Les réunionnais de la Creuse ont désormais une stèle en leur mémoire à l’aéroport d’Orly. Elle vient d’être inaugurée par le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, en présence de quelques-uns d’entre eux. Un acte symbolique supplémentaire après que l’Etat a admis une « faute » en 2018, à la remise du rapport de la commission chargée d’enquêter sur la transplantation des mineurs réunionnais en Creuse.
« S’il y a une faute, il faut réparer » embraye ce jour-là le Ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu devant quelques Enfants de la Creuse dans le hall du Terminal 4 de l’aéroport d’Orly. Ils ne sont qu'une dizaine ce jeudi 17 février, mais les enfants dits "de la Creuse" sont bel et bien présents. Cela fait un an que la fédération des Enfants déracinés des DROM se bat pour l'inauguration de cette stèle, reportée plusieurs fois à cause de la crise sanitaire. Le moment était chargé d'émotion. La plaque commémorative érigée en leur honneur s'inscrit dans le cadre de la série d'actions initiées par le gouvernement pour lutter contre l'oubli de leur histoire douloureuse. C'est d'ailleurs la première fois que l'Etat organise ce type de manifestation en France hexagonale, selon l'association qui a porté le projet de cette stèle.
Violation des droits de l'enfant
Entre 1962 et 1984, plus de 2.000 enfants réunionnais sont passés par l'aéroport d'Orly pour entamer leur calvaire dans l'Hexagone. Les experts ayant travaillé sur le sujet ne sont pas parvenus à un chiffre précis sur le nombre d'enfants transplantés en hexagone. Leur histoire est celle de la violation des droits de l'enfant. C'est aussi l'histoire des violences faites à des familles de La Réunion.
La commission sur la transplantation des mineurs de la Réunion en hexagone a montré que c'est bien la logique démographique qui a commandé ce que certains appellent "la déportation" des Enfants de la Creuse. Cette enquête minutieuse a permis d'établir que c'est sous les hospices de Michel Debré que l'exil forcé a pris de la vigueur, à partir de 1963, avec une zèle marqué à partir de 1966.
Le député de l'époque trouvait la fécondité trop élevée, et l'île surpeuplée. Il s'inquiétait et a donné des consignes pour qu'on accélère l'envoi d'enfants vers la métropole. Un critère s'est alors imposé : il fallait qu'ils soient pupilles de l'Etat. Mais le rythme s'est emballé et ils sont nombreux à avoir été déclarés "pupilles de l'Etat" alors qu'ils avaient encore leurs parents.
Pour Sébastien Lecornu, « venir ici pour marquer cette stèle qui rappelle les éléments de l’histoire, est une façon de lutter contre l’oubli parce qu’on le sait très bien, que malheureusement, un oubli récurrent s’installe trop souvent trop vite désormais dans notre société, admet le ministre des Outre-mer. Car une société qui oublie ce qui s’est passé, il y a seulement quelques décennies, par définition se met en danger sur le terrain des valeurs et sur le terrain des principes ».
À l'origine de cet épisode sombre de l'histoire de France, la décision des pouvoirs publics de l'époque de repeupler certains territoires frappés par l'exode rural. « Il y a effectivement des enfants qui ont été déracinés, mais il y a des familles auxquelles on a arraché ces enfants. Il y a des parents, il y en a encore, même s’il y en a peu qui vivent encore aujourd’hui, mais il y a potentiellement, des frères, des sœurs, des oncles, bref la cellule familiale, à laquelle on a arraché ces enfants. Il ne faut pas les oublier, » Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de la protection de l'enfance.
La Fédération des enfants déracinés des départements et régions d'Outre-mer parle d'une faute de l'État. Elle demande une réparation mémorielle.
« Ce que l’on demande détaille Valérie Andanson, de la fédération des enfants déracinés des DROM, c’est la création d'un lieu de mémoire et de ressource à Guéret dans la Creuse ainsi qu’à Saint-Denis de La Réunion. Ce que l’on souhaite, c’est que notre histoire soit rentrée dans les manuels scolaires, parce que c’est une histoire de France. Il faut qu’elle soit étudiée au niveau de l’Education nationale. C’est très important pour nous ».
L'association est à la recherche d'un million d'euros pour financer l'aménagement d'un lieu de mémoire et de ressources à Guéret, dans la Creuse, et à Saint-Denis de La Réunion. Le projet vient d'être soumis au gouvernement.
On va continuer notre combat
La fédération porte également un grand projet à l'échelle européenne : à l'initiative de la fondation suisse Guido Fluri, pour lutter contre les abus faits aux enfants. Valérie Andanson, exilée en Creuse à l'âge de 3 ans, vient d'ailleurs d'être élue directrice de campagne d'un programme appelé Justice initiative pour lutter contre toutes les formes d'abus faits aux enfants.
En septembre 2022, un colloque doit d'ailleurs se tenir à l'Hôtel de Ville de Paris en présence de plusieurs représentants de pays européens et d'associations de défense des droits des enfants.
En France, "on veut être considérés comme des victimes et on demande des excuses publiques de la part du gouvernement français" insiste la présidente de la fédération des Enfants déracinés des DROM. La stèle, dont son association a imaginé le contenu, fait partie des actes que les Enfants de la Creuse attendent de l'Etat. Elle a vécu 40 ans en Creuse, elle est retournée vivre à La Réunion aujourd'hui où elle a retrouvé son père biologique. Sa structure a également obtenu de l'Etat la mise en place en Creuse des "Arbres à parole" : un dispositif d'écoute avec des groupes de parole conduits par la psychologue clinicienne Marion Feldman. "Des petites victoires qui nous donnent du courage pour continuer notre combat", conclut Valérie Andanson dans un sourire.