Post-partum et baby-blues : "on m’a mis mon bébé sur le ventre, j’ai crié, 'enlevez-moi ça !' "

Parfois, la naissance de son enfant rime avec anxiété ou dépression. La faute aux injonctions à la maternité heureuse, mais aussi à des modifications du cerveau qui surviennent à la naissance d'un enfant. À l'Hopital Charles Perrens de Bordeaux, une unité est dédiée à ces mères en détresse.

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Mettre au monde un enfant est communément appelé le moment de la délivrance, mais pour beaucoup de mamans vient le moment de l’angoisse et de la dépression qui s’installe. Une réalité de plus en plus prise en compte par les spécialistes de la périnatalité.

Ce mythe de l’instinct maternel, il faut arrêter

 

Lorsque Nathalie Cruzel-Thevenet,  jeune grand-mère, prend conscience des difficultés de sa belle-fille après son accouchement, elle l’aide en s’occupant au mieux du bébé et en la soutenant sans jugement. Car c’est exactement ce dont elle aurait eu besoin trente ans plus tôt. À cette époque, elle est pourtant auxiliaire de puériculture, mais elle s’empresse de répondre à ce paradoxe " J’avais les gestes, j’étais à l’aise avec un bébé, ce n'était pas ça le problème ".  Le problème, selon elle, c'ets surtout qu'on idéalise beaucoup trop la maternité.

Vous êtes enceinte et une fois votre bébé dans les bras, on vous dit que tout ira bien. En fait non, pas toujours, et c’est surtout ça le souci.

Nathalie Cruzet-Thevenet

à rédaction web France 3 Aquitaine


"C'est très destructeur pour les femmes, estime Nathalie Cruzet-Thevenet.  Parce que, si elles ne correspondent pas à cette image inique, de mère qui a souffert dans l’accouchement, mais qui s’épanouit dès qu’on lui pose l’enfant sur le ventre, si elles ne connaissent pas cette révélation, la première chose qu’elles pensent, c'est : je suis une mauvaise mère". 

 "Donnez-lui une claque et ça passera"


Elle-même se souvient de moments particulièrement difficiles. "Pour mon 1ᵉʳ accouchement, je criais " je n’en veux plus" et j’étais en train d’accoucher. Mon mari croyait que je disais je n’en peux plus".  Un peu plus tard, au moment où on lui pose le bébé sur le ventre, elle raconte  "On m’a mis mon bébé sur le ventre, j’avais les yeux fermés et j’ai crié," enlevez-moi ça "". Le traumatisme de l’accouchement dépassé, la rencontre se fait avec l’enfant. Mais c’est avec la naissance de son deuxième enfant que tout se bouscule.  

"Je me rappelle, j’étais très mal. Mon mari dit au médecin, elle est très mal, elle pleure tout le temps, elle s’énerve, il lui a répondu "donnez lui une claque et ça passera". Bon, c’était il y a trente ans", relativise-t-elle. Mais elle reste suffisamment marquée pour avoir envie de donner cette écoute qu’elle n’a pas eue, en s'impliquant auprès des jeunes mères dépassées. Aujourd’hui, elle a à cœur de pouvoir les écouter et les aider au sein de l’association Maman Blues. 

"Le problème, c'est qu’on ne les écoute pas assez"

Désormais référente de l’association nationale Maman Blues, Nathalie répond aux courriers de maman en détresse psychologique. "C’est vraiment une honte terrible de ne pas être cette mère courage. On ne peut pas le dire", explique-t-elle, avant de rappeler qu'une mère doit être "résignée" dans l’imaginaire collectif. De cette résignation au sacrifice de leur santé mentale, il n’y a qu’un pas, que les mères en détresse peuvent franchir allègrement. D'où l'importance de leur apporter avant tout du réconfort : "Je les écoute d’abord, elles, et si par moment, elles se sentent honteuses, je leur explique moi aussi, je l’ai vécu."

Il est important est qu’une mère n’aille pas mal, pour qu'elle ne maltraite pas son enfant. Pourtant, parfois, on maltraite les mamans.

Nathalie Cruzel-Thévenet

Rédaction web France 3 Aquitaine

Écoute et orientation

La plupart du temps, les mères lui expriment les mêmes difficultés : "elles me disent :  je ne vais pas, je suis épuisée, je suis irritable. Je ne sais pas m’occuper de mon bébé, je n’y arrive pas ou qu’est-ce que je peux faire ? " Alors la mission d’écoute devient mission de parole. "On les rassure par des mots bienveillants, on les déculpabilise. Vous êtes épuisée bien sûr :  la grossesse et l’accouchement sont épuisants. Un bébé, c'est épuisant".

Enfin, les écoutantes de Maman Blues veillent aussi à orienter au mieux. "Chaque référente a un répertoire de personnels de santé, sage femmes, sophrologue, psychologues, psychiatres et pas mal de numéros d’urgence dans les cas de grande détresse." Les maitres mots sont bienveillance et sonorité. "Je te comprends, je sais ce que tu ressens ; on essaye de les mettre dans un cocon pour les entourer". 

