Une grande chaîne de solidarité, impliquant l'équipe de la fresque de Bridiers, les cabinets vétérinaires, les couturières du département et la présidente Valérie Simonet, permet de fournir en Creuse masques et blouses aux infirmières libérales et aux aides à domicile
Tout a commencé avec une demande du CCAS et de l'association des aides à domicile de la Souterraine.
"Dès les premiers jours de confinement, ils se sont rendus compte qu'ils n'avaient des stocks de masques que pour 2 ou 3 jours et après : terminé !" indique Jeannine Lepigre chef des couturières de la fresque.
Un peu oubliés dans un premier temps, ces personnels sont pourtant au contact des personnes âgées potentiellement fragiles et peuvent être des vecteurs de contamination du virus. Les aides à domicile viennent quotidiennement au domicile de leurs protégés et les employés du CCAS continuent de distribuer les repas à domicile.
Des tutos ayant commencé à circuler sur internet, notamment partagés par une infirmière du CHU de Montpellier, l'idée est venue de demander aux couturières de la fresque de Bridiers de se mettre à faire des masques. En chômage forcé, elles sont habituellement en pleine action pour concevoir les costumes du spectacle qui doit être joué début août. Avec un peu de créativité et de système D à la creusoise, elles ont utilisé les tissus stockés dans le "Sentier" (l'espace de confection et de stockage des costumes de la fresque de la Souterraine) pour fabriquer des masques composés de trois couches, deux de coton et une de ouate au milieu.
"Ce n'est évidemment pas un masque homologué ni chirurgical, ni FFP2. Il ne protège pas l'utilisateur mais en revanche il protège les autres de ses postillons. C'est mieux que rien" indique Jean-Noël Pinaud le réalisateur de la fresque.
Une centaine de masques ont ainsi été cousus et distribués, 80% aux aides à domicile et 20% au CCAS.
Mais l'initiative ne s'arrête pas là
La fabrication des masques n'était qu'une mise en jambe. La semaine dernière, un groupe sur les réseaux sociaux (whatsapp) d'infirmières libérales dont fait partie Valérie Simonet, la présidente du département, infirmière elle-même qui a repris du service, fait part du manque de matériel de protection. L'une d'entre elles, Amandine Savary de Faux-Mazuras, propose de faire des sur-blouses avec du voile d'hivernage. Elle se confectionne elle-même un prototype, une sorte de chasuble à usage unique qui permet de ne pas infecter ses vêtements.
L'idée était lancée. Valérie Simonet sollicite alors son réseau.
" J'ai appelé Gamm Vert, ils ont mobilisé leurs stocks à l'échelle du département et nous ont vendu les rouleaux de voile d'hivernage à prix coûtant".
Voilà déjà la matière première. Via Annie Lalande qui travaille au département et fait également partie de l'équipe de la fresque, les couturières du Bridiers sont à nouveau entrées en scène pour apporter leur savoir-faire.
Pour rappel, un certain nombre d'entre elles (elles sont une dizaine) sont d'anciennes employées de la marque De Fursac. Autant dire que partir d'un modèle pour élaborer un prototype, puis un patron et un tuto d'assemblage, c'est tout à fait dans leurs cordes.
" Le prototype était l'étape la plus prise de tête, heureusement nous avions une sur-blouse en modèle, nous avons pris les mesures et tout s'est enchaîné très vite, nous en avons coupé une cinquantaine" confie Jeannine Lepigre.
Dans le rôle du coursier/livreur, Jean-Noël Pinaud au volant de sa voiture est allé chercher la matière première à Guéret. "C'était sur le parking d'un supermarché. Nous avions l'impression de faire du marché noir. Ça recoupe le thème du spectacle de cette année consacré à la Résistance."
Même les costumes du spectacle servent au personnel soignant. Charge à lui de dispatcher cette matière première entre les couturières.
"On entend un petit toc-toc à notre fenêtre et on sait que le matériel est là" confirme Jeannine Lepigre.
" Ça permet à nos couturières, des femmes qui ont autour de 70 ans et qui sont parfois seules de continuer à faire valoir leur savoir-faire" appuie Jean-Noël Pinaud.
"Cette initiative est victime de son succès. Le centre de Noth nous en a demandé, l'hôpital et l'EHPAD de la Souterraine aussi. Après nous serons obligés de dire non. Nos couturières sont bénévoles. Nous ne pouvons pas leur demander une cadence industrielle. Nous avons même fini par mettre à disposition la quarantaine de costumes d'infirmières de la croix rouge de la guerre de 14 du spectacle à disposition. Elles serviront aussi de sur-blouse ".
Une fois le prototype et les patrons élaborés, un autre acteur est entré en jeu : le réseau des Couturières 23, créé au début du confinement et constitué d'une centaine de petites mains. Elles se sont proposées pour récupérer les patrons et les sur-blouses préalablement découpées par leurs consœurs de Bridiers pour les assembler et les coudre.
"C'est drôlement bien la Creuse !".
Ne restait plus qu'un dernier défi : l'acheminement. Là encore le système D made in Creuse est à l'œuvre.
"Le laboratoire départemental collecte les analyses des cabinets vétérinaires, une activité qui perdure pendant le confinement. C'est donc via cet outil logistique que nous faisons transiter le matériel" explique la présidente du département. "Nous ajoutons ensuite les masques FFP2 que nous avons pu collecter et nous créons un kit à destination des infirmières libérales et des aides à domicile du département. Hors de question de les mettre en danger".
Pour Valérie Simonet, le risque des prochains jours est de voir la contamination s'étendre.
"Nous avons cette chance d'être peut-être les derniers à subir la vague. Nous avons eu du temps pour nous préparer. Mais nous sommes un département où il y a beaucoup de personnes âgées et sensibles. Pour ceux qui seront diagnostiqués positifs mais n'auront pas des symptômes graves : ils seront en quatorzaine chez eux. Les infirmières et les aides à domicile risquent donc d'être très sollicitées et très exposées. C'est pour ça que cet élan de solidarité est très important. Je me dis : c'est quand même drôlement bien la Creuse".