Partout en France, les magasins de vrac s'inquiètent d'une possible nouvelle règlementation qui exclurait de la vente les produits de lavage et d'entretien. Mais, plus globalement, c'est l'ensemble du système de ces commerces spécialisés qui se trouve impacté par la crise du coronavirus.
Vinaigre blanc, bicarbonate de soude ou lessive liquide en libre service, certains consommateurs ont depuis quelques années trouver des alternatives aux produits ménagers vendus en grande surface. Tant qu'à faire, pour limiter l'utilisation du plastique, ils viennent même souvent avec leurs propres flacons pour faire le plein dans leur magasin spécialisé.
A Poitiers, Baptiste vient deux fois par mois faire "le plein" dans le magasin "L'effet Bocal". "Ça remplace beaucoup de choses dans nos tâches ménagères. On a évacué beaucoup de produits chimiques pour principalement nettoyer au vinaigre blanc ou au bicarbonate. Je ne vois pas pourquoi ils voudraient interdire ça", explique-t-il.
Baptiste est inquiet et il a raison. Car, crise sanitaire oblige, en 2020, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) avait contrôlé 1.658 établissements proposant de la vente de produits en vrac et 46 % d’entre eux n'étaient pas vraiment dans les clous. Résultat l'ANSES, l'agence nationale de sécurité alimentaire, propose d'interdire tout simplement à la vente les produits de lavage et d'entretiens.
Rien n'est encore fait, mais, à Angoulême, Pauline Boissière, la co-gérante de la Drôle d'Epicerie sensibilise sa clientèle et a lancé une pétition en ligne. "Le problème des petits commerçants comme nous, c’est qu’on doit être le plus généraliste possible, parce que notre concurrence, ce sont les grands centres commerciaux. Donc si on ne propose pas une offre diversifiée, les gens vont au plus pratique et vont dans les grands magasins. Ici, on a au moins un produit par panier qui est un détergeant liquide. Interdire la vente de ces produits, c’est la mort des petites épiceries indépendantes".
En France, plus de 400 enseignes de vrac sont nées ces cinq dernières années. "Le vrac fait la singularité de notre épicerie", explique Mathilde Renaud à Poitiers, "on y vend des produits ménagers type lessive, liquide vaisselle ou adoucissant et des produits de base pour permettre à nos clients de fabriquer leurs propres produits d’entretien comme du savon de Marseille en paillet ou du bicarbonate de soude. Au départ, il n’y avait pas de réglementation particulière donc on avait travaillé en amont avec les fournisseurs notamment sur la question de l’étiquetage. Et sous la pression de la clientèle, on leur a permis de réutiliser leurs propres contenants. Ils viennent donc avec leur propre flacon et, en caisse, on y colle l’étiquette du produit vendu avec sa composition, ce qui évite en cas d’allergie ou d’accident domestique de pouvoir réagir rapidement".
Car l'idée, bien sûr, c'est de réduire notre consommation de plastique. Dans le réseau Biocoop, on encourage le vrac et la plupart des enseignes proposent de la lessive et autres produits vaisselle, mais pas question de venir avec ses propres contenants. "Moi, je considère que c’est un service au client", explique Isabelle Sevegrand, gérante Biocoop de Soyaux, "ça nous permet de vérifier que le contenant est bien d’origine et puis il y a des personnes qui ne savent pas bien se servir de la machine, donc on le fait nous-même, on nettoie, il y a tout un protocole qu’on respecte. Interdire ce genre de produit, ça va à l’encontre de ce pourquoi on se bat au quotidien. Tout le monde sait que tous nos plastiques finissent dans nos océans, alors pouvoir réutiliser des contenants, c’est le minimum qu’on puisse faire".
Reste que d'autres magasins du réseau comme la coopérative Regain à La Rochelle sont plus circonspects quant à l'avenir du vrac. Le Covid est passé par là et, très clairement, les clients se sont montrés un peu plus frileux. Les ventes ont très sensiblement chutées.
"Dans un contexte de crise sanitaire, j’ai vu des choses dans d’autres magasins qui pour moi me semblait aberrantes", confesse Laetitia Lavoine, gérante du Biocoop de Lagord, "la crise a fait ouvrir les yeux sur certaines pratiques qui n’étaient pas bien appliquées ou prises au sérieux. Pendant le Covid, on a, nous, complètement arrêté le vrac pour des raisons d’hygiène. On s’est adapté pour limiter les risques de contaminations, mais cette baisse au niveau des ventes ne nous a incite pas à développer le vrac en ce moment".
Pas facile décidément de sauver la planète, de manger sainement, de réduire notre consommation de pétrole et... tout le reste. Pas sûr non plus que de nouvelles réglementations imposées à ces commerces de proximité résolvent le problème. Selon une étude de l’association Réseau Vrac, si le contexte ne change pas, 40% des commerces de vrac envisagent de fermer dans les six prochains mois.