L'écrivain Frédéric Beigbeder était invité par la librairie Mollat à Bordeaux le 21 avril dernier pour parler de son livre. Afin de protester contre des écrits "d’une violence sexiste inouïe" et la promotion de "la culture du viol", les murs de la librairie ont été recouverts par Collages féministes Bordeaux dans la nuit précédent la venue de l'auteur. Le collectif s'explique.
"Il y a 94 000 femmes victimes de viol chaque année, ce n’est donc pas assez pour Frédéric Beigbeder ?" Quelques jours après la venue de l’écrivain à Bordeaux, marquée par l’action de Collages Féministes Bordeaux, Sarah, au nom du collectif, feint de s'interroger. Alors que Frédéric Beigbeder accuse les militants de bafouer la liberté d’expression et dénonce un "appel à la censure", le collectif s’explique sur son action et condamne fermement un ouvrage "où est infusée la sexualisation des femmes et la banalisation du viol".
Des actions pour "dénoncer un écrivain faisant l'apologie de la culture du viol"
À l’occasion de la sortie de son livre Confession d’un hétérosexuel légèrement dépassé, Frédéric Beigbeder fait la promotion de son livre en grandes pompes. Plateaux de télévisions, émissions de radio, articles écrits… L’écrivain est très présent. C’est à cette occasion que la librairie Mollat de Bordeaux l’a invité à tenir une conférence pour parler de son livre le 21 avril dernier. Dans la nuit du 20 au 21 avril, la librairie a vu et ses murs inscrits de collages tels que "Tu as un discours de violeur" ou "176 pages de branlette misogyne". Des actes revendiqués par Collages féministes Bordeaux sur ses réseaux sociaux.
La conférence où l’écrivain était interrogé pour parler de son livre a également été perturbée. Une dizaine de militantes et militants féministes l’ont interrompu quelques minutes en entonnant le slogan "Victime, on te croit, violeur, on te voit !", avant d’être évacués par la sécurité et que la conférence ne reprenne.
Un incident dont s’est ému Frédéric Beigbeder dès le lendemain, invité sur le plateau de BFM TV. "Ce que veulent ces personnes, c'est censurer, assure-t-il. Elles ne veulent pas en parler. Ce sont des gens qui veulent empêcher une rencontre dans une libraire, qui saccagent une libraire, en France, en 2023, et qui appellent à la censure." Il condamne une "violence" et réclame l’application de la liberté d’expression.
"Il y a deux poids, deux mesures quand il parle de liberté d’expression, répond Sarah au nom du collectif Collages féministes Bordeaux. Nous n’avons pas les mêmes outils médiatiques que lui donc c’est la façon qu’on a trouvée pour exprimer notre mécontentement et pour parler au nom des victimes qui ne le peuvent pas ou plus. C’est un mode d’action fort, la preuve : ça fait réagir. C’est donc celui qu’on privilégie et qu’on continuera d’utiliser quand ce sera nécessaire."
Quand on est une victime qui subit quotidiennement les violences du système capitaliste et patriarcal, quand on est une personne discriminée en France, par exemple quand on est une femme, une personne racisée, une personne en situation de handicap, enfin tout ce qu’il n’est pas et qu’on lit certains passages du livre, c’est extrêmement violent.
Sarah, au nom du collectif Collages féministes Bordeaux
Elle pointe une position victimaire de la part de l’écrivain dont il ne se cache d’ailleurs pas. Invité dans l’émission de Sonia Devillers sur France Inter, il n’hésitait pas à lancer : "Moi aussi, je suis une victime !" Une insulte "aux véritables victimes du système capitaliste et patriarcal" qui participe "à la mise sous silence de leur parole" a considéré Collages féministes Bordeaux dans un communiqué.
Outre ses propos lors de ses interviews, le collectif reproche à Frédéric Beigbeder le contenu de son livre qui "regorge de passages d’une violence sexiste inouïe". Parmi ces extraits, Sarah cite notamment des lignes où l’écrivain assure : "La peur de la prison ferme retient les hommes d’agresser sexuellement les femmes". D’autres encore où Frédéric Beigbeder remet en cause l’existence du patriarcat.
Aujourd’hui, on est à peu près à 1 % de viol condamné. Ce qu’il écrit participe à cet étouffement de la parole des victimes. C'est finalement dire aux victimes d’agressions sexuelles : "De toute façon, on a le droit de vous faire subir ça, on a le contrôle de vos corps et vous avez bien de la chance de ne pas vous faire plus agresser".
Sarah, au nom du collectif Collages féministes Bordeaux
"C’est vraiment rire au nez du combat féministe, déplore Sarah, énervée. La culture du viol et le développement des discours misogynes qui font l’apologie des violences sexistes et sexuelles dans la société et dans les médias, surtout quand on a l’influence qu’il a, avec des millions de personnes qui vont l’entendre ou le lire, cela a un impact bien réel dans la société."
Si le collectif a reçu de nombreux soutiens, de nombreuses insultes lui ont également été adressées par "la fachosphère". "On a eu extrêmement de propos violents et qui adoubent Frédéric Beigbeder, témoigne Sarah. C’est en cela qu’on voit qu’il touche énormément de gens et que ses propos confortent ces gens qui sont anti-féministes, mais souvent aussi racistes et homophobes. C’est dangereux."
C’est une question de responsabilité des maisons d’édition et des librairies. C’est un choix politique d’organiser une conférence et sa venue à la librairie pour qu’il puisse continuer sur la même lancée de tout ce qu’il disait interview et dans son livre.
Sarah, au nom du collectif Collages féministes Bordeaux
"C’est insupportable de lire ce qu’il écrit quand on connait la réalité des chiffres"
Le lendemain de son passage en Gironde, Frédéric Beigbeder a reçu le soutien de son amie et écrivaine Tristane Banon qui considère son livre comme "trop honnête, ne servant que de prétexte à un lynchage devenu ordinaire". En réponse à l’action de Collages féministes Bordeaux, de nombreuses voix pointent une liberté d’expression en danger, Frédéric Beigbeder et les chroniqueurs de CNews en tête.
"C’est le classique 'On ne peut plus rien dire dans une société wokiste de censure idéologique'", répond Sarah. Avant d’enchaîner : "Bien sûr que tout le monde a le droit de s’exprimer, mais cela s’arrête dès lors que cette liberté vient empiéter sur d’autres libertés fondamentales, comme le droit à l’égalité qui est bafoué. J’irai même plus loin en évoquant le droit à la vie parce que parler comme il le fait, c'est légitimer des violences qui, dans la vraie vie, constituent des menaces pour les personnes discriminées." La militante en veut pour preuve les 147 féminicides recensés en France en 2022 et les 94 000 viols perpétrés dans l’hexagone chaque année, selon l’estimation de l’Observatoire national des violences faites aux femmes.