"Je cours, je cours, j'ai l'impression d'être harcelée" : infirmière libérale à la campagne, elle témoigne de son épuisement

Les infirmiers libéraux en zone rurale vont-ils disparaître comme les médecins ? La profession alerte sur des conditions de travail qui ont atteint leur limite. En Dordogne, les cabinets commencent à fermer.

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 "Je cours, je cours, je cours, je réponds à mon téléphone : parfois, j'ai l'impression d'être harcelée". Catherine  Marchioro travaille tous les jours dès l'aube, week-end et jours fériés compris, sans interruption. Un rythme épuisant pour cette infirmière, qui a installé son cabinet en 2019 sur la commune de Mazerolle, à côté de Villefranche du Périgord. . "Il y a quelque chose qui me fait peur, c'est l'erreur. Parce que quand je suis épuisée, j'ai peur de ne pas voir quelque chose chez mes patients" confie-t-elle, " de perdre ma lucidité et mon recul". 

Le matin, quand je dois me lever, j'en ai les larmes aux yeux d'épuisement.

Catherine Marchioro

Infirmière libérale

La Dordogne compte actuellement 920 infirmiers libéraux. "C'est un métier toujours aussi beau, toujours aussi essentiel, c'est un travail d'expertise, mais la charge mentale démotive. On va partir majoritairement du libéral", prédit Catherine.

L'unique interlocuteur médical

Dans ce milieu rural, la désertification médicale fait des infirmières les rares intervenants médicaux encore accessibles aux patients. Ces derniers en attendent beaucoup, plus que ce qu'elles sont censées faire. "Il m'arrive de recevoir des appels de patients qui ont reçu un résultat d'analyse, qui ne parviennent pas à joindre leur médecin tout de suite. Ils nous appellent en nous disant, j'ai reçu ça, qu'est-ce que vous en pensez ?" Un exemple parmi d'autres. "Les patients, quand il n'y a plus de médecins, font appel à l'infirmier. On nous demande de faire de plus en plus d'actes qui ne relèvent pas de nos compétences professionnelles" confirme Dominique Cura, le Président de la Fédération Nationale des Infirmiers de Dordogne.

On est obligés de le faire, sinon on laisse des patients complètement démunis avec des médecins traitants inexistants.

Dominique Cura

Président de la Fédération Nationale des Infirmiers de Dordogne

Tracasseries administratives

Et le travail ne vient pas que des patients. Comme dans bon nombre de professions libérales, Catherine doit faire face à une charge de bureaucratie écrasante. Les dossiers des patients deviennent chaque jour plus complexes à renseigner, il faut rendre des comptes précis à une CPAM tatillonne. La moindre erreur de déclaration enraye la machine, entraîne des refus ou des délais de paiement et génère dans tous les cas une surcharge de complication administrative.

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Dominique Cura, président des infirmiers libéraux de Dordogne tire la sonnette d'alarme sur l'épuisement des professionnels, derniers bastions de la médecine en zone rurale ©France télévisions

Lâcher ou craquer

Ce rythme d'esclave fait négliger à Catherine sa vie privée et sa famille. Raison pour laquelle elle préfère aujourd'hui vendre son cabinet. "Ça a été une décision très difficile à prendre, c'est quelque chose que j'ai créé, que j'ai fait évoluer. Aujourd'hui, je suis épuisée physiquement, moralement. La seule chose qui reste chez moi, c'est cet amour du patient." Plusieurs cabinets d'infirmiers libéraux en sont arrivés au même point dans le département.

Le Président de la Fédération Nationale des Infirmiers de Dordogne, reconnaît que le cas de Catherine reflète la majorité des cas. "La profession ne se renouvelle pas, les jeunes infirmières et infirmiers qui ont cru que le libéral pouvait être quelque chose d'intéressant se rendent compte que les contraintes de ce type d'exercice sont beaucoup trop lourdes".

D'ici à cinq ans, les infirmiers libéraux seront au même niveau que les médecins de campagne, il y en aura de moins en moins !

Dominique Cura,

Président des infirmiers libéraux de Dordogne

 "Travailler 12 à 13 h  par jour en libéral, contre 7h30 en hospitalier, beaucoup de kilomètres à parcourir, des charges qui sont très conséquentes, des actes professionnels qui n'ont pas été revalorisés depuis plus de neuf ans... On se rend compte qu'il ne reste pas grand-chose au bout, poursuit Dominique Cura. À quoi se rajoute la frustration de ne pas pouvoir remplir correctement sa mission. 

Une situation incontrôlable

La tendance a été confirmée lors du dernier congrès des infirmiers libéraux. "Le constat est simple, on laisse souvent sur le carreau une population isolée, qui est surtout vieillissante avec des pathologies lourdes. On a des professionnels, jeunes ou moins jeunes, qui sont passionnés par ce qu'ils font, mais qui sont dépassés par une situation qu'ils ne maîtrisent absolument plus", regrette Dominique Cura.

On est obligé de gérer des situations qu'on n'arrive plus à gérer à domicile, avec des urgences qui sont réelles, des embolies pulmonaires, des arrêts cardiaques, des tentatives de suicide... C'est notre quotidien, et on agit dans un isolement des plus complets", c
onstate-t-il, désarmé. Mais la pression est trop forte et il est résolu, lui aussi, à passer la main. S'il ne trouve personne pour reprendre son cabinet au mois de juillet, il sera le neuvième cabinet à fermer définitivement dans le département, au grand désespoir de ses patients les plus âgés, et les plus isolés.

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