Une unité spécifique au sein du CHU de Bordeaux

Au moment où Nathalie Cruzel-Thévenet vit ses déchirantes expériences à titre personnel, le docteur Anne-Laure Sutter-Dallay, étudie la psychiatrie. Elle se spécialise dans la périnatalité alors embryonnaire et fait sa thèse sur le post-partum blues. "La naissance a été longtemps un moment où les femmes pouvaient mourir. Une fois le risque vital écarté, la prise en compte de la santé mentale est arrivée juste après, car c’est la deuxième conséquence, avance le médecin

Et c'est ainsi qu'elle monte la filière de psychiatrie périnatale.  Après des années à avoir fait en sorte d'organiser un parcours pour les jeunes mères en détresse psychologique, elle se réjouit désormais de voir que les pouvoirs publics et le ministère de la Santé ont beaucoup bougé sur le sujet. Pour preuve, le rapport des 1000 premiers jours rendu en septembre 2020 , qui "a permis de mettre en lumière notre travail et a donné une crédibilité à ce qu’on fait", explique la cheffe de service. 

Cerveau modifié

Des explications scientifiques sont désormais disponibles. Au moment de la naissance, se produit une modification du cerveau, observable grâce à l’IRM. Le cerveau s'adapte à la venue du bébé et  observe des mutations très déstabilisantes. 

"On dérègle le cerveau pour que la mère puisse entendre les cris par exemple, explique Anne-Laure Sutter-Dallay. C’est très animal : le cerveau se met en mode pour la survie de l’enfant. Sur un cerveau fragile, ça peut aller très loin. On ne sait jamais à l’avance qui va se dérégler, et jusqu’où."

"10 à 20 % des femmes vont avoir des pathologies mentales et beaucoup font des rechutes"

La spécialiste ne souhaite pas parler de "dépression post partum" et préfère évoquer les "troubles de l’humeur,  troubles anxieux ou de syndrome de stress posttraumatique", pour les pathologies les plus courantes. Mais il faut aussi évoquer les cas de  psychose puerpérale, qui sont au paroxysme de la gravité des troubles de l’humeur. En fait, régulièrement, les traumatismes de l'enfance ressurgissent à ce moment de fragilité du cerveau. 

Tout ne tourne pas autour de l’enfant, le cerveau est totalement mis à nu. La grossesse est un événement stressant

Docteur Anne-Laure Sutter-Dallay

à rédaction web France 3 Aquitaine

La prévention des mères et des professionnels

Pour soigner au mieux, il faut détecter au plus vite. Car, comme nous l'explique la spécialiste, "comme toutes les maladies, on est moins malade quand on est accompagnée et soutenue et ça permet moins de retentissement sur la santé des enfants."

Voilà pourquoi la filière de psychiatrie périnatale de Bordeaux comprend plusieurs unités afin d'avoir des liens et des antennes un peu partout. Ainsi, le réseau comprend une unité mère enfant, qui accueille cinq mamans et cinq bébés ; un hôpital de jour ; plusieurs conventions ont été signées avec les hôpitaux de la région ; une équipe mobile (deux infirmières se rendant à domicile) et un centre ressource (un médecin organisant des consultations de femmes enceintes ou ayant accouché). 

L'hôpital Charles  Perrens y participe en dédiant une journée entière à la santé mentale maternelle. Le but est de faire connaitre le réseau et l’accompagnement qui peut être mis en place.  Au programme de la journée, quatre ateliers : portage physiologique ; kinésithérapeute spécialisé des enfants (plagiocéphalie ou tête aplaties), massage des bébés et sophrologie.

"Cette journée est plus à destination des professionnels, étudiants et patientèle en lien avec la périnatalité", précise Elsa Mira, coordinatrice du réseau de santé psychiatrique périnatale. "Ce n’est pas essentiellement ouvert à une maman atteinte de trouble psy". 

Entrée libre mercredi 31 mai de 9 h à 16 h 30, et ouverte à tous les professionnels au centre hospitalier Charles Perrens, 121 rue de la Béchade à Bordeaux. 

Pour aller plus loin : un documentaire primé réalisé par une landaise 

Dans le même temps, Murielle Labrosse, réalisatrice landaise de St Barthélémy, vient de finir "L'Ombre des mères" pour lequel elle est en train de chercher des diffuseurs en Nouvelle-Aquitaine, après que les professionnels lui ont fait un accueil très chaleureux.

durée de la vidéo : 00h01mn06s
Documentaire primé à Liège ©Murielle Labrosse

Ce documentaire sur la périnatalité, le fruit d'un travail de longue haleine de près de six ans.

La réalisatrice a passé plus d'un an à faire des allez-retour dans une unité mère enfant très réputée, située à Montussan, à côté de Paris. Elle y explore alors les méandres des psychoses puerpérales et des dépressions post partum. 
"Quand elles arrivaient dans l’unité, elles étaient séparées des bébés pour permettre à la mère de se reposer ", explique-t-elle. Souvent le bébé, quand il est avec une mère fragile, il est en hypervigilance et il ne dort pas". Pour conclure, "J’ai vraiment été fascinée par les bébés et par l’intelligence qu’envoie le bébé quand il a une mère malade."

 

Enfin, n'oublions pas que les mères ne sont pas les seules concernées par les troubles psychiques. "Chez les pères, la somatologie est très différente" nous explique le Docteur Anne-Laure Sutter-Dallay. "Ils picolent, deviennent violents ou ont notamment des comportements d'addiction", décrit-elle. Car "le manque de sommeil et le bouleversement est pareil". Il faut également considérer que le risque de troubles mentaux est "majoré par le fait que sa compagne ait des troubles". Cela toucherait 10 % des hommes, et ce n'est pas négligeable. 

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