La loi Egalim 2 doit permettre aux éleveurs de répercuter leurs coûts de production sur leur prix de vente. Face à la levée de bouclier des acheteurs, Bigard en tête, les deux plus grandes coopératives de la Creuse s'unissent pour instaurer un rapport de force plus favorable.
"On a reçu le premier ministre il y a un an à la coopérative et il nous a demandé de nous organiser. On l’a écouté, on s’organise". En bras de chemise quand le jour tombe à la même vitesse que la température, le président de la CELMAR est plutôt fier de son coup.
"On vient de créer une association d’organisation de producteurs, annonce Jean-Christophe Dufour, une AOP (rien à voir avec l’appellation). Pour pouvoir mettre en marché la totalité de notre production de boucherie de façon unique, avec une seule voix et comme ça, être plus fort devant les différents acheteurs, les différents abatteurs devant tout l’aval. On va pouvoir leur dire : si vous voulez des bêtes, celles de CELMAR ou CCBE, on n’a qu’une seule parole et c’est celle-là".
L’association d’organisations de producteurs n’est pas une première. C’est une forme juridique qui permet à des producteurs ou coopératives de s’associer sans pour autant tomber sous le coup de la loi contre les ententes sur les prix. Elle a déjà été utilisée par les producteurs de lait, les maraîchers ou les vignerons. Mais en bovin viande, c’est une première dans la région. En Creuse, le processus est donc lancé entre les deux plus grandes coopératives du département.
Unies, la CELMAR et la CCBE représentent environ 1000 éleveurs actifs et 90 000 bêtes.
Des chiffres qui pèsent un certain poids au moment de négocier les prix face aux abattoirs, aux grandes ou moyennes surfaces, et surtout face au groupe Bigard qui pèse à lui seul 60% du marché de la viande en France. Car pour les présidents des deux structures, la loi ne va pas suffire à garantir un prix rémunérateur pour les éleveurs.
"Egalim 2 doit permettre de limiter les dérives excessives. Mais à côté de ça, les éleveurs ne doivent pas tout en attendre. Vu la baisse des volumes, c’est vraiment le moment d’être à la manœuvre pour décider de nos prix. Plus on est nombreux, ensemble, et plus c’est facile", confie Jean-Christophe Dufour.
On voit que certains grands distributeurs, Leclerc pour ne pas le citer, commencent déjà à essayer d’exploiter toutes les failles de la loi. Après la baguette à 29 centimes, il va prochainement sortir le steak de vache laitière réformée sans OGM à moitié prix par rapport à un steak de charolaise ou de limousine.
Jean-François Aucouturier, président de la CCBE
Pour lutter contre ces pratiques, les présidents des deux coopératives parient donc sur la mise en place d’un rapport de force. Concrètement, un acheteur, abatteur, comme Bigard ou une grande surface, qui achetait auparavant 10 vaches à la CELMAR et 10 à CCBE, achètera dorénavant 20 vaches directement à l’association, au même prix.
"Nous aurons plus de poids, résume Jean-François Aucouturier, car nous pourrons garantir des quantités aux acheteurs. Nous avons besoin d’eux mais les abattoirs ont aussi besoin de nous pour faire fonctionner leur outil. Leur apporter de la régularité est un atout".
Les statuts ont été déposés devant le haut conseil à la coopération agricole qui doit les valider prochainement. Les éleveurs seront, eux, prévenus pendant les prochains conseils d’administration.
A quel prix arrivera-t-elle à négocier la vente de ses animaux de boucherie ?
L’association va prochainement être mise à l’épreuve des faits. Les négociations annuelles se déroulent en ce moment même, dans une certaine ébullition : la loi change tout. L’occasion de faire grimper les prix dans un contexte de pénurie favorable.
"On ne va pas trop s’avancer, pas trop se dévoiler afin d’obtenir le prix le plus haut possible, conclut Jean-François Aucouturier. Les charges ont tellement explosé qu’il faudrait le faire augmenter d’un euro le kilo. Là, on gagnerait un peu d’argent."