C'est souvent tabou dans notre société et même au sein des familles. Que ce soit au cours de la grossesse ou dans les premières années, la perte d'un bébé représente une blessure pour les parents qui est difficile à partager. Ce 15 octobre, la journée du deuil périnatal les incite à exprimer cette douleur et se faire accompagner.
"Je ne peux pas exprimer avec des paroles, la souffrance que cela représentait". Avec son petit accent, Sofia se remémore les heures terribles de l'annonce de la mort in utero de son premier bébé. Avec son conjoint Olivier, ils se faisaient une joie d'annoncer la nouvelle à la famille de ce bébé-surprise et là, "on était obligés de partager la mort de notre bébé".
Les jours suivants ont été terribles pour le couple et surtout pour Sofia qui aura porté son bébé" mort durant six semaines" dans son ventre. Elle décrit alors le contexte, le fait que personne ne comprend sa souffrance. On lui dit "ce n'est rien, ça arrive à tout le monde, vous aurez un autre bébé..." Elle ajoute, amère : "malgré le fait qu'ils étaient sympas à l'hôpital, je n'ai pas senti qu'ils ont compris ma douleur. J'ai pleuré, pleuré... Aux urgences, c'étaient de jeunes internes qui n'arrivaient pas à me regarder dans les yeux. Ils n'avaient peut-être pas la maturité pour traiter des sujets comme ça ! Ça n'a pas été le soutien que j'aurais voulu".
Pour le papa également c'est un choc. "On n'a pas les sensations de l'enfant dans le ventre mais ça met un coup derrière la tête (...) C'était violent ! Je me sentais déjà papa quoi..."
Lui aussi regrette l'attitude des soignants dans une forme de banalisation de cet événement qui était en train de bouleverser leur vie, leur couple. "Ça partait d'un bon sentiment, mais les docteurs ont minimisé en disant qu'on aurait un autre enfant". Il raconte avoir eu du mal à voir les choses comme eux. "On devrait aller bien... et c'est pas le cas en fait".
Aujourd'hui, après avoir traversé d'autres épreuves dont deux autres fausses-couches pour Sofia, ils ont pu enfin donner la vie à une magnifique petite fille d'un mois et demi, Lila.
Journée du deuil périnatal
Alors que la perte d'un enfant, autour du moment de la naissance, concerne 8000 familles en France chaque année, le sujet reste tabou et les parents ont du mal à aller de l'avant sans avoir l'impression de "trahir" le souvenir ou l'amour qu'ils avaient investi dans ce nouveau-né ou à venir.
Ce 15 octobre est la journée dédiée au deuil parental. Sur les réseaux sociaux, on peut voir quelques messages plein de pudeur. Des prénoms, des cœurs, des anges. L'occasion pour certains, souvent certaines, d'exprimer publiquement cette perte.
D'autres tweets de soutien, de pensées d'anonymes comme d'associations d'accompagnement, comme ci-dessous "Petite Emilie", qui invite les femmes à partager leurs photos de grossesse. Car ces moments ont bien fait partie de leur vie.
On les appelle les "par'anges", papanges et mamanges, ces parents qui ont perdu un petit ange. Dans plusieurs villes de France, ils se rassemblent ce 15 octobre, et des lâchers de ballons sont organisés. Des petits mots ou des prénoms y sont inscrits et sont parfois tenus par des petites mains.
"Ecouter, écouter, écouter"
Depuis 28 ans, l'association AGAPA propose un accueil, une écoute et un soutien aux personnes en souffrance à la suite de la mort d’un bébé autour de la naissance ou d’une grossesse qui n’a pu être menée à terme quelle qu’en soit la raison. "En parler, c'est permettre aux personnes vivant un deuil périnatal d'être reconnues dans leur souffrance, et d'être mieux soutenues par leurs proches et par l'ensemble de la société. En parler, c'est faire reculer le tabou et atténuer les sentiments de solitude, de culpabilité, de vulnérabilité ressentis bien souvent".
Marie-Laure est accompagnante à l'AGAPA, à Bordeaux. Il y a 27 ans, elle a vécu un deuil périnatal : "C'est quelque chose qui habite de manière définitive", mais "chacun suit son chemin". Elle sait comme ces moments sont fragiles. "En 2015, j'ai découvert cette association et j'ai tout de suite su que c'était ma place et mon rôle".
Depuis six ans, elle écoute ces femmes et ces hommes parfois. A la prise de contact, elle ressent la plupart du temps "un très très grand sentiment de solitude, de désespoir". Mais elle estime que, depuis peu, et grâce à internet, les gens cherchent à se faire aider. "Et ça c'est nouveau".
