Comment expliquer le consentement aux enfants dès le plus jeune âge ? C’est tout l’enjeu de « J’ai le droit de dire non ! ». Ce nouvel album jeunesse est en librairie depuis le 10 novembre 2021. Ses deux auteurs l’ont écrit en Corrèze.
Ayo est une petite fille curieuse. Un soir, alors qu’elle dort profondément, la Lune la réveille et lui apprend un nouveau pouvoir : celui de dire « non ! ».
« J’ai le droit de dire non ! » est un album destiné à expliquer le consentement aux enfants : des jeux pour filles ou garçons, au bisou à faire en arrivant ou en partant, en passant par le droit à l’image, la petite héroïne apprend comment on peut refuser certaines situations ou contraintes. Un thème ardu et nouveau qu’ont choisi deux jeunes auteurs : Ophélie Célier et Thomas Piet. Ils ont vécu pendant un an et demi en Corrèze et sont déjà auteurs de plusieurs ouvrages sur la maternité et la parentalité. Pour cet album, ils ont fait appel à l’illustratrice Fanny Vella. Résultat un album joyeux et coloré.
Ophélie Célier et Thomas Piet sont actuellement au Mexique, mais nous avons pu les « rencontrer » virtuellement.
Comment vous est venue l’idée d’écrire un livre sur le consentement pour les enfants ?
Ophélie : Ce thème était une évidence pour moi car dans mon enfance j’ai eu le sentiment de ne pas pouvoir dire non. Bien sûr, comme tout le monde, j’ai eu ma fameuse passe des « non », mais mes « non » n’ont été ni entendus ni accueillis. Et ça a fait qu'adulte, je me suis retrouvée devant des hommes à dire « oui » alors que je pensais « non ». Ce cheminement-là dans mon enfance a eu une incidence directe sur ma sexualité d’adulte. Et donc c’est un thème qui me tient particulièrement à cœur, parce que j’ai fait des choses que j’ai regrettées par la suite car mon consentement n’était pas libre et éclairé.
Thomas : Avec Ophélie depuis quelques années on est dans une recherche de la communication la plus authentique possible. On va aussi voir beaucoup dans notre enfance ce qui s’est passé et qui peut expliquer les choses qui clochent maintenant (rires et regards complice des deux auteurs). Le consentement était un sujet qui revenait énormément. Et puis on le voit aussi avec les enfants qu’on fréquente (neveux, nièces, enfants d’amis, etc.), ce rapport qu’ils ont au « oui » et au « non » et à quel point quand on les respecte dans leur « non », il y a après un rapport qui est très différent qui est plus dans la confiance… C’est pas du tout un outil pour manipuler une relation, mais ça peut être bénéfique dans la relation, à partir du moment où les enfants sont totalement en confiance et respectés dans leur « non » et leur « oui ».
Votre album est destiné aux 5-7 ans, comment fait-on pour expliquer un thème aussi complexe à de jeunes enfants ?
Thomas : On part du principe que le consentement n’est pas uniquement le consentement à la sexualité, c’est un consentement global. Donc on a pris des scènes du quotidien, très simples, très parlantes pour les enfants et qu’ils ont tous vécu : être forcés à embrasser quelqu’un qu’on n’a pas envie d’embrasser, finir un plat alors qu’on n'a plus faim... Et si on compare ces situations, ce qu’on oblige à faire aux enfants, avec notre propre ressenti, que se passerait-il si, vous adulte, on vous obligeait à faire pareil ?
Ophélie : Aujourd’hui, on est beaucoup sur le consentement physique (le fameux bisou à mamie), mais nous on a voulu aller plus loin. On a pris plusieurs illustrations (le droit à l’image, la nourriture, les jouets genrés…) pour expliquer que le consentement se niche à plein endroits différents et le message derrière tout ça c’est que tous ces petits contentements-là vont faire les grands consentements d’adulte.
Est-ce que ça veut dire qu’aujourd’hui qu’il faut laisser tout faire aux enfants ?
Ophélie : Merci de poser cette question qui revient beaucoup depuis la parution de notre livre. Pour nous le consentement est mutuel. Donc à la fin du livre, la Lune (qui vient voir la petite héroïne pour lui parler du consentement) lui explique que tout comme elle qui a le droit de dire « non », son frère, sa sœur, ses parents, tous les êtres de la Terre ont le droit de dire « non » et de poser leurs limites. Donc, l’idée ça n’est pas la toute-puissance de l’enfant, même si ce livre traite du droit des enfants, mais c’est un « non » mutuel. Si tu apprends à dire « non » et à te sentir respecté dans ton « non » et plus il te sera plus facile d’accueillir le « non » des autres. Et en tant qu’adulte, on a aussi nos « non » à dire.
