Faut-il éteindre les lampadaires entre 1 heure et 5 heures du matin dans les métropoles ? Économie d'énergie et sécurité, deux arguments qui opposent les pour et les contre. Une pétition vient d'être lancée par une Bordelaise qui interpelle la municipalité sur le sujet.
La pétition a recueilli à ce jour 981 signatures sur les 1000 escomptées. Elle demande purement et simplement le rétablissement "de l'éclairage de nuit dans les rues de Bordeaux". La démarche est impulsée par une trentenaire bordelaise, Amaëlle Fontaine. Elle a le mérite de relancer le questionnement municipal sur le sujet à Bordeaux, ville écologique.
La pétition dénonce le plan de sobriété énergétique instauré par la ville de Bordeaux, depuis le 2 janvier 2023. "Son plan qui n'a de charmeur que son nom "Bordeaux nuit étoilée"" (dont la page en ligne n'est plus accessible), visant à "éteindre 57% du parc lumineux de la ville et de ses environs entre 1h et 5h du matin". Les retombées sont censées permettre "80 0000 euros d'économies à la ville", ainsi que préserver la faune nocturne.
Un "sentiment d'angoisse grandissant"
Après avoir expérimenté, elle-même, plusieurs fois par semaine, des retours tardifs et non éclairés dans les rues de Bordeaux, Amaëlle Fontaine constate qu'elle n'est pas la seule à s'inquiéter une fois l'éclairage éteint. . Favorable à l'écologie "mais pas au prix de la sécurité", la trentenaire a souhaité décrire dans la pétition qu'elle porte, la "réalité du terrain pour les habitant-es de la ville". Elle décrit un "sentiment d'angoisse grandissant", au moment de rentrer chez soi, "à partir d'1 h du matin".
"Dans le noir total"
"J'ai vu le changement dès le début de la mesure, en 2023. Du jour au lendemain, plus de lumière dans ma rue. J'ai cru d'abord à une panne, on n'avait pas été prévenus ni sensibilisés" , raconte Amaëlle, habitante du quartier de la Victoire.
"Quand on rentre après une heure du matin, on rentre avec la moitié du trajet dans le noir total". À force d'en parler autour d'elle, elle prend connaissance des stratégies mises en place par ses amies pour rentrer après une sortie, ou tout simplement de leur travail quand elles occupent un poste dans la restauration. Celle qui "prend des Ubers", celle qui "a changé sa route", cette autre qui "demande à son copain de venir la chercher au travail..." Pour sa part, elle a commencé également à se sécuriser en demandant parfois à des amis hommes de l'accompagner sur une partie de son parcours.
J'ai 33 ans et je recommence à demander à mes amis hommes de faire un bout de trajet avec moi. Ça ne m'était pas arrivé depuis mes 18 ans !
Amaëlle FontaineA l'origine de la pétition
"La double peine"
"C'est stigmatisant et, en plus, on dépense de l'argent". Amaëlle insiste cette "double peine" pour les femmes, premières concernées. Et surtout celles qui sont à pied, vélo ou transport en commun, des modes de transport pourtant plébiscités par la municipalité pour limiter l'empreinte carbone. "Les femmes qui le peuvent prennent des VTC. Après une heure du matin, une course dans l'hyper centre coûte entre 13-15 et 20 euros... C'est un budget !"
La possibilité d'utiliser la lumière de son téléphone portable ne suffit pas. "C'est grave de demander aux gens de rentrer dans une rue complètement noire avec son petit flash éclairé. Il y a de quoi se sentir en position de vulnérabilité". Amaëlle se souvient avoir déposé une amie, au bout de sa rue : "une rue en travaux, il y a une chance sur deux de tomber dans un trou. Grâce aux phares de la voiture, on pouvait voir des hommes, dans les entrées d'immeuble".
Ils squattent, ils fument et sont complètement tapis dans le noir absolu. Ca fait peur !
Amaëlle FontaineA l'origine de la pétition
En cas d'agression, il serait même difficile de pouvoir témoigner sur le profil de l'agresseur, poursuit Amaëlle. "Pour déposer plainte, aider la police, témoigner. Vous reportez quoi ? Dans le noir complet !", s'indigne-t-elle.
"Je crains à chaque fois qu'ils sortent"
La jeune femme est bien décidée à diffuser cette réclamation auprès de la mairie qui, selon elle, minimise la situation. Elle estime que les élus ne se sentent peut-être pas directement concernés. "La mairie dit "oui, c'est un sentiment...C'est faux !" D'où cette décision de diffuser cette pétition : "après tout, c'est un moyen démocratique de s'exprimer". Sur les réseaux sociaux, de nombreuses internautes font également part de leur mal-être dans les rues de Bordeaux privées d'éclairage.
Caroline, mère de "deux enfants majeurs encore à la maison, en âge de sortir", dit "craindre à chaque fois qu'ils sortent. Tout le monde n'a pas un téléphone portable ou une frontale pour s'éclairer".
"De plus, mon quartier, à proximité de la rue Chantecrit est gangrené par les dealers" assure-t-elle, rapportant également qu'une jeune fille "s'est également trouvée nez à nez avec un exhibitionniste...
Barbara, répondant également au message de pétition d'Amaëlle Fontaine, se dit "absolument révoltée par cette mesure. En 2024, on plonge les gens dans le noir et on s'étonnera des viols et agressions. Les chiffres n'ont pas changé ! Tout le monde n'a pas la force de porter plainte".
Notre droit, c'est de rentrer à la maison sans être terrifiée ! Ils n'ont qu'à faire éteindre les enseignes aux commerçants, installer des Leds et ne pas faire peser l'économie et l'écologie sur les riverains.
BarbaraSignataire de la pétition
"Rallumer quelques rues"
De son côté, Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, interrogé au sortir du conseil municipal ce 12 novembre, assure qu'il "entend certains retours", que la ville a déjà décidé de "rallumer quelques rues" Son équipe a "beaucoup consulté la police nationale pour savoir s'il y avait plus d'insécurité dans certaines rues éteintes que dans d'autres allumées", assure-t-il.
Nous maintenons le principe du fait que toutes les rues de Bordeaux n'ont pas besoin d'être allumées pendant toutes les nuits
Pierre HurmicMaire de Bordeaux
"Il ne faut pas avoir une position dogmatique. Nous voulons tenir compte des remontées de terrain. Il faut être souple, pragmatique et reconnaître que, dans certaines rues, il faut rétablir l'électricité et nous le ferons", précise le maire.
Des alternatives ?
À Eysines près de Bordeaux, la commune de 24 000 habitants a mis en place un dispositif d’allumage à la demande via une application appelée "J'allume ma rue". Le principe est de localiser la personne et déclencher l’allumage des lampadaires au long de leur trajet jusqu’à leur arrivée.
L’installation du dispositif a coûté 75 000 euros à la ville d'Eysines pour adapter près de 4 000 lampadaires. Une mesure contraignante qui semble peu envisageable pour Bordeaux et qui nécessite, pour les passants, d'utiliser un portable et ne s'adresse pas véritablement à toute la population.
A défaut d'envisager une forme de couvre-feu pour les femmes, personnes âgées ou handicapées, passé une certaine heure , reste la possibilité de revoir cette démarche. Adopter un éclairage plus tamisé, avoir recours à des leds équipés de détecteurs de mouvements, permettant de restaurer la tranquillité des passants Bordelais entre 1h et 5 heures du matin... La balle est dans le camp des élus.