Ce samedi 29 juin 2024, la cour d'assises de Niort, dans les Deux-Sèvres, a rendu son verdict concernant un père de famille soupçonné d'avoir provoqué le décès de son bébé alors âgé de six semaines. Fait particulier : l'affaire a été jugée quatorze ans après les faits. L'accusé a été acquitté.
L’ambiance était pesante jusqu'aux derniers instants du procès dans la salle du tribunal de Niort. Frédéric Fernandez était soupçonné d'avoir secoué son fils âgé de six semaines seulement, quelques jours avant son décès. L’avocate générale requérait quinze ans de réclusion criminelle contre l’accusé, tandis que les avocats de la défense plaidaient son acquittement. Les jurés de la cour d'assises des Deux-Sèvres ont rendu leur verdict, le père de famille a été acquitté, plus de quatorze ans après les faits. Durant les cinq jours de débats entre les murs du palais de justice de Niort, s'est joué le portrait d'un bébé, celui de Kean, la victime.
Le portrait d'un bébé devant la justice
En décembre 2009, Kean, nourrisson âgé de six semaines, est admis en urgence au CHU de Poitiers. L’enfant est dans le coma, il décédera dix jours plus tard. Quelques jours plus tôt, alors que Kean ne trouve pas le sommeil et hurle, son père se lève pour lui porter un biberon dans l'intention de le calmer.
Les débats ont consisté à partager et à trancher entre les versions des deux parents sur ce drame qui s'est déroulé à La Chapelle-Saint-Laurent. Pour la partie civile, Kean est mort après dix jours d’agonie suite à des secousses commises par le père. Cet homme, pompier de profession, est présenté comme impulsif et violent, à la maison, c'est lui qui faisait la loi. Sa loi, avec son lot d’insultes, de coups et de viols conjugaux. « Mon fils, je vais l’élever à la dure » aurait-il déclaré à son entourage, « Aujourd’hui, je lui ai mis sa première gifle ». Appelé à la barre pour s’expliquer, l’homme, à la voix chevrotante, nie, "c’est sur le ton de la plaisanterie que j’ai dit ça".
La mère de Kean attendait ce moment depuis très longtemps. Le procès se déroule plus de quatorze ans après les faits, car la procédure n'a débuté qu'en 2014, après la condamnation du père pour violences conjugales. Il avait écopé de six mois avec sursis.
Dans le cadre de ce procès, les avocats de son ex-compagne, en sont convaincus : si leur bébé est décédé, c’est parce qu’il a été victime du syndrome du bébé secoué. Ce geste tue tous les ans des nouveau-nés. L’expertise médicale confirme la présence de lésions, avec un traumatisme crânien cérébral qui a entraîné la mort du nourrisson.
La partie adverse construit sa défense sur le fait que ces lésions étaient présentes suite à l’utilisation des forceps, sorte de pince utilisée pour guider le bébé à la fin du travail. "Kean n’est pas mort parce que son père l’a secoué, mais parce qu’il existait déjà une fragilité".
« La Défense a fait le choix de tuer une deuxième fois Kean »
Ce soir-là, le père n’arrive pas à calmer l'enfant, la mère arrive. Il lui tend l’enfant. Elle comprend à ce moment qu’il y a un problème. Sur le banc de la partie civile, assise, la tête sur l’épaule de son père qui la couvre de son bras protecteur, la mère de Kean, visage amaigri, à la silhouette frêle, porte un tee-shirt à l’effigie de son fils trop tôt parti.
L’avocat de la partie civile martèle : "c’est un stratagème !" pour décrire le choix de la défense dans l’approche de ce drame familial, "une ruse", selon lui, afin d’éviter à l’accusé d’assumer son geste Irréparable. "La défense a fait le choix de tuer une deuxième fois Kean".
Pour Monsieur Fernandez, les médecins n’ont rien compris, les procureurs ont tous les défauts du monde, la justice fait erreur, les experts sont des idiots, la gendarmerie incompétente. Pour Monsieur Fernandez, tout le monde se trompe.
Avocat de la partie civile
Lors de la plaidoirie, le ton de l'avocat monte en s’adressant à la cour sur la cause du décès : "On va essayer de vous faire croire qu’il s’agit d’une maladie génétique ou extrêmement rare ou une maladie qu’on n’a pas encore découverte, nous sommes dans l’absurdité !"
La théorie d’une maladie
"Comment expliquer que ce papa qui a perdu son bébé ne pose aucune question pour connaître les causes de la mort de son bébé ?", interroge-t-il au cours de sa plaidoirie. L'avocat du père, quant à lui, parle "d’erreur judiciaire". Il avait auparavant demandé l'annulation de la procédure au motif du dépassement d’un délai raisonnable. Demande rejetée, comme la demande d’accès au dossier médical et au renvoi du procès. Il évoque une pathologie dont souffrait l’enfant qui serait à l’origine de son décès.
Pourtant, ce n'est pas l'avis de l’avocate générale qui se lève à son tour et s’adresse aux jurés : "Quel est mon rôle ? C’est celui de vous démontrer qu’il y a eu violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Si j’avais un doute, je demanderais l’acquittement. Quand j’ai eu à prendre ce dossier, je me suis effondré face à des preuves évidentes. La lenteur de ce procès démontre que tout a été mis en œuvre pour chercher à comprendre, avec plusieurs enquêtes, pour prendre le temps d’instruire à charge et à décharge, on ne peut pas dire que les investigations ont été faites dans le non-respect de l’accusé, bien au contraire. Je me suis basée sur des preuves objectives, pas sur l’émotion. Je retiens les rapports faits par quatre spécialistes experts judiciaires qui nous disent quoi ? Un premier médecin nous dit qu’il faut des analyses supplémentaires, et il ne certifie pas le syndrome du bébé secoué, mais suspecte cette possibilité. Puis toutes les suppositions sur un accouchement difficile ayant entraîné des lésions ont été écartées, tout comme la maladie, la malformation, les médecins dans un complément d’expertises confirment la présence de saignements expliqués par le secouement de Kean".
Pour être sûr de ne pas accuser à tort Monsieur Fernandez, on a continué les expertises, un docteur nous dit : les lésions sont caractéristiques d’épisodes de violences sur la victime.
Avocat général
Sur son banc, en pleurs, la mère écoute la description des derniers moments de son fils. Puis l’avocate générale dresse le portrait de ce père qu’elle qualifie de "menteur", "plein d’incohérences", pour qui "tout est la faute des autres". "Une personnalité impulsive", qui ne se remet pas en question, dans le déni, "irritable, nerveux, ne supportant pas la frustration, sa culpabilité est enfouie", il ne la reconnaîtra pas. "Avec tous ces éléments, ces preuves, je considère ainsi que M. Fernandez est coupable d’avoir tué son enfant.". L'avocate générale avait demandé quinze ans de réclusion. Il n'en sera rien.
Le parquet a désormais dix jours pour faire appel de cette décision.