Il y a deux semaines, 57 réfugiés ukrainiens sont arrivés à Saint-Vaury, en Creuse. Parmi eux, Natacha, ses trois filles, Ksenia, Katia, Anna, et sa nièce, Dacha. Rencontre avec ces femmes et les associations et collectivités qui vont les aider à se reconstruire, ici ou ailleurs.
Il y a deux semaines, 57 réfugiés ukrainiens sont arrivés à Saint-Vaury, en Creuse. Parmi eux, Natacha, ses trois filles, Ksenia, Katia et Anna, et sa nièce, Dacha : « Nous sommes arrivées en bus avec beaucoup d’Ukrainiens. Certains sont directement allés dans des familles, d’autres habitent ici dans des appartements ».
Ce que je remarque immédiatement chez Natacha c'est son français quasi-parfait, ponctué d’un accent slave. Cela nous a permis d’échanger le temps d’une journée sur leur intégration en France. Nous entamons notre discussion autour d’un café.
« Pour l'instant, ça va »
Aujourd’hui, Natacha est toujours hantée par ce qu’elle et ses filles ont vécu dans leur village de la région de Kiev. Elles ont laissé derrière elles leur père et mari, engagé dans l’armée ukrainienne au Donbass. « On l’appelle tous les jours. Tout va bien » confie-t-elle avant de reprendre : « enfin, pas très bien, parce que c’est la guerre, mais pour l’instant, ça va. » D’après elle, son mari n’a pas voulu prendre sa retraite, car il savait qu’il devrait se mobiliser prochainement, « il ne nous l’a pas dit pour ne pas nous inquiéter ».
Ce jour-là, Anna sa plus grande fille, tente de joindre son père avec son téléphone portable, en vain. Ces derniers temps, le réseau n’est pas très stable en Ukraine, elle retentera sa chance plus tard.
Ses filles justement, Natacha tient à les préserver. Pour la guerre, elles savent. « Les filles ont tout vu, tout entendu. Elles ont entendu les avions qui passaient, les bombes. Elles ont vu les bombardements. », confie-t-elle. A mesure que Natacha parle de ses filles, ses yeux s’embuent. C’est un sujet sensible pour cette jeune maman. « Pour moi, l’important c’est que mes filles ne soient pas en danger. Ici, on se sent très bien. Il faut qu’elles apprennent le français ».
Une deuxième famille en Creuse
Natacha et ses filles ont trouvé du réconfort auprès de leur deuxième famille, Christiane et Jacques Forgeron, qui font partie l’association Corrèze Creuse pour les Enfants d’Ukraine depuis 29 ans.
Le couple connaît Natacha depuis qu’elle a huit ans, elle venait en stages linguistiques en Creuse et a été hébergée chez eux pendant des années. « Je l’ai appelée où le jour-même où la guerre s’est déclenchée, elle m’a dit qu’elle ne voulait pas venir, qu’elle voulait rester en Ukraine et on entendait aux informations, elle était à une centaine de kilomètres de Tchernobyl, dans un village très isolé, on était très inquiets. » confie Christiane. Dans leurs échanges, leurs regards, je sens que ces deux-là sont très fusionnelles. Et pour cause.
« Je suis une enfant de Tchernobyl »
Natacha me raconte très succinctement une partie de son enfance, une nouvelle fois liée à une catastrophe. « Je suis une enfant de Tchernobyl, j’ai une carte où c’est inscrit, c’est reconnu pour toujours ». En 1986, elle vivait à une centaine de kilomètres lorsque l’explosion de la centrale est survenue. Avec les retombées radioactives, elle me raconte que ses parents sont tombés gravement malades, de la thyroïde notamment. Ils sont décédés. C’est tout ce qu’elle me dira à ce sujet.
L’association Corrèze Creuse pour les Enfants d’Ukraine a tout justement été créée à la suite de cette catastrophe, en 1992. Natacha fait donc partie des premiers enfants à avoir bénéficié du double programme d’accueil pédagogique-linguistique et humanitaire. Jacques et Christiane étaient adhérents à l'époque. Natacha est leur protégée depuis toujours. « C’était évident pour nous qu’il fallait qu’elle vienne se mettre en sécurité à Saint-Vaury », confie Christiane.
Une nouvelle vie
Notre discussion autour de leur rencontre est interrompue par le retour des trois filles de Natacha, sa nièce et de Jacques Forgeron. Il les avait accompagnées pour faire des photos d’identité nécessaires à la construction de leur dossier pour demander une protection temporaire votée par l’Union européenne début mars. Cette mesure d’urgence leur permettra de travailler, d’aller à l’école et de bénéficier d’aides sociales et médicales.
Les quatre jeunes filles brandissent fièrement leurs précieux portraits, premier pas vers leur nouvelle vie.
Ce nouveau départ facilité grâce aux quelques dons des Creusois comme ces poupées, avec lesquelles joue la jeune Ksenia, 7 ans. « Depuis qu’elle les a, elle ne fait que jouer avec elle » confie sa mère en regardant sa fille. Ksenia et ses sœurs ne parlent pas français.
