Le département compte 5700 enfants relevant de l’Aide sociale à l’enfance. Plus de la moitié sont placés, et confinés, dans des foyers. Des ordinateurs leur permettraient d’appeler « en visio » leurs parents, leurs éducateurs, et de suivre une scolarité à distance comme les autres
Ces enfants vivent déjà des situations extrêmement compliquées et douloureuses. Comment les aider pour que cette crise sanitaire ne les isole pas du reste de la société et qu’ils aient droit aux mêmes chances ?
Le foyer de l’Institut Don Bosco situé à Gradignan, une des associations qui s’occupent au quotidien de ces enfants et adolescents, lance un appel aux dons d’ordinateurs et tablettes.
"J’aimerais que ça redevienne comme avant, mais pour l’instant ça va", dit Antoine.
Antoine a 14 ans et vit dans ce foyer à Gradignan depuis deux ans. « Si ça devait durer encore un mois, ça serait embêtant ». Depuis quinze jours, ces enfants sont soumis au même confinement que le reste de la population : mesures barrières, sorties interdites, et donc contacts restreints avec leurs familles, c’est-à-dire seulement par téléphone.
Les visites sont désormais interdites. Kévin, lui, a été placé dans ce foyer en 2013 en raison d’une situation familiale elle aussi compliquée. Il vit moins bien le confinement qu’Antoine. « C’est aussi parce qu’il vit moins bien le placement au départ », nous explique son éducateur. Sa famille lui manque. « Là, j’essaie de faire sans, mais je crois que je vais partir », annonce-t-il, « même s’il y a la police, je pars et je vais chez moi ».
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" Ils tournent en rond "
Les enfants et adolescents accueillis dans ce foyer dit MECS (maison d’enfants à caractère social) ont tous connu de grandes difficultés : maltraitance de différents types (violence morale, physique, ou sexuelle), précarité sociale et financière, absence de parents, ou situation monoparentale compliquée.
« Chaque situation est différente », expliquent les encadrants. En ce moment ils sont 22, âgés de six à seize ans, à être hébergés sur ce site de Gradignan. Des enfants dont le quotidien est aujourd’hui plombé par une nouvelle difficulté : le confinement.
Les équipes ont beau mettre en place des cours le matin et des activités l’après-midi, « ils tournent en rond », nous dit-on. Pour respecter les consignes des pouvoirs publics, la moitié des éducateurs, psychologues et autres professionnels sont chez eux. Mais ils continuent de travailler depuis chez eux et sont en contact avec les enfants par téléphone ou visioconférence.
« C’est pas simple tous les jours, dans l’ensemble c’est compliqué", raconte Paul Kermorgant éducateur, 27 ans, qui lui travaille toujours sur le site .
Ça s’est bien passé au début, mais ça va se dégrader. On arrivait à les occuper et garder le moral, mais le manque des familles avec l’annulation des droits de visite se ressent. Pour l’instant, ça se traduit par une excitation. Certains sont plus agités, moins faciles à gérer.
Paul Kermorgant
Un plus grand nombre d’ordinateurs permettraient de leur faire cours plus facilement, de les distraire aussi. « On a fait une demande au conseil départemental de la Gironde de 250 tablettes» pour l’ensemble des personnes prises en charge par l’Institut Don Bosco (850 à l’échelle du département), explique Martine Gibert directrice du Centre Scolaire Dominique Savio de l’Institut Don Brosco.
Un appel relayé par les éducateurs, comme sur cette vidéo de Sébatien Tartas.On a fait une demande au conseil départemental de la Gironde de 250 tablettes. Ça a été refusé, donc nous faisons un appel au mécénat et aux dons.
Appeler leurs familles « en visio »
C’est un besoin vital. Quelle que soit la situation de ces familles, les enfants ont besoin d’être en contact avec leurs proches dont ils sont tenus à distance parce qu’ils sont en foyer mais plus particulièrement du fait du confinement.Antoine est fils unique, il appelle sa mère tous les deux jours. Il en a besoin. « J’ai envie de l’avoir au téléphone », dit-il.
Kévin, lui, rentre chez lui deux week-end par moi. Depuis quinze jours, c’est interdit. Quant à son frère, lui aussi en foyer, mais dans un autre foyer, il ne le voit plus non plus.
Alors il leur téléphone. Avec un ordinateur, il pourrait aussi les voir, par Skype par exemple. « Chez moi, on n'a pas internet donc on ne peut pas se voir visuellement. J’ai pas d’ordinateur quand je suis chez moi. Je n’en trouve pas l'utilité car je ne m’en suis quasiment jamais servi. Même au collège, certains essaient de m’expliquer, mais j’arrive pas à comprendre », explique Kevin. « Faut vraiment que je me lance dans cette aventure ».Ça me manque de ne plus le voir, et ma maman, c’est pareil, elle me manque.
Au foyer, il y a seulement un ordinateur pour dix enfants en moyenne. S’il y en avait plus alors Kévin pourrait prendre le temps d’apprendre avec un éducateur. Cela lui donnerait peut-être confiance, voire l’envie.
