C'est l'un des événements de la rentrée littéraire 2022, le dernier livre de l'écrivain corrézien Franck Bouysse vient de paraître. Après un succès littéraire, un auteur se réfugie dans une ferme isolée. Mais quel est cet énigmatique voisin, sourcier et sorcier ? Un roman envoûtant sur la création. Entretien avec Franck Bouysse...
Grossir le ciel, Né d'aucune femme, Buveurs de vent, aujourd'hui L'homme peuplé... Œuvre après œuvre l'écrivain corrézien poursuit son sillon. Son dernier roman se conjugue à deux voix, deux personnages : Harry et Caleb. Entretien avec Franck Bouysse.
Harry
Après l'Aube noire, roman à succès, Harry s'achète une ferme dans une contrée perdue pour s'y réfugier.
« Harry n'est pas en quête d'inspiration. Ce n'est pas quelqu'un qui n'arrive plus à écrire. J'aime bien le mot réfugié. Ce n'est pas l'isolement qu'il recherche, c'est se réfugier dans quelque chose qui va le déséquilibrer, qui va peut-être révéler quelque chose de lui et lui permettre d'écrire vraiment. Ce n'est pas la page blanche, c'est la page noire. »
Caleb
Entre sourcier et sorcier, Caleb est voisin de l'écrivain Harry.
« Caleb n'est pas un être surnaturel. C'est un être de croyances. Je suis imprégné de ces histoires que me racontait ma grand-mère, de ces guérisseurs, des pouvoirs qu'on leur octroyait. C'est un monde où l'on voyait plus le guérisseur que le médecin. Quand Dieu fait défaut, on a besoin de croyances, le sacré est partout dans les campagnes. Cela représente ce qui dépasse l'homme, tout ce qui est fabriqué par son cerveau et qui se met à exister. »
Un roman à plusieurs voix
L'homme peuplé est un roman polyphonique où chaque personnage possède sa propre parole.
« Quand un personnage prend possession de toi, tu fais comme tu peux pour le raconter. Je lui laisse la place, il se débrouille. Parfois à la troisième personne, parfois à la première personne, ce n'est pas moi qui décide. »
« Ce roman fonctionne un peu comme un cerveau. Un cerveau est constamment en train de disjoncter, passer d'une pensée à une autre, il fonctionne comme ça. Personne ne passe d'un point A à un point B, il n'y a pas de pensée linéaire. »
La création au cœur du livre
« On est vraiment dans les considérations d'un écrivain qui se pose des questions sur sa création. Harry a fait miel de tout ce qu'il lisait, voyait, entendait, vivait. C'est avant tout un livre sur la création, sur son processus. »
« Quand j'écris, il y a quelque chose de puissant qui me dévore, qui me dépasse et qui rejaillit dans l'écriture. Les phrases sont des vagues plus ou moins hautes. Parfois elles sont courtes, restent en surface. Parfois, elles se déploient, tu ne sais jamais où elles vont aller. Elles permettent à l'histoire de se déployer, c'est fascinant. »
« Je trouve que l'on demande trop aux auteurs. On leur demande d'être sur des médias, d'exister ailleurs que dans leurs livres. C'est le livre qui est important, ce n'est pas l'auteur. Cela me rappelle le discours inaugural de Faulkner lorsqu'il a reçu le prix Nobel de Littérature : J'ose espérer que vous m'invitez pour mon œuvre et non pour ma petite personne. Cela dit tout. »
La rencontre entre l'auteur et le lecteur
« Écrire un livre, c'est pas un speed dating. Je ne vais pas écrire en me disant : tiens, voilà l'air du temps, tiens, je ne vais pas aller dans ces extrémités sinon cela va choquer. La fabrication devient aujourd'hui une norme où l'on crée de faux sentiments, de fausses sensations. On écrit que ce que l'on a en soi et la rencontre avec le lecteur est fortuite, elle est miraculeuse quand elle se fait. Au même titre que l'écrivain quand il écrit, le lecteur doit s'oublier. Il ne faut s'attendre à rien quand on entre dans un livre. »
L'homme peuplé où le paradoxe de l'écrivain qui pour décrire le monde a besoin de s'en extraire. Une magnifique mise en abyme sur la création littéraire.
Franck Bouysse dédicacera son nouveau roman ce mercredi 7 septembre à partir de 18h30 à la librairie Page et Plume de Limoges.