La question des tourbières reste un point de crispation pour les agriculteurs, bientôt forcés de prendre des mesures pour conserver ces espaces humides. Pourtant, sur le plateau de Millevaches, agriculteurs et écologistes travaillent ensemble sur un processus d'expérimentation pour rétablir l'équilibre naturel d'une tourbière.
"Sur les zones humides et les tourbières, je vous le dis, on va mettre ça en pause." Ce 26 janvier 2024, à Montastruc-de-Salies (Haute-Garonne), en pleine crise du milieu agricole, Gabriel Attal avait voulu donner des gages aux agriculteurs et, ce faisant, a mis en exergue la problématique de la préservation des tourbières. Car, ce que le Premier ministre a dit vouloir mettre "en pause", c'est une clause de la Politique Agricole Commune qui conditionne les aides pour les agriculteurs à un ensemble de "bonnes pratiques", notamment écologiques.
La règle n°2 (BCAE2) vise à protéger les tourbières et les milieux humides, car ces espaces sont précieux pour la biodiversité. Les tourbières sont composées de tourbe qui est une matière organique fossile formée par accumulation de végétaux, dans un milieu saturé en eau. S'ils ont longtemps été vus comme des lieux insalubres et inutiles, aujourd'hui, l'enjeu de préservation est essentiel. L'objectif est de sauver ces espaces naturels en évitant de les assécher pour les besoins de l'agriculture, comme cela a été le cas sur le plateau de Millevaches.
Antoine Begnaud, est chargé de mission au Conservatoire d'espaces naturels du Limousin. Devant lui, s'étale la tourbière du Pont Tord, sur la commune de Pérols-sur-Vézère (Corrèze) qui a bien souffert il y a quelques dizaines d'années. "C'est une tourbière qui a subi des aménagements hydrauliques dans les années 80, à la mécanisation de l'agriculture, explique-t-il. Avec la création de grands fossés de drainage pour évacuer l'eau au maximum et le plus rapidement possible."
"Un allié naturel pour nous aider à combattre le changement climatique"
Ces drainages qui ont asséché la tourbière ont mené à une catastrophe écologique importante à l'échelle de cet écosystème, car la tourbe a un rôle essentiel. "Les tourbières sont très importantes, note Bjorn Robroek, professeur associé en biologie à l'université de Radboud de Nimègue aux Pays-Bas. Au cours des derniers millénaires, les tourbières ont capturé beaucoup de dioxyde de carbone. Si nous protégeons ces tourbières, nous avons un allié naturel pour nous aider à combattre le changement climatique."
C'est pourquoi, le regard sur ces tourbières a changé, et elles sont désormais valorisées. La tourbière du Pont Tord est l'un des premiers à faire l'objet d'un processus expérimental visant à réparer les effets du drainage agricole. De grandes palissades en madrier ont été dressées en travers des fossés pour reméandrer le cours d’eau (le refaire serpenter) aujourd’hui rectiligne et faire remonter le niveau global de l’eau dans la tourbière.
Les niveaux d'eau sont régulièrement relevés au niveau des piézomètres afin de vérifier que le processus expérimental fonctionne.
En effet, il faut tenter d'inverser le processus d'assèchement de la tourbière lié aux drainages des décennies précédentes qui dérèglent complètement son cycle. Quand les sols ont été drainés, la tourbe n'est plus régénérée, elle se minéralise. "On le voit à la structure de la tourbe qui va se transformer en terre", précise Antoine Begnaud du Conservatoire des espaces naturels. Or dans ces cas, la terre n'a pas les mêmes propriétés que la tourbe qui, elle, grouille de vie très diverse.
En été, l'herbe y est encore verte
Dans cette tourbière du plateau de Millevaches, le processus expérimental a permis de lier agriculture et préservation de ce milieu humide. On y fait paître des animaux qui ont permis de préserver la sphaigne, une mousse essentielle à ce milieu. "On tente de la faire perdurer sur le milieu, et notamment par la consommation de la molinie [une plante haute qui pousse dans la tourbière] par les troupeaux et qui permet à la sphaigne de recevoir de la lumière", décrit Élodie Haaz, chargée de mission dans le Parc naturel régional de Millevaches en Limousin.
Du côté des agriculteurs, c'est aussi positif, car ils trouvent ici des plantes encore vertes en été. Toutefois, ces dispositifs expérimentaux ne sont pas légion, et ne sont pas la norme. Les relations entre agriculteurs et milieux humides et tourbières sont compliqués. La nouvelle PAC entend, elle, favoriser la protection de ces zones par les agriculteurs (il sera, par exemple, interdit de créer des plans d’eau, de faire de nouveau drainage ou encore de faire de l’écobuage), sous peine de sanctions financières.
La conditionnalité des aides à la protection des zones humides devait être mise en place au 1er janvier 2024, mais la cartographie des zones n'a pas encore été finalisée.