Une semaine après mon entretien avec leur maman, nous tournons un reportage sur l’intégration des jeunes ukrainiens à Saint-Vaury. Ils sont huit ce matin à rejoindre les rangs de l’école avec leurs tuteurs, des élèves français. Parmi eux, Anna, l’aînée de Natacha.
La barrière de la langue
Depuis deux semaines, treize autres familles se sont installées temporairement dans ces appartements mis à disposition par la mairie de Saint-Vaury. Natacha et Christiane m'emmènent à la rencontre d'Anna et Olena, deux belles sœurs venues avec leurs filles, Eva et Anna.
Elles sont originaires de Kiev. Cela fait quelques minutes que nous nous sommes rencontrées et déjà elles me confient avoir tout perdu. « Nous avons laissé nos hommes, nos pères. Nos maisons sont détruites par les bombes et les inondations. Nous avons passé nos vies à construire nos maisons, nous n’avons plus rien aujourd’hui, mais nous reconstruirons tout ça après la guerre» confient-elles le visage fermé.
Nous reconstruirons tout après la guerre.
Anna, Ukrainienne
C'est la première fois qu'elles viennent en France. « Nous avons l’impression d’être en vacances ici, en France. Nous espérons pouvoir travailler. Nous n’avons tellement pas l’habitude de rester sans rien faire. Nous voulons travailler », insistent les deux femmes.
Lorsque je leur pose la question : « Quelle est votre première impression sur les Français ? » elles se regardent et sourient. « Ce sont de bonnes personnes, cela se voit sur leurs visages, mais on ne peut pas parler avec eux, donc on ne sait pas trop répondre… En Pologne, on ne parle pas leur langue, mais ça se ressemble… Là, nos langues n’ont rien à voir, on ne peut pas les comprendre et se faire comprendre. »
Pouvoir parler français et travailler c'est la priorité d'Anna. Elle est étudiante en hôtellerie-restauration, mais ce qu'elle veut c'est faire des stages pour apprendre le métier en France. Elle m'explique que chaque soir, elle révise le français sur des applications mobiles.
Les coulisses de l'accueil des ukrainiens
Plus tôt dans la journée, Christiane et Jacques Forgeron m'avaient donné rendez-vous à la mairie. A mon arrivée, je les retrouve dans le hall avec Philippe Bayol, le maire, Frédéric Giraud, le directeur de mairie et Christophe Marguerite, directeur du Comité d'accueil creusois.
Ils me confient faire le point ensemble régulièrement pour permettre aux Ukrainiens de s'intégrer le plus facilement possible à la vie de la commune. Ce matin-là, ils ont évoqué précisément la prise en charge médicale des réfugiés. « Nous essayons de coordonner tous les acteurs du secteurs, il y en a plus que ce qu'on ne pensait, on en découvre tous les jours.» précise le maire.
Au Comité d'accueil creusois, deux nouvelles personnes ont été investies pour accompagner les Ukrainiens notamment dans les démarches administratives. Question de proximité m'explique son directeur. « Les éducateurs et travailleurs sociaux se sont beaucoup investis. Lutter contre l'exclusion, ça fait partie de nos valeurs. »
Un travail collectif mené depuis le 25 février dernier. Dans un premier temps avec la mise à disposition d'un bus pour faire parvenir aux Ukrainiens des produits de première nécessité pendant leur périple depuis l'Ukraine, puis en décidant de faire un trajet en bus jusqu'à la frontière avec la Pologne pour récupérer les 57 Ukrainiens arrivés à Saint-Vaury deux semaines plus tôt.
Leur vie pour l'Ukraine
Un investissement dont j'ai été témoin en passant la journée avec Christiane Forgeron.
Du matin au soir, son téléphone n'a cessé de sonner : sensibiliser les familles d'accueil à la responsabilité de recevoir une famille d'Ukrainiens, renseigner les familles Ukrainiennes sur les démarches à suivre avant de se rendre en Préfecture, expliquer les démarches pour faire des dons.
Sur le moyen terme, Christiane craint que cette solidarité s’estompe, « dans la durée, c'est dur quand on accueille 4 personnes chez soi, c'est compliqué. On accueille des gens traumatisés qui peuvent avoir perdu un papa, un mari, un fils au pays. Il faut avoir conscience que ce n'est pas l'histoire de quinze jour. »
L'union fait la force. Ensemble, Jacques et Christiane ont consacré leur vie à l'Ukraine et à l'accueil de jeunes Ukrainiens pour des séjours linguistiques et humanitaires. Ils me confient que l'association avait perdu un peu de son dynamisme ces derniers temps, avec un nombre d'adhérents en baisse.
Eux, avaient prévu de recevoir une jeune étudiante à l'automne, elle est arrivée plus tôt que prévu dans sa nouvelle famille. Une deuxième famille, aimante et bienveillante, qu'elle gardera sûrement à vie, comme c'est déjà le cas pour Natacha.