Parler de l'attentat d'Arras à l'école : "il ne faut pas les laisser penser que les méchants gagnent toujours "

Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, l’attentat d’Arras tuant Dominique Bernard, un professeur de lettres, laisse une nouvelle fois la communauté éducative dans la stupeur et l’effroi. Un temps d’hommage est prévu ce lundi 16 octobre partout en France à 14 h. Mais comment en parler aux plus jeunes ? En primaire, ce moment de réflexion aura des formes différentes afin de tenir compte de l’âge des enfants.

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Ce lundi matin, comme beaucoup de ses collègues, Samantha Fitte se demande comment elle va aborder ce nouvel attentat avec ses élèves. L'enseignante est également co-secrétaire du  SNUIPP de la Gironde, principal syndicat représentant les enseignants du primaire. Ce 16 octobre, elle retrouve ses CE2 dans une école du Médoc, des enfants " suffisamment grands pour s’interroger et poser des questions". 

Un travail au long cours

Et des questions, il y en a beaucoup ces derniers temps. "Malheureusement, cela fait plusieurs années qu’il y a des interrogations qui reviennent le lundi matin : les attentats, la guerre en Ukraine. Évidemment, les élèves vont faire le lien avec les exercices de confinement qu’on leur demande tout au long de l’année".

Contrairement aux enseignants du secondaire dont les cours ne commencent qu’à 10 heures, dans les collèges et les lycées, pour préparer entre eux le retour des élèves, les professeurs des écoles n’ont pas ce temps dédié.

"On a aujourd’hui des collègues qui sont un peu dans la détresse. Peut-être que certains auraient aimé avoir ce temps-là, mais on voit bien qu’avec de jeunes enfants, c’est compliqué à réaliser, reconnaît Samantha Fitte. Il aurait fallu que les mairies s’organisent ce week-end pour prendre en charge les élèves.  C’était difficile.  Il ne faut pas se donner de pression, c’est un hommage aujourd’hui, mais c’est aussi un travail au long cours que l’on doit faire pour décrypter cette actualité".

Ne pas laisser s'installer des non-dits

En attendant de pouvoir discuter avec les autres instituteurs pendant la pause-déjeuner, Samantha   Fitte imagine prendre le pouls de sa classe au détour d’une question banale du type,  "Alors quoi de neuf ce matin ?  Ce qui permet souvent de savoir ce qui s’est passé le week-end".

Libérer la parole est important pour les élèves déjà au courant, mais aussi pour les autres, qui n’ont pas été tenus informés et qui le seront d’une manière ou d’une autre pendant la récréation.  Les enfants peuvent difficilement échapper à l’actualité aujourd’hui.

"C’est important d’en parler.  Ils sont en CE2.  Ils commencent à comprendre.  Il ne faudrait pas laisser des non-dits s’installer, ni des incompréhensions.  Il faut qu’ils puissent verbaliser avec leurs mots", poursuit-elle.

 

 Après, on s’adresse à des enfants, on ne leur dit pas toute l’horreur.  On ne donne pas de détails.  C’est différent en fonction des âges.

Samantha Fitte, co-secrétaire du Snuipp Gironde

à rédaction web France 3 Aquitaine

Samantha Fitte a l’intention de recueillir leurs paroles, de les écouter, mais aussi de faire de cette journée, une journée normale, malgré le moment d’échanges collectif qui aura lieu en début d’après-midi.  Parce que c’est "rassurant" pour les élèves, dit-elle.

Des histoires pour expliquer le terrorisme

La professeure des écoles pense mettre en place ce qu’elle a proposé à ses propres enfants il y a quelque temps.  Elle leur a lu le livre "Le crayon magique de Malala". L’histoire de Malala Yousafzai, cette jeune Pakistanaise, militante pour l’éducation et le droit des femmes, qui avait miraculeusement réchappé d'une tentative d'assassinat des talibans.

Pour expliquer les attentats, la maman avait fait des parallèles avec les talibans qui avaient attaqué Malala.  Le livre leur avait permis de réaliser ce qu’est le terrorisme. "Je me suis dit que j’allais le faire avec mes élèves, parce que cela a eu une vraie résonance auprès de mes enfants. Peut-être même aujourd’hui, pour que ça résonne aussi en eux, avec une histoire un peu plus lumineuse", s’interroge l’enseignante.

Pourquoi certains sont-ils prêts à tuer pour leurs idées ?  Essayer de développer en relatant "des histoires fortes comme celle-là et des histoires de résilience peut fonctionner", ajoute-t-elle. "Malala a survécu. Elle se bat pour ça et c’est important pour les enfants".

Il ne faut pas non plus les laisser penser que tout est noir, que les gentils meurent tous à la fin et que les méchants gagnent toujours.

Samantha Fitte co-secrétaire du  SNUIPP de la Gironde

à rédaction web France 3 Aquitaine

"On n'est pas forcément armé"

Cette journée d'hommage à l'école est d'autant plus symbolique, qu'elle se tient trois ans jour pour jour après l’assassinat de Samuel Paty. Cet enseignant d'histoire-géographie avait été tué le 16 octobre 2020 devant son collège de Conflans-Sainte-Honorine par un jeune terroriste russe d’origine tchétchène, pour avoir montré des caricatures de Mahomet en classe, dans le cadre d'un cours sur la liberté d'expression.

Trois ans plus tard, Samantha Fitte regrette l’absence de formations qui auraient permis de mieux faire face aux élèves. " À chaque fois qu’il y a un fait d’actualité de ce type, on se retrouve toujours un peu démuni au pied du mur.  On n’est pas forcément armé, il n’y a pas eu de formations particulières qui se sont mises en place. Donc il faut peut-être réfléchir à quelque chose de plus solide et au long cours". 

Samantha Fitte apprécie, cette fois, ne pas devoir lire un texte à ses élèves comme ce fut le cas par le passé. "Des mots que l’on n’arrivait pas forcément à s’approprier. Chaque enseignant, en fonction de sa classe, de sa sensibilité, va pouvoir trouver les mots. Parce que ce n’est pas facile de parler de cela avec les élèves, de trouver, dans les ressources, les réponses nécessaires apportées".

Elle aimerait pouvoir mener des sujets de réflexions sur la façon d’appréhender ces faits de société et ces actualités violentes.  Pouvoir aussi disposer de manuels, afin que " l’on ne soit pas, à chaque fois, au coup par coup".

En faire un jour différent des autres

À titre personnel, la professeure des écoles se sent moins exposée que les enseignants des collèges et des lycées.  Pour autant, elle insiste sur le fait de ne pas banaliser cette journée.

"À Arras, on a un enseignant, un collègue qui est mort, en voulant protéger ses élèves et ses autres collègues. Ce n’est pas rien, il faut mener une réflexion sur le long terme avec nos élèves de manière adaptée sur ce qui fait société aujourd’hui, quelles sont nos valeurs".

Ce lundi matin, les cris des enfants résonnaient déjà dans la cour de récréation avant d’entrer en classe. La sonnerie retentit, Samantha sait que ce 16 octobre ne sera pas une journée ordinaire.

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