"Chaque histoire est importante" : les victimes d'inceste invitées à témoigner à Bordeaux

Ce vendredi 19 novembre, la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles fera étape à Bordeaux. Installée en mars 2021, elle recueille les témoignages de victimes par milliers, et entend bien briser le silence afin de faire changer les politiques publiques sur ce sujet.

Ce vendredi, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles (Ciivise) se rendra à l'Ecole nationale de la magistrature de Bordeaux. Une rencontre ouverte à tous, sur inscription et présentation du pass sanitaire.

Ce sera son deuxième déplacement hors de Paris. Le premier, qui remonte au 20 octobre, avait eu lieu à Nantes. Ces réunions publiques, prévues sur l'ensemble des grandes villes de France, visent à faire connaître le rôle de la commission, installée en mars 2021. À savoir : aller vers les victimes et leurs proches, recueillir leur parole et engager le dialogue. Les témoignages sont collectés sous forme d'auditions, d'échanges téléphoniques, de mails, de lettres, ou même via un questionnaire en ligne.

Si vous souhaitez aussi témoigner et échanger avec des membres de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles, les modalités sont à retrouver ici. 

À Nantes, lors de la réunion publique, une, puis deux, puis vingt personnes ont spontanément pris le micro pour raconter leur vécu.  Des abus perpétués par un père adoptif, un oncle, un frère, parfois un couple de parents… autant de récits de souffrances et de violences subies, racontés parfois vingt, trente, ou cinquante ans après.

"Le silence ne leur était plus imposé. Et le micro a spontanément circulé pendant près d'une heure et demie", se souvient Nathalie Mathieu. Co-présidente de la Ciivise avec le juge des enfants Edouard Durand, la directrice de l'association Docteurs Bru a monté en 1996 une structure d'accueil à Agen, unique en France, spécialisée dans l'accueil de jeunes filles victime d'inceste.

L'inceste, c'est un viol ou une agression sexuelle. Mais c'est aussi un silence qui l'entoure. L'inceste remet tellement en question la famille, c'est-à-dire les fondements de la société, qu'on préfère de ne pas savoir.

Nathalie Mathieu, co-présidente de la Ciivise

France 3 Aquitaine

La Ciivise a été mise en place peu après la publication du livre de Camille Kouchner La Familia grande (éd. Seuil), dans lequel elle accuse son beau-père Olivier Duhamel d'avoir abusé de son frère jumeau. Pour la première fois, le sujet de l'inceste est rentré durablement dans le débat public. Pourtant, d'autres en avaient déjà publiquement parlé dans le passé : Christine Angot, avec son livre l'Inceste (Stock) en 1999,  ou, bien avant, Eva Thomas en 1986 sur Antenne 2.

A l'époque du témoignage d'Eva Thomas, des téléspectateurs avaient appelé l'émission en direct pour s'indigner, arguant qu'ils avaient eux-mêmes des relations sexuelles avec leur fille. "Pourquoi semez-vous la zizanie dans les familles? Pourquoi empêchez-vous les gens d'être heureux ?"

"Les mentalités ont changé. Aujourd'hui on n'entendrait plus ce genre de discours, les agresseurs savent qu'ils ne peuvent plus se tenir sur la place publique", reconnaît Nathalie Mathieu. 
Le crime n'a pas disparu pour autant. Selon la commission, chaque année, 160 000 enfants en sont victimes en France… Et les appels à témoignages lancés par la Ciivise rencontrent un très fort écho. Depuis le 21 septembre, 600 appels ont été passés vers les deux plates-formes téléphoniques dédiées mises en place dans l'Hexagone et Outre-mer. Quatre mille questionnaires ont été remplis, et deux cents personnes ont fait une demande de rendez-vous pour une audition.

"Chaque histoire est importante"

Un afflux qui ne surprend pas Nathalie Mathieu, qui continue d'encourager à la libération de la parole. " Les victimes, et les agresseurs, se trouvent dans notre entourage sportif, professionnel, scolaire...
Il est très important pour nous de recevoir massivement des appels et des témoignages.
 C'est leur ampleur qui fera en sorte que ce sujet ne pourra plus retomber, estime-t-elle. C'est pourquoi, chaque histoire est importante."

Rencontrer, écouter et croire la parole des victimes afin de pouvoir les protéger. C'est aussi la mission de la Ciivise qui a déjà rendu un premier avis fin octobre. 
L'une des recommandations porte sur l'aliénation parentale.
 Ce prétendu syndrome est régulièrement avancé pour justifier une certaine réticence à croire des enfants de parents séparés, lorsqu'ils dénoncent des faits incestueux. Ce concept, très décrié, induit notamment que l'enfant dénonciateur ne dirait pas la vérité, mais serait sous l'influence de sa mère manipulatrice.

95% des dénonciations reposent sur des faits avérés

"Dès notre nomination, nous avons été contactées par au moins une centaine de mères, qui nous ont alertés sur le fait qu'il leur était impossible de protéger leurs enfants. Lorsque ceux-ci sont rentrés de chez leur père en racontant des choses, elles ont porté plainte et l'enquête a conclu à un syndrome d'aliénation parentale", raconte Nathalie Mathieu.

Ces mères se retrouvent dans des situations dramatiques : soit elles remettent tout de même l'enfant au père en connaissant le risque, soit elles refusent et prennent le risque d'être poursuivies. Une maman, qui a opté pour ce second choix, a été condamnée à de la prison avec sursis, une autre a vu son enfant placé.

Nathalie Mathieu, co-présidente de la Ciivise

France 3 Aquitaine

La Commission, qui rappelle que les fausses dénonciations concernent moins de 5 % des dénonciations, a donc proposé de "suspendre de plein droit l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse". "Ce qui doit primer, même en cas de doute, c'est la protection de l'enfant", rappelle Nathalie Mathieu

Du repérage au soin, en passant par la procédure pénale, et l'accompagnement des victimes, la commission assurera régulièrement des points d'étapes et des propositions, avant un rapport final prévu pour 2023.

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