Alors que l’inflation continue de grignoter leur budget, de plus en plus d’étudiants ont recours à l’aide alimentaire. À Bordeaux, ils sont plus de 1 000 à faire la queue chaque semaine pour pouvoir se nourrir correctement.
Arrivés à hauteur du cordon rouge, après quasiment une heure d’attente, ils sont quelques-uns à apercevoir enfin la porte d’entrée. Devant eux, d’autres entament tout juste leur tour du pâté de maisons, au bout d’une file qui s’étend sur près de deux cents mètres. Dans la queue, on se reconnaît. Certains visages, à l’image de celui d’Anthony Ouvrard, sont devenus familiers.
Tous les mardis soirs, comme un demi-millier d’étudiants, Anthony se rend au point info jeunes, près de la place Pey Berland à Bordeaux. Tous les mardis soirs, il repart avec plusieurs kilos de nourriture, gratuitement : "Des fruits, des légumes, des pâtes, du riz... Il y a de quoi tenir une semaine, et même parfois des produits d'hygiène."
Vidéo. La queue, impressionnante, commence près de l'entrée du local, et fait le tour des immeubles
Étudiant en deuxième année à l’IUT Bordeaux Montaigne, il peine à se dégager un budget pour se nourrir convenablement. “Avec les APL et les bourses, je ne vais pas très loin, reconnaît-il. Une fois le loyer et les factures payées, il me reste entre 100 et 200 euros maximum pour faire les courses. Les sorties et les loisirs sont très limités.”
Certains sautent des repas et ont parfois recours aux Restos du cœur en plus de nos dons.
Ellynn Brianceau, bénévole et coordinatrice de distributionà rédaction web France 3 Aquitaine
Comme Anthony, des centaines d’autres étudiants bordelais ont recours à l’aide alimentaire. Une aide précieuse, vitale pour certains. “Beaucoup nous disent que cela leur permet de vivre, assure Ellynn Brianceau, bénévole chez Linkee, à l’initiative de la distribution. Certains sautent des repas, et ont parfois recours aux Restos du cœur, en plus de nos dons. L’autre jour, un étudiant m’a dit qu’il ne se nourrit qu’avec ce qu’on lui donne.”
Certains sont “gênés” et “ne se sentent pas forcément légitimes parce que d’autres sont dans une situation encore plus difficile”, déplore Ellynn Brianceau. Tous aimeraient s’en passer, sans pouvoir se le permettre. La longue file d'attente devient alors le symbole de cette distribution comme dernier recours. “Il faut venir à l’avance parce qu’il y a vraiment beaucoup de monde, constate Anthony Ouvrard. Même en arrivant une demi-heure plus tôt, il y a déjà 20 ou 30 minutes de queue.”
Deux points de distribution saturés
Bordeaux ou Talence, même combat. Sur le campus Arts et métiers, la scène se répète aussi chaque mercredi. Avec 500 bénéficiaires, ce deuxième point de distribution arrive à saturation. L'entreprise "fait de son mieux pour proposer une solution logistique contre le gaspillage en récupérant les invendus auprès des professionnels, pour les distribuer à ceux qui en ont besoin”, explique Emmanuel Durieublanc, responsable de l’antenne bordelaise de Linkee.
On essaie de créer un environnement le plus bienveillant et le moins stigmatisant possible.
Emmanuel Durieublanc, responsable de l’antenne bordelaise de Linkee
Regrettable, cette précarité a, malgré elle, le don de rassembler. À force de venir régulièrement, certains étudiants veulent à leur tour donner de leur temps. “C’est un public qui a envie de s’investir, confirme Emmanuel Durieublanc. On a 56 bénévoles par semaine, plus de 300 en tout. Il y a une très bonne ambiance dans les équipes, on essaie de créer un environnement le plus bienveillant et le moins stigmatisant possible.”
Le tout, en élargissant ses horizons à d'autres domaines. “Les formes de la précarité sont multiples et tous les aspects de leur vie sont touchés, notamment la santé, relève Emmanuel Durieublanc. C’est pour cela que nous avons un partenariat national avec l’assurance maladie, et que cela se met en place avec le département de Gironde.”
Parmi les bénéficiaires, 80 % des étudiants n'avaient jamais eu recours à ce type d'aide avant la crise du Covid. Face à l'augmentation continue des prix et de la demande, un troisième point de distribution pourrait voir le jour dans l'agglomération bordelaise d'ici à un mois.