Fête des amoureux par essence, la Saint-Valentin est souvent l’occasion de faire aussi le point sur sa sexualité. Alors qu'on constate un recul de l’activité sexuelle des Français, la sexualité positive veut redonner goût à une pratique éloignée des injonctions de performance, affranchie des tabous et des clichés.
Cette Saint-Valentin, les traditionnels bouquets de roses rouges se partagent la vedette avec les cadeaux plus érotiques. Sextoys, livres érotiques ou jeux sexuels, ils sont les marqueurs d’une tendance qui s’ancre dans la société. Sans tabou, ni cliché, la sexualité positive veut à la fois éduquer et "dédramatiser” un plaisir encore très tabou.
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Pas d'amour sans humour
Sur les réseaux, les comptes de “sexe-po” se comptent par dizaines. Féministes, queer ou humoristiques, ils usent des codes de l’humour pour distiller conseils et expériences. Parmi eux, le bordelais Coeurnichons compte 372 000 followers. “Sur Instagram, de plus en plus de personnes me posent des questions, même si je ne suis pas sexologue”, explique Ivo Da Silva, alias Coeurnichons.
J’aime dire que je suis un peu le grand frère du cul.
Ivo da Silva, alias Coeurnichonssexo-influenceur
L’influenceur vient de sortir son second livre, “Le fucking guide du love”. “Ça regroupe beaucoup de sexolove. On y parle d’amour, de consentement, mais aussi de militantisme”, explique Ivo Da Silva.
Rire du sexe et surtout de ces petits aléas, c’est l’un des outils phare de la sexualité positive. “C’est le fait de pouvoir tout dire, sans jugement, ni peur d’être jugé. On utilise beaucoup l’humour, comme quand on fait l’amour et qu’on pète. Si on en rigole, ça en devient un souvenir”, précise Ivo Da Silva.
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Comme des adolescents
Loin des clichés d’une sexualité édulcorée véhiculée par la pornographie, la sexualité positive mise sur “l’écoute de l’autre, mais notamment de soi-même”. “On peut créer de la complicité, se concentrer sur le partage, l’échange de sensations plutôt que les injonctions de performances et d’orgasmes à tout prix”, explique Juliette Delage, psychologue et sexothérapeute à Bordeaux. “On appuie aussi sur l’aftercare, ce moment, après avoir fait l’amour, où les partenaires s’enlacent et discutent”.
Une dimension d’éducation sexuelle dont se saisissent aussi les couples matures. “Certains patients me disent qu’ils ont l’impression de redevenir des adolescents, de repartir de zéro et d’explorer de nouvelles sensations”, se réjouit la sexothérapeute.
Alors qu’en moyenne, en 2023, 43 % des Français confient faire l’amour une fois par semaine, contre 58 % en 2009, la sexualité positive veut aussi rassurer. “Il faut accepter aussi qu’on n’ait pas envie sans que ce soit grave”, détaille Coeurnichons.
Des situations de refus en hausse, notamment du fait des écrans. Chez les 18-69 ans, 30 % des personnes interrogées ont déjà évité un rapport sexuel pour regarder une série ou un film, 24 % pour consulter les réseaux sociaux.
Love-shop plus que sex-shop
Rue Sainte-Catherine, entre la Mie Câline et Calzedonia, une boutique entièrement vitrée fait d’ailleurs des émules. Passage du Désir de son nom, est un love shop, une version plus glamour des sexshops d’antan. “Vous venez ici comme si vous veniez acheter une paire de chaussures. Il y a un parcours client qui permet de découvrir tranquillement sans brusquer. Et nous, nous sommes là pour faire de la pédagogie. On peut venir, poser mille questions et repartir sans rien avoir acheté”, indique Marine Decroix, responsable du magasin bordelais.
Ici, des sextoys, des livres, mais aussi des lotions. “C’est très axé sur les femmes”, lance un client. “Pour une fois que c’est le cas”, s'amuse la responsable de la boutique. Car dans cette mouvance positive, inspirée des mouvements féministes des années 1980, le plaisir féminin a une place prépondérante. “Il y a une vraie libération de la parole de la femme. On peut y aborder aussi des sujets lourds comme le viol conjugal, encore une fois issu d'injonctions sources de mal-être”, avance Coeurnichons. Un mal-être qui détruit progressivement la relation. “Lorsqu’on est forcé, c’est très délétère pour la psyché et la sexualité, du coup, des deux parties”, précise Juliette Delage.
Profusion d'information
“Ouverte d’esprit”, cette nouvelle sexualité s’adresse aussi à toutes les orientations sexuelles. “En étant bi, je parle aussi à la communauté queer”, indique Coeurnichons. “Aujourd’hui, plus besoin de se cacher pour chercher des infos. En librairie, il y a plein d’ouvrages sur le consentement, l'anatomie, les plaisirs solitaires ou à deux”, liste la sexologue Juliette Delage.
Chacun mange à sa faim, et ce qu’il a envie de manger.
Juliette DelagePsychologue et sexothérapeute
Conseils sexuels, analyse psychologique de certaines situations, Juliette Delage met cependant un point de vigilance à l’abus d’information, notamment à destination des jeunes. “Certains de mes jeunes patients se disent perdus dans ce qu’ils ressentent, leurs orientations sexuelles, leurs fantasmes”, explique la psychologue et sexothérapeute, rappelant régulièrement que “la notion de norme est à éviter”.
Face à la libération de la parole, elle met en garde contre sa profusion, et notamment celle de ses dérives. “La pornographie par exemple est aujourd'hui un fléau chez beaucoup de jeunes qui en abusent seuls. Lorsqu’ils sont face à leur partenaire, ils n'y arrivent pas. Et puis, c’est quand même un acte toujours très ritualisé qui ne fait pas du tout travailler l’imaginaire érotique”.