Deux-Sèvres : la "transmission", étape indispensable pour ne pas perdre nos exploitations agricoles

Nous sommes allés à la rencontre de Dominique, Audrey, Jean-Pierre et Flavien. Les uns sont cédant, les autres, repreneurs. Ces deux générations se sont rencontrées à l'occasion de la "transmission" de leur activité caprine. Une étape indispensable pour ne pas perdre ces exploitations.

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La "transmission" d'une exploitation de la filière caprine est un moment très important dans la vie de ces éleveurs. Les cédants doivent trouver leur relève. Mais là, on ne se passe pas juste une exploitation, on transmet aussi un moyen de production, un élevage et surtout, un savoir-faire.

La "transmission" est un moment crucial dans la vie d'une exploitation. Elle permet de poursuivre une activité et de continuer un travail avec une organisation déjà en place. C'est là aussi un gain de temps et de productivité pour le repreneur.

Des exploitations en danger

Avant, les exploitations agricoles (ou d'élevages) passaient de génération en génération. Les enfants reprenaient l'activité des parents, et ainsi de suite. Mais aujourd'hui, les descendances ne reprennent plus forcément l'activité familiale. Il faut alors trouver une solution pour ne pas perdre ces exploitations.

Trois départs pour deux arrivées

Aujourd'hui, les reprises "hors cadre" (hors cercle familial) représentent près de 35% des reprises (contre 5% il y a encore quelques années). Le but est celui d'augmenter ce chiffre jusqu'à arriver à 50% de reprises. Dans le cas contraire, si dans les 10 ans à venir, les transmissions ne pouvaient pas se faire, on perdrait 50% des exploitations. C'est ainsi que les Chambres d'Agricultures, mettent en place des process et un accompagnement des exploitants.
A ce jour, dans les Deux-Sèvres, 200 exploitations recherchent des repreneurs.

► A la rencontre de Dominique Gruget (cédant) et d'Audrey Pelletier (repreneuse)


Lors de cette première rencontre nous sommes allés à la rencontre de Dominique et Audrey. Lui souhaite céder son exploitation, elle est sur le point de rejoindre le Groupement agricole d'exploitation en commun du Château Menu, près de Niort.

Dominique à 59 ans. Il a décidé de partir à la retraite le 1er juin. Mais pour cela, il a préparé son départ depuis plusieurs mois. Accompagné par la Chambre d'Agriculture des Deux-Sèvres, il va bientôt céder les parts qu'il possède dans ce GAEC. Le GAEC du Petit Chauveux regroupe 680 chèvres (un troupeau de belle taille), 200 chevrettes d'élevage et 60 vaches allaitantes. En plus l'exploitation possède environ 390 ha de cultures et prairies.

C'est en 1985, avec ses deux frères (tous associés), que Dominique Gruget débute cette exploitation. Puis, en 2004, ils constituent un GAEC avec une autre exploitation. Ses frères ayant pris d'autres chemins.

J'ai toujours eu envie de faire ce métier et d'élever des chèvres au grand dam de mon père qui voulait que je fasse autre chose. Traditionnellement, il y avait toujours des chèvres chez nous qui faisaient le fromage. Un de mes frères (un peu plus vieux que moi avait dans l'idée de développer cette production là, et je l'ai toujours suivi).
- Dominique Gruget – éleveur caprin – GAEC du Petit Chauveux

Dominique explique qu'il aime bien le caractère de cet animal auquel il s'attache facilement. Ces chèvres sont là pour produire du lait. Ce n'est pas un animal destiné à faire de la viande. Il essaie de les garder le plus longtemps possible. Et pour qu'elles puissent produire correctement, il y a beaucoup de chose à surveiller, les rations à étudier, leur amener de la bonne qualité en aliments…

On a nos amies, nos copines ! On leur donne parfois des petits noms. C'est agréable de travailler ainsi. C'est aussi plus facile à supporter que des collègues.

