La Gironde est premier département de France à oser franchir le pas du congé menstruel. La délibération vient d’être votée. Après une période de concertation, cette expérimentation à vocation pérenne devrait être mise en place dès le mois de janvier 2024.
L’impulsion est donnée après ce vote en assemblée plénière. Dès la rentrée scolaire, place aux dialogues pour imaginer sa mise en place. "À la rentrée, on réunit les organisations syndicales et la médecine du travail", explique Marie Récalde, initiatrice du projet et responsable diversité et égalité du Conseil Départemental. Même si pour l’instant, ce n’est pas un véritable congé. "Le terme ne peut pas être validé, car il n’y a pas de loi", nuance-t-elle.
"Les hommes aussi s’en mêlent"
C’est avec un grand enthousiasme que Marie Récalde, présente son plan de dialogue et projette la suite. Parce que tout a commencé sous les meilleurs augures.
Quand elle évoque sa rencontre avec le président du Conseil départemental, Jean-Luc Gleyze, elle ne peut contenir sa joie ni sa fierté. "Le 8 mai jour, je le rencontrais dans le cadre de la journée des droits des femmes, et je lui ai soufflé à l’oreille. Tout de suite, il m’a dit d’y aller". Elle est ainsi amenée à se rapprocher du délégué aux ressources humaines pour monter le projet. Un homme, un autre. "Vous voyez, les hommes aussi s’en mêlent !", se réjouit-elle.
Les modalités imaginées
Dès janvier 2024, selon le calendrier du projet, les 4 500 agentes du département pourraient voir leurs tâches facilitées lors de menstruations douloureuses ou incapacitantes. "On pense tout de suite au télétravail", déclare Marie Récalde. Mais, d'autres solutions sont aussi envisagées : "on peut imaginer une alternance des positions assises et debout, avec une adaptation des postes de travail, mais aussi une salle de repos, qui pourrait être utilisée en attendant que les antalgiques fassent effet par exemple".
Hic potentiel : le report de la charge de travail sur les autres collègues. La responsable du projet répond sans ambages "c’est pour ça que cela doit se discuter collectivement", car selon elle le dialogue serait la clé de tout.
Louis Design : pionnière des entreprises française
En France, une première entreprise a déjà mis en place un réel congé menstruel. Chez Louis Design, une entreprise occitane de conception et fabrication de meubles de bureaux, la possibilité d’un congé menstruel a été évoquée dès la sortie du Covid.
Dans cette société, où le dialogue constant est la base de toute décision, la mesure s’est mise en place sans tensions et existe maintenant depuis une année. Les jours sont posés en congé sans solde, par les salariées, sur un programme de gestion des plannings, puis re-crédités.
En cet anniversaire, son directeur général Paul Gely se dit "très, très content de cette mesure". "C’est un dispositif qui roule tout seul et soulage des personnes qui en ont besoin," assure-t-il. "Les femmes concernées prennent leur congé sans aucune friction". Il concerne 8 femmes, sur les 17 personnes que compte l’entreprise.
Sur la fréquence de prise du congé, il répond sans détours : "on a une personne qui souffre vraiment de règles très douloureuses et de vomissements, elle le prend systématiquement. D’autres le prennent ponctuellement. Mais, il n’y a clairement aucun abus." Il va même plus loin que cela quand il évoque certaines femmes qui n’osaient pas le prendre, se sentant illégitimes alors qu’elles étaient mal. "Je leur ai dit "non mais vas-y il est là pour ça c’est à disposition si besoin".
Une loi française pour généraliser le congé menstruel
Deux propositions de loi ont déjà été présentées devant l'Assemblée Nationale, par le groupe socialiste, puis par le groupe écologiste représenté par Sébastien Peytavie. Le député de la 4ᵉ circonscription de Dordogne, membre de la Commission des Affaires sociales et coprésident du groupe d’études Handicap et inclusion, a fait de cette proposition de loi son cheval de bataille, notamment le 26 mai, lorsqu'il l'a défendue devant les autres députés.
