Le 9 juin 1944, à Tulle, les SS de la Division Das Reich pendaient 99 hommes et en déportaient 149 vers Dachau. Après trois ans d'enquête, Michel Tresallet, fils de Résistant, a découvert neuf déportés supplémentaires, tous morts dans les convois de la mort et en camp de concentration.
Ils s’appelaient Henri Fayat, François Bournazel, André Dellavie, Victor-Joseph Brette, Louis-Pierre Borie, Marcel Bordes, Jules Alter, André Tintignac et Marcel Gaud… Neuf hommes, Résistants, réfugié, commerçant, mécanicien, simple citoyen, ils font désormais partie des 157 hommes déportés dans les camps de la mort lors du massacre de Tulle par les soldats SS de la Division Das Reich, en juin 1944.
Des hommes que Michel Tresallet, fils de résistant mort en déportation, a retrouvé en 2014 après trois ans d'enquête minutieuse. Grâce à lui, neuf noms ont ressurgi de l'oubli, dont celui de Marcel Bordes.
Bordes Marcel, il est né en 1924, à Tulle, il a le matricule 76 545, il a été déporté le 9 juin 1944 à Dachau et il est décédé le 13 janvier 1945.
Marcel Tresallet, fils d'un Résistant mort en déportation
Depuis des décennies, ces informations dormaient dans des classeurs oubliés sur les étagères des archives municipales de Tulle. Jusqu'à ce que les gardiens de la mémoire se replongent dans le passé à l'occasion du 80ᵉ anniversaire du 9 juin 1944. Au moins neuf victimes, jusque-là inconnues de ce pan d'histoire tulliste, ont été identifiées.
"Parmi ces déportés, il y a essentiellement des hommes qui ont été requis dans le cadre du Service de Travail Obligatoire, qui ont travaillé à la Manufacture d'armes de Tulle par exemple, précise Nicolas Giner, responsable des archives de Tulle. Certains venaient de Saint-Etienne pour aller à Tulle. Et puis, dans un deuxième temps, ce sont, soit des réfugiés, soit des personnes raflées ailleurs, à Seilhac, notamment, qui ont été amenées le 9 juin à la Manufacture d'armes de Tulle pour ensuite être déportées le lendemain en direction de Compiègne et de l'Allemagne."
Pourquoi cet oubli ?
Une partie de l'explication se trouve dans un livre. Un document écrit au sortir de la guerre par Antoine Soulier, le père d'un supplicié. La première et seule liste officielle des martyrs.
"Ils ont recueilli des témoignages de personnes qui étaient présentes puisqu'il y a eu quand même 2 000 Tullistes qui ont été raflés. Certains ont témoigné en expliquant qu'untel était présent, qu'untel a été déporté", poursuit Nicolas Giner, le responsable des archives de Tulle. "C'est à partir de tous ces témoignages récoltés qu'ils ont établi la liste. C'est pour ça qu'aujourd'hui, on se retrouve avec des personnes oubliées parce qu'ils n'étaient pas forcément connus des Tullistes."
Cet ouvrage a gravé ainsi pour des décennies le nombre de victimes à 99 pendus et 101 personnes mortes en déportation.
On en est resté là. C'était suffisamment effroyable. On n'a pas cherché ailleurs.
Michel Tresallet, fils d'un Résistant mort en déportation
Il reste aujourd'hui à valider par des historiens et par le comité des martyrs de Tulle ces neuf nouvelles identités pour que leurs noms entrent à leur tour dans l'Histoire.
L’Histoire n’est pas figée, encore plus pour cette période-là.
Fabrice Grenard, historien spécialiste de la Résistance
Fabrice Grenard, historien auteur du livre "Tulle, enquête sur un massacre" poursuit "On trouve toujours, dans les deux camps, de nouvelles victimes. Ce qui est sûr, c'est que l’on est toujours sur des estimations en ce qui concerne les exactions allemandes. C’est aussi le cas de la colonne Brehmer lorsqu’elle a traversé la Dordogne en mars avril 1944, on est en train de réévaluer le nombre de victimes."
Le massacre de Tulle
8 juin 1944, un détachement de la 2e Division Das Reich investit Tulle. Depuis la veille, la ville est aux mains de la Résistance. Les soldats SS vont reprendre la cité et commettre de terribles représailles.
Le 9 juin, les hommes de la Das Reich rassemblent 3 000 hommes dans la cour de la manufacture de Tulle. Une déclaration des forces allemandes est placardée en ville dans laquelle est stipulée que, pour venger 40 soldats allemands tués, 120 maquisards ainsi que leurs complices seront pendus. Dans l’après-midi, des Tullistes sont relâchés, mais 400 restent retenus. Entre 16h et 19h, 99 hommes sont pendus par les nazis.
Les jours suivants, 149 Tullistes sont déportés vers le camp de concentration de Dachau au nord-ouest de Munich en Allemagne. Seuls 48 de ces hommes reviendront. En 48 heures, 213 civils seront tués à Tulle.
Le 9 juin, la Division Das Reich quitte Tulle pour rejoindre le front normand.
La 643e victime d’Oradour-sur-Glane
Le 10 juin 1944, la 3ᵉ compagnie de la Division Waffen SS Das Reich, soit environ 200 hommes, entrent dans le bourg d’Oradour-sur-Glane, en Haute-Vienne. Le village est encerclé, les habitants rassemblés sur le champ de foire. Les hommes, répartis dans des lieux clos sont systématiquement exécutés. Les femmes et les enfants sont tués dans l’église que les nazis tentent de détruire à coups d’explosifs. Un massacre qui fit 643 victimes.
Jusqu’en 2019, la tragédie d’Oradour-sur-Glane avait officiellement fait 642 victimes. Ramona Dominguez Gil, âgée de 73 ans au moment des faits, avait été omise de cette liste macabre. Grâce aux Archives Départementales de la Haute-Vienne, à l’association Ateneo Republicano du Limousin et au travail de recherche de l’historien David Ferrer Revull, la réfugiée espagnole qui avait fui la dictature franquiste en 1939 a été réhabilitée en tant que victime du massacre.
Avec d’autres réfugiés, elle vivait dans un camp non loin du village en compagnie de son fils Joan, sa belle-fille Marina et ses trois petits enfants Miquel, Harmonia et Llibert. Ils seront tous massacrés le 10 juin 1944.
Pour les familles concernées, c’est très important. C’est aussi important pour l’Histoire d’avoir les bons chiffres.
Fabrice Grenard, historien spécialiste de la Résistance
"Dans les victimes de ces exactions, il y a beaucoup d’inconnues, précise l'historien, responsable du département recherche et pédagogie à la Fondation de la Résistance. On connaît la problématique du Soldat Inconnu, commémoré sous l’arc de Triomphe à Paris. Au cours de la seconde guerre mondiale, il y a eu le même phénomène. Énormément de clandestins se cachaient sous une fausse identité, comme certains Républicains espagnols. Des gens que l'on connaissait sous forme de pseudonymes, c'étaient parfois des Espagnols dont on ne connaissait pas l’identité."
Depuis le 8 juin 2021, la photo de Ramona Dominguez Gil a rejoint la galerie des visages à l’entrée du village martyr d'Oradour-sur-Glane.