Le 17 décembre, la Ligue contre le cancer pointait du doigt, dans une étude, la banalisation de l'alcool chez les adolescents. Quelques jours avant le réveillon du Nouvel an, François Richard, chef de service et chargé de prévention au CEID Addiction, à Bordeaux, souligne une "culture de l'alcool" très présente en France, au détriment des plus jeunes.
Les jeunes goûteraient pour la première fois de l'alcool à l'âge de 14 ans. C'est ce que révèle une étude publiée par France Addiction, le 12 décembre, qui appelle à "une prise de conscience collective à l’approche des fêtes de fin d’année". Parallèlement, la Ligue contre le cancer indique dans un sondage réalisé par OpinionWay que 32 % des Français, jugent la période idéale pour initier les jeunes aux boissons alcoolisées.
Depuis 2003, l'association CEID Addiction, à Bordeaux, déploie une structure strictement adressée aux jeunes de moins de 25 ans, consommateurs de substances psychoactives. François Richard est chef de service et chargé de prévention. Il observe "une particularité française" qui ancre la consommation d'alcool dans la tradition des fêtes de fin d'année.
Comment expliquer que la consommation d'alcool peut commencer à un âge très précoce, notamment lors des repas de famille ?
François Richard. Les parents ont tendance à faire goûter assez facilement de l'alcool aux enfants. Il y a une culture de l'alcool assez présente liée à l'hédonisme français, surtout à Bordeaux où la consommation de vin est très ancrée culturellement. Faire goûter aux enfants pendant les repas, c'est une manière de faire découvrir du vin, ou du champagne, tout en gardant le contrôle. Puis, les jeunes ont tendance à reproduire aussi le comportement des adultes. S'ils sont dans un environnement dans lequel l'alcool fait partie de la fête, eux ne voient pas de raison de ne pas faire pareil. Cette banalisation fait que même si on a notre adolescent qui consomme pour la fête, on ne va pas trouver ça trop grave. C'est tout ce discours-là qui est mis en lumière par cette étude et qu'il faut accompagner.
Un adolescent qui consomme de l'alcool jeune a-t-il plus de risques de développer des problèmes d'addiction ?
F. R. On sait que plus les consommations d'alcool débutent tôt dans la vie des jeunes, plus les risques d'avoir des problèmes dans les années futures sont importants. Ça ne veut pas dire qu'ils vont déclarer une addiction parce qu'ils ont goûté du vin à 12 ou 13 ans, mais plus ils s'habituent et plus, ils auront tendance à trouver ça normal. C'est à l'adolescence que les addictions font leur lit.
Les jeunes et les adultes consomment-ils de la même façon ?
F. R. Les jeunes vont davantage chercher les effets de l'alcool, la désinhibition, plutôt que le goût. La dégustation plaisir, ça ne les intéresse pas plus que ça, et c'est pour ça qu'ils se dirigent plutôt vers des boissons alcoolisées essentiellement sucrées qui vont vite monter et leur faire ressentir les effets qu'ils recherchent.
Le Dry Januray (défi qui consiste à arrêter l'alcool pendant un mois, ndlr) peut-il être une solution pour réguler sa consommation ?
F. R. Effectivement, ça fait partie des très bons programmes pour aider les gens à réfléchir sur leur consommation, voir où ils en sont et puis donner le message que l'on peut se passer d'alcool. Toutes les études montrent qu'avec le Dry January, les gens abaissent leur niveau de tolérance et vont donc moins consommer d'alcool par la suite. Ils retrouvent des effets positifs d'une consommation minimale d'alcool, comme l'amélioration du sommeil par exemple. Les jeunes sont moins concernés par ce défi que par les adultes, mais on en a quelques-uns qui sont prêts à essayer. Ça permet d'avoir un discours d'information sur l'alcool et de pointer les dommages et les risques.
Et vous, vous allez tenter ? 🙋🏽 #DéfiDeJanvier #DryJanuary @DryJanuaryFR pic.twitter.com/DlzacFoFAl
— La Ligue contre le cancer (@laliguecancer) December 29, 2023
Justement, vous intervenez auprès des jeunes. Sont-ils conscients des risques auxquels ils sont exposés ?
F. R. Les jeunes ont très envie qu'on échange avec eux, ils sont en déficit d'informations, sont très curieux. On peut parler des effets positifs de l'alcool qu'on met en parallèle avec tous les risques que ça peut engendrer. Il ne faut pas forcément signifier que l'addiction est le premier risque. Le premier risque immédiat est l'alcoolisation ponctuelle importante qui amène les jeunes à se retrouver dans des situations qu'ils ne contrôlent plus. Et puis, leur dire qu'un jeune qui va boire tous les week-ends a plus de risques de développer des addictions à l'alcool contrairement à quelqu'un qui va consommer moins régulièrement.
Il faut dénormaliser cette consommation chez les plus jeunes, notamment avant 16 ans.
François Richardchef de service du CEID addiction à Bordeaux et chargé de prévention
Vous disposez d'un lieu anonyme pour accueillir les jeunes consommateurs en situation d'addiction. Quels sont leurs profils ?
F. R. Avant 20 ans, les jeunes viennent rarement tout seul et sont plutôt amenés par leur entourage. Ça peut être les parents, des institutions ou des éducateurs, qui s'inquiètent. Passé cet âge, ils viennent nous voir, car ils se rendent compte qu'ils se retrouvent dans des situations problématiques, n'arrivent plus à s'arrêter après trois verres. L'addiction concerne surtout les jeunes qui vont chercher quelque chose d'auto-thérapeutique. lls vont très mal et se rendent compte qu'il y a un effet apaisant avec l'alcool. C'est ceux-là qui vont davantage se tourner vers l'addiction.
Présence du Caan’Abus afin de sensibiliser nos élèves quant aux différentes addictions (alcool, tabac, drogues…) pic.twitter.com/JLiMUz5Zdd
— lpo vaclav havel (@HavelLpo) November 8, 2022
Quelles sont les solutions concrètes que vous proposez pour limiter leur consommation ?
F.R. Souvent les gens hésitent à franchir le seuil de la consultation, car ils ont peur que la seule solution soit l'arrêt définitif. Mais on a plein de solutions alternatives avant l'abstinence : espacer les consommations, décider de ne pas sortir tous les week-ends et la régulation de sa consommation par le biais d'entretiens psychologiques. Pour ceux qui n'ont jamais fait la fête, se tenir à un certain nombre de consommation dans les normes, c'est-à-dire 4 à 5 unités.
Les week-ends et plus particulièrement le soir du 31 décembre, les bus du dispositif Hangovercafé, sous la gestion du CEID Addiction, arpentent les lieux festifs de Bordeaux pour faire de la prévention auprès des jeunes et les aider "à rentrer chez eux sains et saufs". Ils seront en ville de 22 h à 6 h du matin.