Installée aujourd'hui à Osse-en-Aspe en Béarn, dans les Pyrénées-Atlantiques, Michèle Caillabet a 90 ans. Originaire d'un petit village du Nord, sa famille a tout quitté, le 10 mai 1940, pour fuir les Allemands après la percée de Sedan. Elle avait 10 ans. Témoignage.
Quatre -vingt ans après, le souvenir semble encore très frais dans la mémoire de la vieille femme.
Depuis 1993, elle s'est installée en Béarn dans la maison familiale de son mari. Pourtant, ses yeux clairs semblent rappeler ses origines nordistes. Le Nord qu'elle a quitté un jour de 1940 pour un tour de France, un voyage sans but si ce n'est de fuir l'envahisseur.
A 90 ans, la voix de Michèle Caillabet est vive et claire. Souriante même malgré la gravité du récit.
Le 10 mai 1940, autant dire qu'elle s'en souvient bien.
En 1940, elle vit dans son village de Caudry dans le Nord (aujourd'hui les Hauts de France), à 15 kms de Cambrai et au Sud de Maubeuge, comme ses grands-parents et arrière-grands-parents avant elle.
Ne plus subir "cela" une fois encore
D'après Michèle, son père, né en 1900,et dont la famille avait vécu 1870, 14-18 et cette nouvelle déclaration de guerre, pensait " Je ne subirai pas cela une fois de plus", le fait "d'être encore une fois obligé de saluer les Allemands, etc..."
A la maison, on écoutait la radio, la TSF, et on a suivi les choses au jour le jour...
"Et le 10 mai, avec la percée de Sedan, les Allemands arrivaient... Mon père a décidé qu'on partait".
Chez Michèle, son père était fonctionnaire "aux finances". Il n'était pas mobilisé car il était chargé de famille comme on disait à l'époque."Il a prévenu à la mairie qu'il partait..."
Et c'est alors toute la famille qui s'est mise en route : son père, Jean Leclercq, sa mère, Hélène, née Sarran Michèle (10 ans) donc l'aînée, puis sa soeur, Suzanne dite "Suzie", 8 ans, et Jean-Paul, le petit dernier. Ce petit frère, de 3 ans à peine, dont elle dit qu'il "a eu très peur durant ces jours-là"...
Alors que ma soeur et moi, peut-être parce que mes parents restaient tranquilles, on n'a pas eu si peur...
Le 10 mai 1940 : "On ne peut pas oublier ça..."
"Ce jour-là, on a tout laissé en plan. On a fermé la maison. Et je me souviens comme ça aussi de détails. Comme le fait qu'on a mis l'argenterie dans la citerne. Mon père a dit: comme ça, ça ne s'abîmera pas..."
Et puis, on avait la chance d'avoir une voiture, une Citroën de l'époque... Peut-être, il (son père) avait calculé son coup... et on est allés jusqu'à Amiens."
Une nuit dans la cathédrale d'Amiens
Cette première nuit d'exode est représentative de cet épisode de notre Histoire française:
On a dormi dans la cathédrale d'Amiens. C'était la cour des miracles !
Bien-sûr, le voyage, le contexte dramatique, la fuite, tout est là pour que cette journée reste gravée dans la mémoire de cette petite fille, de cette femme aujourd'hui.
Caudry-Amiens, une centaine de kilomètres. Sur la route, de nombreuses personnes, femmes, enfants vieillards, fuyaient eux aussi, parfois en charrette. Le plus souvent à pieds.
Comme beaucoup d'autres, ce premier soir, ils échouent à Amiens. Un accueil est improvisé à l'intérieur même de la cathédrale.
"La cathédrale avait été protégée par des sacs de sable. Il y avait énormément de réfugiés. Des gens venus aussi de Belgique, des Pays-Bas".
Ce qui marque aussi la petite fille, cette nuit là, face à l'autel dans le choeur de la cathédrale, ce sont les blessures des gens "ma mère aussi essayait d'aider pour soigner", "qui déchiraient des vêtements pour soigner les jambes, les pieds en sang des gens qui avaient tant marché"... Des hommes et des femmes qui aussi, tout le long de la route, avaient vécu les mitraillages des avions allemands sur les convois de réfugiés, les charrettes.
"Je ne me rappelle plus. A un moment sur la route, on s'est arrêtés et mis dans un un fossé. On a attendu quand des avions passaient".