Je suis en négociation, avec le gouvernement.
Sébastien Peytavie, Député de la 4ème circonscription de DordogneFTV
Le tout est désormais de la faire passer pour que d'une proposition, elle devienne une véritable loi. "Ça ne sera pas avant la rentrée" explique le député. "Après, il y a aussi la question du coût" qui peut faire barrage au passage du projet, "puisque notre budget implique un budget sécurité sociale". Celui-ci serait autour d’un milliard d'euros, confie-t-il. Avant d'évoquer une seconde difficulté, non des moindres." Leur grande inquiétude est que l'on créerait un nouveau droit, et que plein d’autres personnes pourrait le réclamer (le congé, ndlr), comme les personnes qui souffrent de la maladie de Crohn."
La naissance du projet
Le député se remémore, dépité, la première fois où il a envisagé de faire voter cette loi. "On était en plein débat sur les retraites, et les Espagnols ont voté ça en février", avant de poursuivre : "encore une fois, comme pour les violences conjugales, ils sont en avance et pas nous".
À partir de là, le député organise des auditions pendant deux mois pour élaborer son projet de loi. "Dans les auditions, ce n’étaient pas les entreprises qui étaient inquiètes, mais les associations féministes qui s’inquiétaient de discrimination à l’embauche, et de discrimination".
Un congé menstruel en France ?
— Sébastien Peytavie (@speytavie) May 26, 2023
Le 17 février, nous annoncions une concertation.
Dès le 1er mars, je le mettais en place dans mon équipe.
Aujourd’hui, nous déposons notre proposition de loi.#PourUnCongéMenstruel pic.twitter.com/ljKLp0d19B
Ce que prévoit le projet de loi
Le projet de loi n'envisage pas de télétravail, mais un véritable congé. "Le dispositif que nous avons imaginé se rapproche de celui du Covid: Quand on a un test positif, on se déclare auprès de la CPAM" explique le rapporteur. Ensuite, "un médecin généraliste, du travail ou une sage-femme délivre une attestation pour règles incapacitantes."
Ce terme de règles incapacitantes, il y tient, plutôt que d'évoquer des règles douloureuses "car il n'y a pas que la douleur, il y a aussi des règles abondantes". À partir de cette reconnaissance, 13 jours de congés menstruels sont générés et peuvent être posés à la discrétion de la salariée.
On parle de congé menstruel, mais c’est un arrêt maladie, sans jour de carence.
Sébastien Peytavie, député écologiste de la Dordogneà rédaction web France 3 Aquitaine
Cet arrêt maladie, il le défend mordicus, pour "qu’il n’y ait pas de double pénalité, avec un arrêt dans le travail et en plus une perte de salaire." Enfin la mesure la plus importante : "qu’en aucun cas ça puisse être discriminant pour l’employeur. Que cela ne puisse pas être un motif de licenciement", insiste-t-il.
Désormais, ce qu'il faut trouver, c'est le chemin transpartisan. Celui-ci pourrait exister par le biais d'une autre proposition de loi, déposée par le groupe socialiste en date du 10 mai dernier.
"On aura gagné quand ce sera un non-sujet"
Ces deux propositions de loi sont suivies de près par le Conseil départemental, pour faire évoluer son dispositif. Le député de la Dordogne le dit :"si déjà, on peut mettre un pied dans la porte, on pourra avancer par la suite".
Marie Récalde rappelle les mesures déjà prises par le département : "ça va aussi dans la suite logique des serviettes hygiéniques gratuites pour les collégiennes. C’est un continuum". Avant de préciser que le dispositif du conseil départemental "sera élargi aux périodes de préménopause et ménopause. On va aussi l’étendre aux personnes transgenres qui connaissent aussi des mouvements hormonaux". "On aura gagné quand ce sera un non-sujet !", conclut-elle.