Plaisir des fleurs, le cheval de compagnie d'Isabelle et de sa fille Marine, est porteur sain de l'Anémie Infectieuse des Équidés. Une maladie pour laquelle la France impose l'euthanasie. Mesure barbare, inutile et disproportionnée selon ses maîtresses qui s'y opposent
Plaisir des Fleurs est un trotteur de 20 ans, un animal de réforme qui passe des jours heureux dans la propriété d'Isabelle et de sa fille Marine, au Bugue en Dordogne. Dix ans d'une retraite paisible comme animal de compagnie, loin du stress des champs de course. Et il aurait pu terminer sa vie comme ça si le 9 mai dernier, pour des raisons professionnelles, la famille n'avait eu l'idée de le confier provisoirement à un club équestre. Le club demande à ce que l'animal soit testé et là, catastrophe, l'animal se trouve porteur de l'AIE, Anémie Infectieuse Équine.
Il a fallu faire ce test, l'Anémie Infectieuse Équine et là, en fait, tout est bouleversé, tout s'écroule parce qu'on vous dit : "votre cheval, il faut le tuer !". Il n'y a pas de médicament, il n'y a rien du tout, donc là, c'est la mise à mort du cheval. [...] Nous, on pensait que l'Anémie ça n'existait pas, on n'en parle pas beaucoup, les gens en parlent très peu, de ce sujet-là, c'est un peu tabou.
Isabelle, propriétaire de Plaisir des Fleurs
Maladie incurable
Le dernier cas répertorié dans les environs date de 2019, il s'était déclaré à une dizaine de kilomètres de là. L'AIE est une maladie grave pour laquelle il n'existe aucun traitement. Une sorte de sida du cheval qui se transmet par le sang et non transmissible à l'homme. Elle se diffuse par les insectes piqueurs (taons) ou par des seringues lors d'injections sur plusieurs animaux. Présente dans le monde entier, on en répertorie moins d’un foyer par an en France en moyenne. L'État l'a néanmoins classée parmi les dangers sanitaires de catégorie 1 imposant l'euthanasie ou l’abattage du cheval infecté.
Arrêté d'euthanasie
Alertée par les services vétérinaires, la Préfecture de Dordogne a donc pris un arrêté dans ce sens en juin dernier. Mais les propriétaires tentent de s'y opposer. L'animal est probablement porteur sain depuis des années et les tests sur le poney avec lequel il partage son enclos depuis huit ans, comme la vingtaine d'équidés testés à 2 km alentour, se sont tous révélés négatifs. En outre, la propriété est suffisamment isolée et éloignée d'autres chevaux pour que tout risque soit écarté, estiment-elles. Elles se disent prêtes à garantir l'isolement à vie de leur animal, déjà âgé de 20 ans.
Au niveau quarantaine, ils pourraient nous l'accepter. C'est juste qu'ils ne sont pas habitués à ça, et puis ils ne veulent pas. On les embête, c'est pas la règle, donc il faut faire comme ils disent. C'est les services de l'État.
Isabelle, propriétaire de Plaisir des Fleurs
Multiples recours
Avec l'aide de Maître Arielle Moreau, avocate spécialisée dans la défense de la cause animale, les femmes ont déposé un premier recours devant le tribunal administratif de Bordeaux, recours rejeté qui a entraîné un second recours, cette fois devant le Conseil d'État. " Et aujourd'hui, on va tenter d'autres procédures pour faire obstacle à cette mesure d'euthanasie" affirme maître Arielle Moreau, quitte à s'appuyer sur la législation européenne, globalement plus souple, pour faire évoluer la France sur le sujet.
C'est une situation très spécifique qui à mon sens commande une réponse spécifique, proportionnée et adaptée aux intérêts de sa propriétaire et adaptée aux intérêts de l'animal aussi.
Maître Arielle Moreau, avocate de Marine
Maître Moreau rappelle par ailleurs que pour d'autres maladies transmises par les insectes piqueurs concernant les vaches, on adopte de simples mesures d'isolement. " Là, j'ai l'impression qu'on se laisse aller à une sorte de psychose et qu'on prend un peu la corde pour le serpent".
Préfecture inflexible
Arguments qui n'ont que peu de prise sur la Préfecture. Elle entend faire appliquer son arrêté. Sollicitée par notre journaliste, elle apporte la réponse suivante :
Le cheval de Mme Schouteden est porteur asymptomatique du virus, mais l'animal n’éliminera jamais le virus, et sera donc tout au long de sa vie susceptible de contaminer ses congénères, même en l'absence de signes cliniques.
En cas de détection d'un foyer, la France applique strictement la mesure d'euthanasie depuis plusieurs dizaines d’années pour tendre vers l’éradication de la maladie sur notre territoire et garder le statut indemne d'AIE de notre pays. Grâce à la politique d’éradication appliquée en France, l’AIE circule à très bas bruit (entre 0 et 1 foyer par an depuis 2020).
Cette mesure d'euthanasie ordonnée est conforme à la réglementation en vigueur puisque, vis-à-vis de l'anémie infection équine, maladie "répertoriée" par le règlement de l’Union Européenne, la France peut prendre des mesures de gestion supplémentaires ou plus strictes, via l'article L221-1-1 du CRPM, à savoir celles prévues par l'arrêté, toujours en vigueur, du 23 septembre 1992 fixant les mesures de police sanitaire relatives à l'anémie infectieuse des équidés, ou celles prévues à l'article L.223-8 du CRPM.
Les mesures de quarantaine ne sont pas considérées comme des mesures alternatives pertinentes, car les mesures de gestion des insectes vecteurs sont très limitées et ne permettent pas de maîtriser totalement le risque de transmission. En outre, l'exemple de l’Italie, qui a choisi une gestion avec isolement strict des équidés déclarés positif vis-à-vis de l’AIE en les plaçant en haute altitude (montagnes) et très éloignés (plusieurs kilomètres) de tout autre équidé, a démontré l'inefficacité de la mesure puisque ce pays a observé une augmentation constante des cas d'AIE déclarés malgré ces dispositions.
Les mesures d'euthanasie sont également mises en œuvre en Suisse, Allemagne et Australie.
L'État porte-t-il des œillères ?
Discrètement, certains professionnels relèvent cependant une certaine hypocrisie de l'État dans ce dossier. Certes, la France garde un précieux statut "indemne d'AIE" vu le peu de cas répertoriés, entre 0 et 1 foyers par an. Mais elle le doit entre autres à l'absence de tests systématiques réalisés sur les chevaux. Comme Plaisir des Fleurs, porteur sain qui n'avait aucun symptôme, d'autres équidés sont sans doute dans le même cas sans qu'on le sache. Les propriétaires n'ont d'ailleurs qu'un intérêt tout relatif à tester leurs animaux favoris au risque de les voir euthanasier. Pour éradiquer complètement la menace, il conviendrait de tester tous les équidés, procédure longue, coûteuse et probablement plus difficile à faire admettre auprès des propriétaires que de se focaliser sur les quelques individus occasionnellement testés positifs.
Pétition de la dernière chance
La préfecture essaie désormais d'obtenir auprès de la justice le moyen légal de procéder à l'exécution de leur arrêté. De leur côté, en désespoir de cause, ces dernières ont lancé une pétition qui a déjà recueilli plus de 37 000 signatures en trois semaines en mobilisant de nombreuses personnes sensibles au bien-être animal. Une cagnotte y est par ailleurs adjointe pour tenter de payer des frais de justice qui s'élèveraient déjà à 15 000 euros.