Des journées bien remplies

Le matin la traite débute à 7h00, pendant ce temps, un autre retire les refus (ce qui n'a pas été mangé). Ensuite, il y a le temps du nettoyage de la chèvrerie, enlever le fumier… Sans oublier la traite du soir, vers 17h00.

Il faut suivre les saisons

Un élevage caprin est bien réglé. Au printemps il y a la récolte du foin. Les mises bas se déroulent principalement au mois de janvier, et en été, il a la période des reproductions. En automne, il faut commencer à préparer la prochaine campagne (tarir des chèvres pour qu'elles se reposent...).

Ce métier est à la fois une routine, tous les jours, et dans cette routine, il y a des saisons.

Y a-t-il des sacrifices dans ce métier ?

Dominique : Oui, il y en a mais nous sommes organisés en de manière à travailler à plusieurs. Car il faut travailler tôt le matin et tard le soir (pour la traite). Et dans la journée, on travaille pas mal aussi pour toute la partie administrative. C'est Audrey qui prendra la relève pour cette partie-là. On ne peut pas s'en aller loin si on veut partir quelque part. Car dans l'organisation de la journée, si on veut partir, il faut que tout soit fini. Ça c'est une contrainte. Mais en même temps c'est ce qui fait l'intérêt de ce métier.

Depuis que je suis installé, je n'ai jamais vu le temps passer. J'aime mon boulot.

Dominique : Pour ma part, je n'aurais pas été très à l'aise avec une hiérarchie au-dessus de moi. Là, je fais ce que je veux, dans la mesure de notre organisation. Ainsi, chacun choisi un peu ses domaines de prédilections. Et on se remet en question tout le temps. Aujourd'hui je souhaite transmettre des moyens de production, et ensuite de transmettre un savoir, une passion. Maintenant il est temps que je passe à autre chose. J'ai cette possibilité-là.

Une retraite ou un passage de témoin ?

C'est donc bientôt pour moi une autre vie. J'ai envie de découvrir quelque chose d'autre. C'est un métier qui m'a énormément passionné et qui m'a pris beaucoup de temps. Et il va me manquer. Cette retraite est comme une petite aventure.
Pour cette transmission, c'est l'an dernier que j'ai commencé à penser à transmettre. Je me suis donné cinq ans. Aujourd'hui, j'ai 59 ans. J'ai cinq ans devant moi, c'est le temps qu'il faut pour trouver quelqu'un et transmettre raisonnablement les choses.

Je me suis surpris d'avoir envie de changer de vie !

Comment trouver le bon élu (la bonne élue) ?

Moi j'ai trouvé quelqu'un via les réseaux sociaux avec l'aide de Florian, un collègue. Dans un premier temps, on s'est rencontré pour parler du projet et de comment on voyait les choses. Ensuite le cheminement est venu et c'est tout naturellement que nous nous sommes dit qu'Audrey était la bonne personne. Un rapport de confiance s'est instauré avec elle.
Audrey a 26 ans. Elle est originaire des Deux-Sèvres. Auparavant, elle était en CDI. Mais elle ne pouvait pas tout quitter avant de savoir si ça allait vraiment marcher et si les organismes (banques…) allaient pouvoir la suivre. Car plus qu'un nouvel emploi, elle doit s'intégrer au sein de ce GAEC, et donc, en prendre des parts sociales. Il y a là un enjeu financier qu'il ne faut pas négliger.

J'ai quitté un CDI, j'ai une petite fille de 18 mois, j'ai une maison. Ce n'est donc pas une décision à prendre à la légère. C'est un investissement c'est une vie, une carrière. Je dois voir sur du long terme.
- Audrey Pelletier

Audrey a dû s'organiser financièrement (pour l'achat des parts sociales par exemple). Elle devra faire un prêt. C'est l'investissement de toute une vie.

Pour moi, c'est le bon moment

Après ses études en BEPA agricole option élevage équin et BAC PRO CGEA, elle a été salariée. Mais aujourd'hui, elle se sent prête à vouloir s'installer et prendre des décisions.

