Du terrorisme à la préfecture de Charente : portrait de Pierre N’Gahane

Devenu le symbole d’un Etat pris de court par la montée du djihadisme, le nouveau préfet de Charente, Pierre N’Gahane, était l’architecte de la politique de déradicalisation depuis deux ans.

Le costume était-il trop grand pour lui ? Pierre N’Gahane, le nouveau préfet de Charente, a été relevé de sa mission de secrétaire général du Comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Ce haut-fonctionnaire de 52 ans était un maillon essentiel du dispositif de lutte contre le terrorisme.

Avril 2014. Les services signalent toujours plus de départs vers la Syrie. Des recruteurs zélés, comme Omar Omsen qui sévit dans la banlieue de Nice, embrigadent des quartiers entiers. De Lunel à Roubaix se dessine le visage du djihadisme nouvelle génération.

Des familles affolées par la dérive de leur enfant se ruent dans les commissariats, rentrent en contact avec la Miviludes… Panique dans les ministères. L’Etat doit trouver un interlocuteur pour les proches de radicalisés : ce sera Pierre N’Gahane. Un numéro vert à destination des victimes est créé. Il est confié au préfet le soin de coordonner les services de l’Etat pour prendre en charge les jeunes repérés.
Pourtant, rien dans son parcours ne le prédestinait à prendre les rênes de l’un des organismes les plus exposés de la République. Pierre N’Gahane débute sa carrière à l’Institut Catholique de Lille, dont il devient le vice-président. En 2007, il est pris dans les filets de la Sarkozie. Bonne pioche pour l’ancien président qui se découvre une passion pour la "discrimination positive" : le nouveau locataire de l’Elysée nomme le premier préfet noir. Tout un symbole.

Changement de majorité en 2012 : Pierre N’Gahane échappe à la chasse aux sorcières qui accompagne chaque alternance. En décembre 2013, Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, le nomme secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance. Cette structure était alors sans tête depuis près de six mois.

En 2014, Pierre N’Gahane entend parler de Dounia Bouzar, une anthropologue habituée des plateaux télé, et la contacte. Celle-ci désespère de tester ses "indicateurs de radicalisation" qu’elle soumet au gouvernement depuis un an. Emballée par l’invitation, la chercheuse marque tout de même un temps : "J’ai un peu hésité quand j’ai vu son parcours, confie-t-elle. On n’est pas du même bord et je n’avais certainement pas envie de me frotter à nouveau à des Sarkozistes". Qu’à cela ne tienne, l’offre est alléchante : diriger la mission qui définira la méthode de repérage des individus radicalisés. Seule à concourir, l’association de Dounia Bouzar remporte l’appel d’offre.

"Un personnage baroque"

"Pierre N’Gahane est l’homme à qui la France doit son système de prévention de la radicalité, assure l’anthropologue. C’est lui qui a fait pendant un an et demi le lien entre la réalité du terrain et la politique du gouvernement". Le préfet commence par recevoir une par une les familles qui se sont manifestées jusqu’ici : des riches, des pauvres ; des couples désunis, en rupture ; des ménages athées ; des musulmans pratiquants… Aucun profil-type ne se dégage.

Pierre N’Gahane s’investit alors corps et âme dans sa mission, d’après Dounia Bouzar. "Nous pouvions l’appeler à n’importe quelle heure. Dès qu’un gamin disparaissait sans laisser de trace, on le prévenait, il saisissait les services de renseignement et on retrouvait le jeune 500 km plus loin", affirme-t-elle. "C’est grâce à lui que nous avons pu identifier 1600 jeunes et en réinsérer plus de 600".

"C’est un personnage baroque, sourit quant à elle, Esther Benbassa, la Sénatrice EELV du Val-de-Marne, qui dresse un portrait beaucoup moins héroïque du haut-fonctionnaire. Cette historienne, spécialiste du judaïsme et de l’islam, a rencontré Pierre N’Gahane en mai 2015, lors de ses travaux en commissions, puis à l’occasion des auditions qu’elle mène pour sa mission d’information sur le "désembrigadement" et la "réinsertion des djihadistes en France et en Europe". "Il a ses grandes envolées : j’ai beaucoup aimé par exemple quand il nous a fait son cours d’histoire des religions… Il est très sûr de lui et de son savoir". Une prétention qui lui aurait attiré l’ire d’une partie des spécialistes du djihadisme : "Il croit tout savoir, il est dogmatique et buté. Je ne veux plus avoir à faire à lui", lâche par exemple un chercheur qui a accompagné Pierre N’Gahane dans les premiers mois du CIPDR.

Comptable des errements d’un système défaillant ?

"On est resté dans l’amateurisme le plus complet : nous en sommes aux balbutiements de la politique de déradicalisation alors que le temps presse. Combien de morts faudra-t-il encore ?", grince Esther Benbassa. "Pierre N’Gahane a contribué à mettre en place un système fragile dont tirent désormais profit un tas d’associations totalement à côté de la plaque. La déradicalisation est devenue un business."

"Tout s’est fait dans l’urgence", admet Dounia Bouzar. Mais, selon elle, Pierre N’Gahane ne peut se voir reprocher les dérives de certaines associations : "Il n’a cessé de prévenir le ministère de ce risque. Il a fait refaire trois fois la circulaire qui encadre la création des cellules de déradicalisation dans les départements". De vaines tentatives : les préfectures bénéficient d’un pouvoir quasi-discrétionnaire dans le choix des intervenants.

Mai 2016 marque le début de la fin pour Pierre N’Gahane. Manuel Valls annonce un grand plan de lutte contre le terrorisme, manière pour lui de reprendre la main sur un dispositif en partie hors de contrôle. Un mois plus tard, le secrétaire général du CIPD apprend sa mutation en Charente.

Après deux ans passés pris dans un feu croisé, sa nouvelle mission va lui permettre de revenir à des considérations plus prosaïques : "Depuis que je suis arrivé, j’ai vu qu’il y avait eu deux ou trois incidents avec de l’alcool. Il va falloir que l’on travaille sur le sujet", a d’ores et déjà annoncé Pierre N’Gahane à nos confères de la Charente Libre.
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