Thomas : On a eu plusieurs fois des gens qui nous ont fait cette remarque, mais en fait c’était toujours des gens qui n’avaient pas lu l’album, mais uniquement le titre.
Pourquoi le choix d’un album illustré ?
Thomas : L’album illustré était une évidence pour toucher les enfants avec des dessins et des textes assez courts afin que ce soit le plus accessible pour eux.
Dans le contexte actuel (les affaires de pédophilie récurrentes dans l’église et ailleurs), le thème du consentement des enfants fait forcément écho à ces affaires ? Est-ce que quand vous avez écrit ce livre, vous y pensiez aussi ? Est-ce que vous pensez que votre livre pourra éviter ce genre d’affaires ?
Thomas : Pour ma part, ça a été l’un des nombreux éléments qui m’ont donné envie de parler du consentement, mais ça n’était pas que ça. Ce qui nous a aussi motivés c’est toute une avalanche d’évènements assez marquants dans la même période avec les #MeToo, les violences faites aux femmes. Toutes nos expériences personnelles aussi, où on n’a pas su respecter nos propres limites, pas su dire le « non » parce qu’on nous a appris à ne surtout jamais dire « non ».
Ophélie : Je n’ai pas la prétention de dire que ce livre va empêcher les personnes de se faire agresser. Parce que malheureusement aujourd’hui, les agresseurs ont plus de force physique sur les victimes, il y a une histoire de domination. Par contre, j’aime à croire qu’un petit garçon dont on aura respecté les « non », qu’on n’aura pas forcé à faire des bisous et dont on aura respecté l’intégrité, quand il aura 25 ans, 30 ans, 50 ans… et qu’il aura une domination sur les plus jeunes ou sur des personnes plus faibles, et bien, parce que lui aura été respecté, il n’aura pas envie de faire subir ça à d’autres. Car c’est ça le problème : ces petits garçons qu’on ne respecte pas, qu’on oblige à faire un bisou, un câlin, etc. on leur renvoie le message de « ton corps n’est pas important, j’ai le droit de dominer ton corps». Donc pour moi, ça n’est pas un livre pour apprendre aux jeunes filles ou aux petits garçons à dire « non » parce que malheureusement ça ne suffit pas. C’est plutôt pour toucher « l’inconscient des bourreaux » et faire qu’ils se disent « je ne vais pas faire ça » parce qu’on a respecté leur propre intégrité.
L’héroïne est une petite fille. Est-ce que ça aurait pu être un petit garçon ?
Ophélie : Il y a une chose à préciser, c’est une petite fille racisée (Ayo est une petite métisse) et c’est très important pour nous car il y a très peu de personnes racisées dans les albums jeunesse. On trouve plus d’animaux que de personnes de couleurs dans les albums jeunesse. Donc ça nous tenait très à cœur. Après c’est une petite fille parce que malheureusement, les petites filles restent majoritairement victimes de ces violences aujourd’hui.
Vous avez vécu un an et demi en Corrèze (Ophélie Célier est Lotoise d'origine et garde des attaches familiales dans cette partie de la France), est-ce que vous avez travaillé sur cet album là-bas ?
Thomas : On a eu l’idée là-bas, on l’a écrit là-bas et on a avancé sur les images là-bas, c’est un album corrézien ! (rires des deux)
Ophélie : On est des amoureux de la nature, donc on a fait des balades tous les jours. Souvent on trouve les idées de nos albums pendant nos balades : on pose nos téléphones et on discute entre nous de nos idées, de nos projets.
Thomas : En plus on était près d’Allassac, sur les hauteurs, donc on avait une vue dégagée sur toute la Corrèze. C’était très très inspirant comme endroit.
Est-ce que ce livre peut être lu aussi par les adultes ?
Ophélie : Ah oui, j’ai même envie de dire surtout par les parents ! Parce que ce livre peut ouvrir de merveilleuses conversations entre l’enfant et l’adulte. Il peut faire se remettre en question certains parents. Même s’il est un peu difficile à lire pour d’autres parce qu’il prône le droit des enfants. Mais oui. Surtout qu’on a fait le choix de mettre quelques mots un peu difficiles pour ce livre soit un support parent-enfant ou accompagnant-enfant.
Thomas : Ce livre pourra être une graine sur le consentement dans l’esprit des enfants qui le liront. Mais la graine, après si elle n’est pas arrosée et entretenue au quotidien par la famille, elle aura du mal à fleurir.
"J'ai le droit de dire non !" Album paru aux éditions PetitKiwi le 10 novembre 2021.