Audrey : J'ai toujours voulu m'installer car c'est aussi une manière d'être épanouie. J'ai commencé par une formation obligatoire en stage découverte dans un élevage caprin. C'est là que j'ai vu que c'était cela qui me plaisait vraiment et ce que je voulais faire par la suite. C'est plus qu'un élevage. C'est aussi une relation particulière qui s'instaure avec les animaux. On s'y attache. Être en période de parrainage me permet de voir l'ensemble des étapes de gestion d'élevage sur l'année entière.

Comment concilier vie professionnelle et vie personnelle ?

Audrey : L'organisation en GAEC permet tout de même d'avoir des avantages. Nous pouvons nous organiser pour avoir des congés et des week-end en famille. Avec les autres collègues, on planifie le travail. A trois (sur l'atelier caprin), il est possible d'être présent en permanence à la ferme. C'est aussi pourquoi j'ai fait le choix de m'engager dans ce type d'organisation. Au niveau responsabilité, on n'est donc pas seul de prendre des décisions. On fait ça ensemble, c'est plus constructif. En plus, je me sens bien intégrée et écoutée. Le fait que je sois une fille n'a rien changé.

Dominique (le cédant) explique que ce qui sécurise une installation c'est d'arriver dans une entreprise qui fonctionne bien et qui est en vitesse de croisière. D'autant plus qu'il y a des (bons) chiffres qui confirment son propos. Audrey a présenté un "prévisionnel" auprès des organismes prêteurs. Mais ce qui plait, c'est aussi de savoir que cette activité est bénéficiaire. En ce moment Audrey est en période de parrainage. C'est-à-dire qu'elle apprend à travailler avec les autres membres du groupement (GAEC), mais aussi que les autres membres apprennent eux aussi à travailler ensemble avec elle. C'est dans les deux sens. Il faut que ça "match". C'est peut-être ça qui peut être le plus difficile. Car il faut que la nouvelle associée prenne sa place dans cette organisation existante.

Des stages pour accompagner ce parrainage

Audrey pourra bénéficier de stages "à la carte" en fonction de ses besoins en conseils ou en appuis techniques. Durant un peu plus d'un an, Audrey pourra se faire une idée réelle de ce nouveau métier, au sein de ce groupe.

Un rapport de confiance

L'intérêt du parrainage est de pouvoir prendre un temps d'acclimatation et de création de lien entre le cédant et le repreneur. C'est donc une période test qui permet aussi de prendre des repères.
Le lait produit au sein de cette exploitation est envoyé à la Coopérative Laitière de la Sèvre (CLS) (79). C'est une laiterie qui rassemble 60 producteurs de chèvres et environ 60 producteurs de vaches. Le lait récolté servira à faire du fromage de chèvre.

► A la rencontre de Jean-Pierre Tribot (cédant) et de Flavien Favre (repreneur)

Nous avons aussi rencontré Jean-Pierre Tribot (56 ans), éleveur de chèvres au sein de l'EARL de La Tête Noire à Périgny (Deux-Sèvres). Il va céder son exploitation à Flavien Favre (23 ans), originaire de Bougon (79).
Jean-Pierre est installé depuis 1984. Il a tout créé (installation, bâtiments, troupeau, terres autour…). Désormais, Jean-Pierre souhaite transmettre son exploitation de 500 chèvres à un jeune et partager son savoir-faire. Le parrainage est en place. L'installation de Flavien est prévue le 1er décembre 2020. Le parrainage va durer en tout un an et demi. Ensuite Jean-Pierre reste associé pendant cinq ans (jusqu'en 2025). Au début Flavien va acheter 50% de parts sociales lors de son installation, puis, le rachat du reste, au départ de Jean-Pierre.
Ici aussi la grosse période d'activité est celle de mises bas. Désormais accompagné de Flavien, il plus facile de gérer cette période et de suivre les naissances des chevreaux. Il faut les surveiller les tétées.

