Mathieu et Lioudmila, vendaient des produits à base de chanvre dans leur tabac épicerie de Landiras en Gironde. Poursuivis pour trafic de stupéfiants, ils ont été relaxé par la justice, qui a reconnu qu'ils n'enfreignaient pas la législation européenne en la matière. Une première en France.
"Depuis le temps qu'on attendait de se réveiller et de sortir de ce cauchemar… On est soulagés que ce soit fini". Lioudmila H. ne cache pas son émotion. Vendredi 6 septembre le tribunal correctionnel de Bordeaux les a relaxés, elles et son mari Mathieu. Ils étaient poursuivis pour trafic de stupéfiants, et provocation à l'usage de stupéfiants.Installé à Landiras depuis près de dix ans, le couple, qui tient un tabac-épicerie tente de se varier son offre pour contrer l'augmentation du prix du tabac. Vêtements, jouets, couteaux… et depuis quelques années, des produits à base de cannabidiol, ou CBD.
Législation floue
"Evidemment, précise Mathieu H., lorsque nous avons évoqué la question des produits à base de THC, la question de la légalité s'est immédiatement posée". Le couple se renseigne, lit les textes, et découvre alors que contrairement à la loi française, la législation européenne autorise la vente de produits dérivés du cannabis, dans la mesure où le taux de THC, la molécule psychoactive du chanvre, reste inférieur à 0,2%, dans la plante brute ou dans les produits dérivés.Sans THC, mais en conservant le cannabidiol ou CBD, les produits vendus seraient dépourvus d'effets psychotropes.
Malgré ce flou législatif, la vente de produits au CBD dans des boutiques ayant pignon sur rue est alors en plein essor dans toute la France. Lioudmila et Mathieu sont soutenus et épaulés dans leur démarche par l'Association des buralistes en colère, et proposent des janvier 2018, des graines à usage de collection puis du e-liquide ou encore des fleurs de chanvre à infuser.
Perquisition et gilet pare-balle
Mais le 31 octobre 2018, le couple voit une quinzaine de gendarmes débarquer au tabac. "Ils étaient armés, portaient des gilets pare-balle, se souvient Lioudmila. Ils ont perquisitionné le magasin et la maison ou se trouvaient nos trois enfants".Je ne comprenais rien. Je me disais, tout ça pour des fleurs de chanvre sans THC ??
Les buralistes découvrent alors qu'un client aurait témoigné auprès des gendarmes, accusant Lioudmila de lui avoir proposé de fournir "quelque chose de plus fort", s'il le souhaitait. "Il a dit m'avoir rencontré à une date ou je n'étais même pas à Landiras, j'étais à Disneyland Paris avec les enfants", soupire la buraliste.
Vingt-neuf heures de garde-à-vue
La machine judiciaire se met alors en branle. Quelques mois plus tard, après une nouvelle perquisition, le couple est à nouveau placé en garde-à-vue, elle à Podensac, et lui à Cadillac. Un nouveau coup dur.Après vingt-neuf heures, ils sont relâchés en attendant le passage devant la justice. Et font face aux suspicions du village. "Forcément les gens parlent. Ils se disent que les gendarmes ne se déplacent pas sans raison… C'est ça qui est dur, on peut bien sur parler des pertes économiques, mais le plus dur, c'est le moral…".
Relaxe
"J'avais très peur de me rendre devant la justice, reconnaît Lioudmila. Mais le président du tribunal m'a écoutée, il a bien vu que nous étions dans la légalité, que nous nous fournissions dans des catalogues français auprès d'entreprises qui n'ont jamais été inquiétées... Il s'est même excusé".Le tribunal les a relaxés, reconnaissant que la loi européenne prenait le pas sur la législation française et les recommandations de la Mildeca, (la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) et déclarant cette dernière conventionnelle. Le parquet, n'a pas fait appel.
Vers un changement de la législation ?
Une première en France, jusqu'à présent les précédents cas de relaxe ayant uniquement été accordés sur la bonne foi des prévenus. "C'est la première décision définitive en France, de nature à faire changer la jurisprudence, se réjouit Maître Plouton, l'avocat de Lioudmila et Mathieu.Je pense que ça peut potentiellement conduire à une révision de la législation française, ce qui aurait un impact sur tous les commerçants et les producteurs de chanvre, notamment en Nouvelle-Aquitaine !