Marie-Laure et deux autres bénévoles, bientôt quatre, sont formées pour accompagner les personnes qui ont vécu un deuil périnatal. "On a différentes façons de les accompagner. Un accueil inconditionnel, dit-elle dans un sourire, dans deux lieux prêtés par la mairie de Bordeaux (...) mais aussi au téléphone.
Elle explique que l'association accueille tout type de deuil périnatal : que ce soit des IVG (interruption volontaire de grossesse), des IMG (médicale), des réductions embryonnaires, des morts in utero, à la naissance. Sans distinction.
D'ailleurs, elle précise que c'est également le cas de ce qu'on appelle communément "fausses-couches" même si "le terme est juste abominable"! Elle préfère dire, pour sa part, "interruption naturelle de grossesse". "C'est là qu'on voit comment la société considère cet événement !"
Ce sont des mamans, même si leur enfant n'est pas né.
Marie-Laure L. d'AGAPARédaction web France 3 Aquitaine
Le couple vit des choses très différentes
"Le vécu de la grossesse, pour la femme, c'est dans son corps. Le père c'est plus émotionnel et intellectuel". Elle insiste : "il faut bien comprendre que quelqu'un qui met au monde un enfant mort, a tout le bouleversement hormonal de l'accouchement. Elle vit un vrai post-partum. Elle a vécu une épreuve physique qui est l'accouchement", et "quand il n'y a pas la vie au bout, c'est plus compliqué". "C'est une réalité physique qui est extrêmement traumatisante".
Dans le couple endeuillé, l'homme et la femme vivent des choses très différentes et pas au même rythme. Et surtout, "ils ne veulent pas faire peser sur l'autre leur propre souffrance. Ils ont du mal à s'épauler mutuellement". D'où l'importance de cette personne extérieure à qui confier jusqu'à son désespoir.
Aussi, dans le couple, le papa a un positionnement pas facile. Il a tendance "avant tout à vouloir s'occuper de la maman (...) et ont du mal à laisser parler leur propre souffrance".
Aussi, des café-rencontres sont organisées et parfois des "spécial papas", pour qu'ils puissent échanger ensemble. Egalement en visio. L'occasion pour eux d'échanger et de partager en couple ou entre pères concernés.
"C'est pas comme si tu l'avais connu"
Chacun essaie d'apprivoiser cette souffrance mais doit parfois faire face aux commentaires maladroits de l'entourage. "C'est pas comme s'il était déjà né", dit-on à cette femme qui a perdu son bébé à quatre mois de grossesse ou bien "c'est dur, mais vous allez en refaire un", ou encore "vous avez déjà votre autre enfant". Des mots qui blessent sans le vouloir.
Parfois, les parents font front, ensemble. D'autres essaient d'oublier, pour ne pas souffrir et ne souhaitent pas en parler. S'installent alors les non-dits et l'isolement du parent qui ne sait quoi faire de ce mal-être.
L'accompagnatrice, Marie-Laure, confirme : "La société est hyper mauvaise pour accompagner ce genre de douleur. Même les proches les plus bienveillants ont des paroles maladroites parce qu'ils ne savent pas faire, parce qu'ils ne réalisent pas". Du genre : "la Nature est bien faite", "tu en auras un autre, tu es encore jeune", "c'est pas comme si tu l'avais connu". Marie-Laure explique que toutes ces expressions en plus d'être maladroites font mal aussi parce qu'elles "nient l'existence de cet enfant". C'est comme les phrases qui veulent consoler. "C'est quelque chose dont on ne se console pas. Il faut juste entendre la douleur de cette personne".
On ne se console pas. Les parents ne l'oublieront jamais.
Marie-Laure L., bénévole à l'AGAPARédaction web France 3 Aquitaine
Ce qui fait mal également, "c'est quand l'entourage oublie cet événement, oublie cet enfant. elles ont besoin qu'on leur fasse un signe aux dates anniversaires". On a peur d'en parler, de faire du mal "alors que bien souvent, les parents ont besoin de faire exister leur enfant".
Alors quoi faire ? "Ecouter, écouter, écouter" répond Marie-Laure. "Il y a l'empathie mais aucun conseil à apporter. Chacun le vit différemment. Nous on propose un parcours individualisé sur une quinzaine de rencontres". Le temps pour la personne accompagnée d'avoir, sur six mois environ, "une réflexion sur elle-même pour arriver à faire une place à cet enfant dans leur vie".
"Ce sont des échanges très intimes où elles se livrent entièrement. On va creuser quand même tout ce qui peut les mettre en difficulté par rapport à ce deuil". Comme elle l'explique, il s'agit d'une vraie rencontre humaine, un accompagnement pour lequel elle et les autres bénévoles disposent d'une supervision psychologique. Et ce parcours, selon elle, doit avoir un début et une fin pour "qu'elles trouvent les ressources en elles pour s'envoler".
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