Là, Michèle fait référence au stukas, les modèles de l'aviation allemande qui mitraillaient les routes. Car les civils comme les militaires, dans la débâcle, se croisaient sur les mêmes chemins, dans une confusion totale puisque le "front" n'existait plus vraiment.
Michèle poursuit son histoire, vue par les yeux de la petite fille qu'elle était: "Les Allemands continuaient à avancer. Mon père a dit qu'on ne pouvait pas rester. On devait partir d'Amiens".
Normandie et Bretagne
La famille arrive à Avranches (dans la Manche) où elle est recueillie comme d'autres réfugiés "tout le monde était très gentil". "C'était chez des particuliers épouvantés par tous ces gens qui arrivaient partout".
Deux-trois jours plus tard, la famille décide d'aller à St-Brieuc, en Bretagne (Côtes d'Armor) où ils ont des connaissances car "les Allemands continuaient à avancer".
Chez ce pasteur breton, ami de la famille il resteront "une semaine peut-être". Puis les cinq reprennent la route vers le sud, cette fois en train "Il n'y avait plus d'essence"...
En train jusqu'à Bordeaux
Ils arrivent en gare de Bordeaux Saint-Jean. D'après le récit de Michèle, nous sommes entre le 20 et le 22 mai. Au plus fort, peut-être, de cette affluence de réfugiés à Bordeaux. Et son souvenir est très présent:
"On arrive à la gare de Bordeaux, il y a énormément de monde. La Croix rouge s'active pour donner à manger soigner, notamment des bébés, avec du lait...
Et là, dans la foule, à un moment, on a perdu mon petit frère...
Ça a été terrible. il y avait beaucoup de monde... Et puis... on l'a retrouvé : il parlait, tranquillement avec un autre enfant..."
Fuir... en Algérie peut-être
Mon père dit : " On peut pas rester là... Et on a repris un train (sûrement le lendemain) pour Montpellier."
Et la famille atterrira à Sète, sur les bords de la Méditerranée, un peu plus tard. Là où son père a dans l'idée de prendre un bateau pour l'Algérie...
On a vu partir, du port de Sète, le dernier bateau pour l'Algérie...
Un coup dur on l'imagine pour ses parents, toujours dans l'idée de fuir l'envahisseur.
Peut-être un peu moins pour les enfants, avec qui ils ne partagent peut-être pas leurs inquiétudes, qui perçoivent sans doute les choses autrement: un nouveau décor, le beau temps et la mer Méditerranée.
La famille reste donc à Sète: "On y a passé des vacances formidables"!
"Mon père s'était présenté à la mairie, à la perception où il a retravaillé. Les gens louaient à ce moment-là, de grandes villas, une chambre par famille... On était pas loin de la mer. Pour nous, c'était bien."
Un mois et demi plus tard, mon père a décidé de remonter, de rentrer.
Vers la fin de l'été, tous ensemble, ils reprennent alors la route via Vierzon "la ligne de démarcation". "On nous dit "il ne faut surtout pas dire "boches"". Et ils arrivent en zone occupée, puis à Paris où son père reprend un travail au ministère des finances, au Louvre.
Retour vers le Nord occupé, mais chez soi
Puis, ils décident de "rentrer à la maison", à Caudry.
Après tout, les Allemands étaient partout. Autant être chez soi...
Et Michèle, là aussi s'en souvient bien: " La maison était toujours là. Elle était toujours debout mais avait été vidée, par les Allemands".
"Mon père est allé se plaindre à la mairie, la kommandantur, les Allemands nous ont rendu ce qu'ils avaient pris". D'autres choses ont aussi été "retrouvées" chez des voisins...
Cet exode, aller et retour, cette famille semble en avoir parlé sans tabou. Si son frère l'a vécu comme un traumatisme, Michèle n'en retient pas de (trop) mauvais souvenirs.
Ses parents, de confession protestante, vivaient sans doute, selon elle, leur foi en se "confiant à Dieu".
Une foi ou philosophie de vie qui semble les avoir accompagnés durant cette période difficile, et, sans doute aussi, jusqu'à la Libération.
Pour en savoir plus sur cet épisode marquant de notre histoire de France, regardez le documentaire qui lui est consacré, sur notre chaîne :
"L'Exode" lundi 8 Juin à 21h05 sur France 3
Un documentaire de 1 heure 30, à base de films de l'époque, réalisé par Emmanuelle Nobécourt avec la collaboration de Bertrand Collard avec de nombreux documents historiques.