Edmond Michelet et Georges Guingouin : résistants dès l’été 1940 en Limousin

Il y a 80 ans, après la défaite face à Hitler, au moment où la majorité des Français et leurs hommes politiques se rangeaient derrière le maréchal Pétain et sa stratégie de collaboration, Edmond Michelet et Georges Guingouin furent parmi les premiers à appeler à la Résistance contre l'occupant nazi.

L'un est de droite, fervent catholique et Corrézien.

L'autre est de gauche, militant communiste et Haut-Viennois.

Deux Français qui ne supportent pas la défaite face Hitler, la confiscation du pouvoir par Pétain et sa volonté de collaborer avec le régime nazi.

Deux Limousins dont le destin va basculer en un été.

Deux résistants de la première heure qui ont marqué l'histoire de France.

 

Michelet invoque Péguy

 

 


En 1940 Edmond Michelet à 41 ans. Il est père de 7 enfants.

Courtier en assurances, notable de Brive, ce fils d’un père Républicain dreyfusard et d’une mère monarchiste anti-dreyfusarde est avant tout un catholique fervent et militant.

Depuis 20 ans, il fréquente l’Association catholique de la jeunesse française de Brive,  il a lu Mein Kampf et se montre inquiet de l’évolution de l’Europe. Il  prône l’entente avec la Grande-Bretagne pour résister à l’expansion nazie.

Le 17 juin 1940, le jour même où Pétain annonce à la radio qu’il faut cesser le combat et signer l’armistice avec Hitler, Michelet rédige un tract où il appelle à la Résistance en citant Charles Péguy.

 

 

 

 

 

 

Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui se rend, c’est la seule mesure, et il a raison absolument … en temps de guerre, celui qui ne se rend pas est mon homme, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne et quel que soit son parti. Il ne se rend point. C’est tout ce qu’on lui demande.

Edmond Michelet citant Charles Péguy le 17 juin 1940

 


Ce tract dactylographié et ronéoté sera distribué dans les boîtes aux lettres de Brive, un jour avant l’Appel du 18 juin du Général De Gaulle, dont il deviendra un proche.

Puis, très vite Michelet passe de la théorie à la pratique.

Il organise l’accueil de nombreux enfants réfugiés espagnols puis juifs, à l’orphelinat d’Aubazine puis dans des lieux plus sûrs (Il sera déclaré Juste par Yad Vashem en 1972).

Dès 1941, il participe à la création des premiers groupes Francs de résistance puis adhère au mouvement Combat. Il en devient le chef pour la région de Résistance R5 sous le pseudonyme de Duval.

Il est arrêté le 25 février 1943 par la Gestapo et déporté au camp de concentration de Dachau. Tous les témoins de ce séjour évoqueront son charisme et son courage.
 


Edmond Michelet est libéré et rentre en France en mai 1945. Il est élu député de Corrèze en octobre puis ministre des armées du Gouvernement provisoire du genéral De Gaulle.

Il restera très fortement marqué par sa déportation à Dachau.

 

 

 

 

 

 

Ni sains ni saufs. … l’expérience que nous avons vécue est indélébile. … nous avons sondé des abîmes en nous-mêmes et chez les autres. Une certaine candeur nous est à jamais interdite.

Edmond Michelet

 


Après une riche carrière politique, il meurt le 9 octobre 1970 à Brive.

En 2015, en reconnaissance de sa vie et de son comportement exceptionnels, sa demande de béatification a été introduite à Rome auprès du Saint-Siège.

 

 

Guingouin désobéit à Staline

 

 


En 1940 Georges Guingouin a 27 ans. Fils d’un militaire tué en 1914 et d’une mère directrice d’école primaire il est instituteur dans le petit village de Saint-Gilles-les-Forêts aux confins de la Haute-Vienne et de la Corrèze.

Depuis 1935 il est militant communiste et désormais secrétaire du  "rayon" d’Eymoutiers. Il admire l’Union Soviétique, se nourrit de Victor Hugo et s’intéresse aux thèses du communisme rural.

Mobilisé le 23 août 1939, blessé le 17 juin 1940, hospitalisé, il quitte volontairement les lieux pour éviter d'être arrêté et rentre à Saint-Gilles-les-Forêts par ses propres moyens.

En militant avisé, avant son départ sous les drapeaux Guingouin avait pris soin de préparer les conditions d’une reprise de son action politique en cachant dans la grange d’un ami une machine à écrire, la ronéo du Parti, de l'encre et du papier.

En septembre 1939, après la signature du pacte Germano-Soviétique entre Hitler et Staline, le Parti Communiste Français avait été dissous, ses élus déchus et sa presse interdite. Ses militant étaient surveillés et menacés d’internement.

Mais à l’été 1940, Guingouin est résolu à poursuivre l’action clandestine. Très vite, il reprend ses activités de militant communiste dans la clandestinité sous le pseudonyme de Raoul.