Garder le contact avec leurs éducateurs
Pour les enfants répartis dans leurs familles, il est indispensable qu’ils restent en contact avec leurs éducateurs. Pour trois d’entre eux, ce lien a permis de faire marche-arrière. Il a été décidé « leur retour au foyer en cours de confinement, car on pouvait pas les laisser chez eux », dit Martine Gilbert. En cause ? Errance, violence, ou un confinement devenu tout simplement insupportable. « On aurait aimé qu’ils soient testés à leur retour dans notre structure qui est collective, mais on n’a pas réussi », regrette Martine Gibert.Pour les autres, les appels réguliers des éducateurs permettent de vérifier qu’ils évoluent dans un cadre avec des horaires et un environnement stable. « On essaye de responsabiliser les parents et les enfants », raconte Paul Kermorgant . « Les parents, eux, sont contactés par téléphone via le service famille ». « Pour l’instant, leur moral est plutôt bon car ils sont contents d’être chez eux. Mais il y a des possibilités que cela se dégrade. La plupart nous le diront, mais pas tous. Alors on maintient le lien. On essaie d’anticiper les événements », dit l’éducateur. « On met en place des modalités particulières, explique Martine Gibert, « mais on ne peut pas garantir le même niveau de protection que quand on y va deux ou trois fois par semaine en temps normal et avec actions pluridisciplinaires (éducateurs, psychologues, conseillers en économie sociale et familiale) .
Poursuivre leur scolarité
Les éducateurs comme Paul et Sébastien s’occupent également du suivi pédagogique. Ces enfants sont scolarisés et ils doivent suivre les cours grâce aux documents mis en ligne par leur école et collège ou plus largement l’éducation nationale. Pour ceux qui sont en foyer, le travail est réalisé avec les éducateurs. Les enfants se partagent les ordinateurs, « il y en a en moyenne un pour dix ». Sinon les éducateurs font avec les moyens du bord en essayant de mettre un peu de fantaisie dans les cours. Aujourd’hui, la dictée a été réalisée à partir d’un texte de rap écrit par l’un des élèves.C’est pour les enfants de retour dans leur famille que c’est le plus difficile. Certains n’ont pas d’ordinateurs chez eux. Sébastien Tartas, éducateur, nous explique qu’il envoie parfois « les exercices à faire par MMS».
Paul a eu trois enfants ce matin par téléphone : "il y en a deux avec qui on a fait ça par téléphone car ils n’ont pas d’ordinateur, le troisième, sa mère a été au collège récupérer les cours imprimés". « Mais après il faut que le forfait de téléphone suive », dit-il, désolé.
C’est pour ceux qui sont chez eux que c’est le plus compliqué, car c’est en fonction des capacités des parents. Donc certains vont être défavorisés. Cela dépend des capacités financières des parents et de leur capacité aussi dans l’aide aux devoirs.
Quid du confinement ?
Face au confinement, le foyer a pris des dispositions pour éviter une trop grande promiscuité entre les enfants. Certains ont donc été renvoyés dans leur famille lorsque cela représentait le moins de risque possible. Sont restés au foyer ceux qui font de l’accueil, certains éducateurs, surveillant de nuit, maîtresses de maison. Ceux-là sont désormais seuls par chambre. Le conseil départemental assure que tout est fait pour que, si un cas suspect est détecté, il puisse être mis à l’isolement dans une pièce. Dans cette maison d’enfants à caractère social, aucun cas n’a été relevé pour l’instant.
Pour palier le confinement de certains personnels à leur domicile, il a fallu faire appel à du renfort via des plateformes d’intérim. C’est le département qui l’a financé. Des étudiants de l’IRTS (Institut régional du travail social ) ou des retraités du secteurs sont aussi venus prêter main forte.
Côté matériel, les masques manquent cruellement. Emmanuel Ajon, vice-présidente du conseil départemental de la Gironde en charge de la Protection de l’enfance, a obtenu 10 000 masques de l’Agence Régionale de Santé. Ils ont commencé à être « distribués hier à toutes les structures de la protection de l’enfance», annonce-t-elle. « Parallèlement, le département a commandé et acheté 40 000 masques supplémentaires ».
Pour l’instant, à Gradignan, les éducateurs appliquent les mesures barrières comme ils peuvent. « Mais c’est difficile », dit Paul. « Nous on s’adapte," explique l’éducateur, « là d’autant plus, que les conditions sont particulières ». « Il faut garder le moral, pour eux. Moi je n’ai pas de masque. On respecte au maximum le lavage des mains et les distances minimales. Mais ces distances sont dures à garder tout le temps, car on est leur seul repaire et ils ont besoin de notre présence et de contact ». Un contact physique d’autant plus nécessaire chez les plus petits. Car ici on accueille les enfants dès six ans.
INFO UTILE
Sachez que si vous êtes en difficulté financière, le conseil département de la Gironde , via le collège où est scolarisé votre enfant, s’engage à vous fournir un ordinateur pour qu’il puisse continuer à suivre les cours à distance pendant le confinement.POUR DONNER UN ORDINATEUR
Si vous voulez donner un ordinateur (ou une tablette) ou en acheter un pour que les enfants de la MECS de l’Institut Don Brosco puissent en profiter, appelez le O6 16 55 33 36 ou écrivez à cette adresse (contact@institut-don-bosco.fr).
> Le gouvernement a lancé cet appel au don d’ordinateurs par la voix d’Adrien Taquet, secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance.
Particuliers et entreprises peuvent y répondre. Pour trouver les structures de l’Aide sociale à l’enfance près de chez vous, cliquez ici, elles y sont recensées.
En Gironde, deux associations y ont souscrit : l’Institut Don Bosco et l’ANPF. Vous pouvez contacter l’ANPF sur sa page Facebook ou sur son site > www.anpf-asso.org.