurité et de confort. L'école du Chay a fait le choix, en accord avec la mairie, d'installer une cabine de toilettes sèches et un banc forestier abrité par une bâche. "C'est vrai qu'on pourrait ne rien mettre du tout, mais ce sont des enfants âgés de trois à six ans, fait remarquer l'enseignante. L'idée est qu'ils se reconnectent à la nature, quel que soit le temps, mais pas qu'ils pleurent toute la matinée parce qu'ils sont mouillés."
Même si l’école a utilisé des objets recyclés et mis à contribution toutes les bonnes volontés, ces constructions ont nécessité des outils, de la lasure, etc. La cagnotte en ligne lancée sur le site de l’Éducation nationale « trousse à projets » a permis de récolter 1 405 euros et couvrira une partie de ces frais.
Pour l'instant, l'Académie de Poitiers n'alloue pas de budget à la mise en place de l'École dehors considérée comme un "projet pédagogique d’école ou d’établissement en lien avec la commune ». « Cela ne nécessite pas de moyens supplémentaires » nous indique-t-on. Cela explique le recours des écoles aux collectes, au même titre que les classes qui souhaitent partir en voyage scolaire ou organiser un échange culturel. Mais l'Éducation nationale investit désormais dans le volet formation.
Une pédagogie plébiscitée
Dans l’académie de Poitiers, plus de 600 classes, de la maternelle aux lycées, seraient engagées dans un projet de Classe dehors. Cela représenterait 14 000 élèves environ. Les premières rencontres internationales de la classe dehors se sont d’ailleurs tenues dans la capitale picto-charentaise en juin 2023. Elles ont accueilli 2 000 participants et proposé 200 formations et ateliers.
"Depuis le Covid, on sent un véritable élan en Poitou-Charentes, assure Marie Mazens, animatrice du réseau GRAINE dans la région. Il y a eu une vraie prise de conscience du besoin de se reconnecter avec la nature." Depuis 2017, l’association GRAINE Poitou-Charentes produit des fiches pédagogiques pour les professeurs qui veulent se lancer, comme Christelle. "Cela va leur apporter des ressources, des méthodes pour structurer les séances, mais on ne fait pas à la place du professeur".
Un projet pilote est même mené dans le département des Deux-Sèvres depuis quatre ans : deux fois par mois, des conseillers pédagogiques de l’Éducation nationale se réunissent avec des représentants du monde associatif pour discuter du dispositif École dehors. Les professeurs pratiquants ou intéressés sont aussi conviés. "L'idée, complète Marie Mazens, est de discuter de tous les aspects du dispositif, comme l'école inclusive ou les outils pédagogiques. Que les services de l'Éducation nationale veulent accompagner le développement de la classe dehors par le biais de la formation continue, c'est très bien." Ce dispositif est financé par plusieurs associations et fondations sur le thème des pédagogies actives.
Au Chay, l'idée germe de faire aussi classe dehors aux élèves de primaire. L'école aimerait aussi obtenir le label Éducation au développement durable pour son travail autour du jardin et du recyclage des déchets. La nature, observée et protégée, est au cœur de l'enseignement.