 

 

 

 

 

 

L'appel à la lutte


En août 1940, désobéissant aux consignes du Parti Communiste lié par le Pacte Germano-Soviétique, Georges Guingouin rédige, imprime et diffuse un « appel à la lutte armée» contre l’occupant.

Evoquant "la dictature fasciste" du régime de Pétain à Vichy il décrit "des misérables qui, non contents d'avoir couvert leurs mains du sang de nos soldats …  pourront sans crainte, tout à leur aise, détruire les dernières libertés du peuple de France, établir le régime de l'obscurantisme et du mensonge."
 

Derrière Pétain, vieillard revenu en enfance, incapable de présider l’Assemblée Nationale, incapable de lire son discours au micro annonçant qu'il est le chef de l'Etat. C'est le sinistre aventurier Laval. C'est la clique des assassins fascistes s'apprêtant avec l'aide de Hitler à exploiter honteusement le peuple de France.

Georges Guingouin, août 1940

 


Mais il décide de ne pas diffuser le bulletin "La Vie du Parti" de septembre 1940 qui déclare : "Nous devons être sans haine vis-à-vis des soldats allemands. Nous sommes contre de Gaulle et le clan capitaliste dont les intérêts sont liés à Vichy".

En janvier 1941 il publie le premier numéro du journal clandestin  "Le Travailleur limousin". Il écrria plus tard qu'il s'y était volontairement abstenu de toute attaque contre de Gaulle et le Royaume-Uni, s'écartant ainsi un peu plus de la ligne officielle du Parti. Un mois plus tard, il prend le maquis en Corrèze.

A la tête d'un premier groupe de résistants, Georges Guingouin organise une "récupération" à main armée de cartes d'alimentation en cambriolant la mairie de Saint-Gilles-les-Forêts. Cela lui vaudra d'être condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité.

Il baptise ses premiers groupes armés de Châteauneuf-la-Forêt, les "Francs-Tireurs et Partisans" et crée "la Brigade de marche limousine".
Il va multiplier les actions de sabotage.

Le Parti Communiste lui reproche de s’entêter à développer une résistance armée dans les campagnes plutôt que dans les villes. Guingouin dira même que le Parti avait envoyé un tueur infiltré dans le Maquis pour le liquider, en vain.

 

 

 

 

 

Le "Préfet du Maquis"


Surnommé le "Préfet du Maquis" par les Limousins, Guingouin "tient" les campagnes et harcèle les soldats Allemands au point qu’ils surnommeront la région "la petite Russie".

En juillet 1944, après le Débarquement allié en Normandie, Guingouin mène pendant plusieurs jours l’une des rares batailles "conventionnelles" victorieuses de la Résistance face à l’armée Allemande autour du Mont Gargan en Haute-Vienne.

Le 3 aout 1944, à la tête de  8 000 hommes, il encercle Limoges et libère la ville sans violence, en obtenant la reddition de l’officier allemand commandant la place.

Au début du mois de juin, pour éviter une effusion de sang, il avait refusé une nouvelle fois les ordres du Parti Communiste lui intimant de prendre Limoges par la force.
 

 

 

Trop populaire, le libérateur de Limoges devient gênant


En mai 1945 Guingouin est élu maire de Limoges. Jusqu’en 1947 et sa défaite face à l'ancien maire socialiste Léon Betoulle il mène une politique sociale très volontariste dans les conditions difficiles de l’immédiat après-guerre et de la reconstruction.

En 1949, il rédige un rapport critique contre l’attitude du Parti Communiste pendant le Guerre. Désavoué, il est exclu du Parti en novembre 1952.

En 1953 il est la cible d’une cabale politico-judiciaire fomentée par des socialistes et d’anciens collaborateurs d’extrême droite. Il est incarcéré et battu quasiment à mort dans sa cellule.

Il sera totalement blanchi par la justice en 1959, le Procureur déclarant "ne pas comprendre, en son âme et conscience, qu’on ait engagé des poursuites contre lui".

Compagnon de la Libération, Commandeur de la Légion d’Honneur, médaillé de la Résistance, King's Medal for Courage en Grande-Bretagne, Georges Guingouin se vit attribuer par le Général de Gaulle le titre de "premier Maquisard de France".

Décédé le 27 octobre 2005, il repose dans le petit cimetière de Saint-Gilles-les-Forêts.
 

 

 

Georges Guingouin au Panthéon ?

Dans un entretien qu'il nous avait accordé en 2015 à l'occasion de la célébration des 10 ans de la mort de Georges Guingouin, Edwy Plenel, le journaliste fondateur de Mediapart, évoquait avec émotion le souvenir de la relation qu'il avait entretenue avec Georges Guingouin et son admiration pour le grand résistant.

 

 

 

 

 

Georges Guingouin est un homme qui nous parle de demain. C’est un homme qui dit non pour l’avenir, ça devrait être de ces figures que l’on brandit pour la jeunesse, pour la rassembler, pour lui donner une espérance. [...] Il devrait être au Panthéon, il devrait être honoré par toute la République.

Edwy Plenel

 
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