Comment organiser sa vie personnelle avec l'activité d'élevage ?

Jean-Pierre : on a toujours été habitué comme ça. On prend une ou deux semaines de congé par an. Et puis maintenant on travaille une semaine sur deux depuis l'arrivée de Flavien.

Qu'attendez-vous de Flavien ?

Jean-Pierre : on souhaite que cela se passe bien. Qu'il puisse gérer comme il faut, et qu'il puisse réussir dans son projet. La Chambre d'Agriculture m'a bien aidé pour toutes les estimations de bâtiments, de matériel, du cheptel, du calcul des parts sociales

Et après 2025 qu'allez-vous faire ?

Je vais profiter de voyager en camping-car. Je n'ai jamais eu le temps de trop m'en servir. Maintenant, il faut qu'il roule.

Pourquoi pas un reprise familiale ?

Jean-Pierre : j'ai deux filles, mais elles ne sont pas intéressées par la reprise de l'exploitation. Elles ont choisi une autre voie. Effectivement, si elles avaient pu continuer, j'aurais été content. A un moment, l'une d'entre elle avait même pensé à créer un laboratoire de transformation, mais finalement n'a pas été plus loin dans la démarche. Elle s'est engagée dans une autre direction. C'est son choix, je le respecte.

Je suis très heureux de transmettre mon exploitation et surtout mon savoir-faire.


Flavien Favre à 23 ans. Il est originaire de Bougon. Il possède un Bac Pro (en trois ans) et une année de certification en élevage caprin. C'est lui qui va reprendre l'exploitation de Jean-Pierre. Depuis tout petit, il est passionné par l'agriculture, particulièrement par l'élevage caprin. Après ses études, il a été salarié durant plusieurs années. Et un jour, il s'est dit : "pourquoi-pas travailler pour moi."

Flavien : j'ai une préférence pour les chèvres, par rapport aux vaches. Cet animal est plus délicat. C'est l'un des plus petit ruminant.

Mes amis me disent que je suis courageux, mais qu'il faut se lancer.

Il faut quand même bien s'organiser car c'est un investissement important qui mêle vie privée et vie professionnelle. Il faut aussi savoir se donner de temps à soi. Il faut savoir déléguer les travaux (comme pour les cultures).

Flavien : au début, je n'avais pas envie de m'installer. Ça me faisait un peu peur. Mais à force de travailler dans des élevages caprin que je me suis dit "autant travailler pour moi". Si c'est pour faire onze heures par jour, autant le faire pour soi et travailler à sa manière, gérer son troupeau.

Des délais d'emprunts trop courts

Aujourd'hui, les délais d'emprunts proposés sont de 12 ou 15 ans. Auparavant, ils étaient de 20 ou 25 ans. Jean-Pierre explique qu'il est plus difficile d'avoir un retour sur investissement sur une période si courte pour faire face aux remboursements.

L'avenir de l'élevage caprin

Comme il y a une forte demande, les élevages caprins ont de l'avenir. Comme l'offre a tendance à diminuer et qu'il y a moins d'installation, dues aux départs, et donc moins de lait proposé sur le marché. D'ici dix ans, il va y avoir de nombreux exploitants qui vont partir (à la retraite). Et le taux de reprise est pour le moment assez bas. Il faut absolument promouvoir la transmission d'exploitation, au risque de voir les exploitations fermer. Le danger est que les Hollandais viennent chez nous pour produire du lait. Ça commence déjà. Car eux, ils feront ça avec des très gros troupeaux (pas seulement de 500 chèvres).

Merci aux éleveurs : Dominique Gruget, Audrey Pelletier à Niort et Jean-Pierre Tribot et Flavien Favre à Périgny.
Merci aussi à Agnès Bignolles et Eric Ferré (Chambre d'Agriculture des Deux-Sèvres) pour leur accompagnement lors de ce reportage.
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