TEMOIGNAGE. Journée de "mobilisation générale pour la justice" : rencontre avec Natacha Aubeneau, vice-présidente du tribunal judiciaire de Niort

Après les annonces du Garde des Sceaux, la secrétaire nationale de l'Union Syndicale des Magistrats dresse un portrait alarmiste de la justice en France.

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Lorsque l'on est greffier, magistrat ou même avocat, les débuts tonitruants de la campagne présidentielle ne sont pas de nature à envisager sereinement l'avenir. L'état de la justice en France ne semble, de fait, pas être un dossier prioritaire pour les candidats officiels ou putatifs. Et, de toute évidence, les mesures annoncées hier par le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti ne semblent pas calmer la colère sourde qui monte dans les tribunaux dans le pays.

Une opération déminage qui intervient trois semaines après la parution d'une tribune dans le journal Le Monde signée par six magistrats sur dix qui dénonçait "une justice qui n'écoute pas et qui chronomètre tout". A la veille d'un mouvement de grève nationale, Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l'Union Syndicale des Magistrats, revient sur ces annonces ministérielles et sur le désarroi des professionnels de la justice.

"Il a annoncé 380 recrutements pour les concours de l’année prochaine. Cette année, on est à 260. Donc c’est un peu mieux en effet, ça fait cinquante magistrats de plus. A ce rythme-là, pour atteindre les moyennes européennes, il faudrait une centaine d’années. Donc ça ne nous convient pas vraiment", commente la magistrate.

De fait, hier, le Garde des Sceaux s'est bien gardé d'évoquer les chiffres de la CEPEJ (La Commission européenne pour l’efficacité de la justice) qui indique les moyennes européennes du nombre de magistrats pour 100.000 habitants. " Si on devait l’appliquer à la France, il faudrait trois à quatre fois plus de magistrats et, forcément, ça ne leur plait pas du tout", explique-t-elle, "pourtant, c’est une réalité. Il a osé dire que ce n’était pas comparable, que le système juridique français était différent et que, selon lui, cela ne prenait pas en compte les juges non professionnels, alors que c’est faux". 

Mais, au-delà, des chiffres, c'est bien le malaise général de l'institution que dénonçait cette tribune écrite suite au suicide d'une jeune magistrate âgée de 29 ans. "Quand on est un tiers de ce que l’on devrait être, forcément qu’on travaille trois fois plus vite, on a du mal à y arriver, on finit par s’épuiser d’où le nombre de burn-out, de gens qui ne trouvent plus de sens à ce qu’ils font, qui cherchent à s’en aller par tous les moyens, disponibilité, détachement, démission pour certains. Le ministre a parlé des démissions et des suicides, sous entendant que ce n’était pas beaucoup. Ce qui est très délicat de sa part".

En août dernier, Eric Dupond-Moretti annonçait que le budget du ministère de la Justice augmenterait pour la deuxième année consécutive de 8% en 2022. "C'est un nouvel effort massif qui sera consenti, après 607 millions d'euros en 2021, le budget 2022 augmentera, si la représentation nationale le souhaite, de 660 millions, soit encore huit pour cent d'augmentation. Je le dis, c'est du jamais vu", déclarait-il alors. 

"C’est surtout pour l’administration pénitentiaire et pour nous, ça concerne essentiellement des dettes immobilières à payer en retard", rétorque Natacha Aubeneau, "la hausse du budget pour les effectifs, c’est quasiment rien. Si on prend les arrivées et les départs en retraite, ça doit être quelque chose comme plus cinquante magistrats par an, autant dire rien. Ce n’est pas avec ça que l’on va faire face à l’afflux des procédures, les gens qui font appel à la justice pour tout et n’importe quoi et qui sont en attente de réponses judiciaires dans des délais raisonnables que l’on ne peut pas leur offrir. C’est très frustrant et difficile à vivre pour les justiciables et pour les professionnels de la justice".

Car l'objectif principal d'une véritable réforme de la justice, c'est bien la réduction des délais de jugement. Après les premiers confinements dus à la crise sanitaire, 1,3 millions de dossiers étaient en attente. Embauches et aides budgétaires avaient pour but premier de "déstocker" quelques 200.000 dossiers.

"Si on s’en réfère aux moyennes européennes, sur une juridiction comme Niort, il faudrait être 90", explique la secrétaire nationale de l'USM, "nous sommes 20. Alors même pour nous, ça nous parait énorme et impossible, mais si on était le double, déjà on pourrait enfin travailler correctement. Quand vous êtes en audience aux affaires familiales et que vous recevez quinze couples avec leurs avocats dans la matinée et que, en gros, vous avez dix minutes par couple, vous pensez bien qu’ils n’ont pas le temps de s’exprimer. Pour les gens, c’est extrêmement frustrant et pour nous aussi. Si on ne donne pas les moyens à la justice, on porte atteinte à son indépendance et à un des piliers de la démocratie". 

Natacha Aubeneau manifestera ce mercredi avec ses collègues devant Bercy, le ministère de l'économie et des finances. Le mouvement sera décliné en région devant les cours d'appels ou les tribunaux de grande instance. L'annonce d'états généraux de la justice annoncé hier par le Garde des Sceaux ne suffira visiblement pas à calmer les magistrats de France.

TEMOIGNAGE

Les manques de moyens et de personnels sont tels que les magistrats, qui s'expriment rarement, acceptent désormais de témoigner de leur quotidien. Dans notre reportage, c'est le cas de trois femmes de la Cour d'appel de Poitiers, rencontrées par François Bombard et Antoine Morel.

INTERVIEW

Dorothée Drouin-Englinger, Déléguée régionale du Syndicat de la Magistrature

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