La privatisation de la Française des Jeux va-t-elle générer une recrudescende des addictions ? C'est possible si la FDJ décide de multiplier ses offres les plus addictives selon le spécialiste français en droit des jeux, le bordelais Jean-Baptiste Vila. Il réclame une vaste étude sur le sujet.
"La seule grande étude sur l'addiction aux jeux d'argent et de hasard en France remonte à 1999" déplore Jean-Baptiste Vila, maître en conférence en droit public à l'Université de Bordeaux, spécialiste en droit des jeux.
C'est lui qui est à l'origine de la création de la Chaire Régulation des Jeux de l'Université de Bordeaux avec Sébastien Martin également maître de conférence en droit public et Aude Rouyère, professeure en droit public "pour travailler et accompagner la réflexion autour de la loi Pacte qui réforme les droits des jeux d'argent".
"Cela fait 15 ans que je travaille sur le sujet" explique t-il.
"Depuis 20 ans, on parle de moins de 2% de joueurs problématiques (qui nécessiteraient une prise en charge pour addiction) alors que l'offre a explosé".
Une offre effectivement beaucoup large depuis notamment l'ouverture à la concurrence des jeux en ligne en 2010.
Des dépenses évaluées à 10,5 milliards d'euros
Les seuls chiffres récents émanent de l'Observatoire des Jeux.
Selon un bilan effectué en 2017, "les dépenses de jeu des Français s'élèvent à 10,5 milliards d'euros et ont progressé de 20% en 10 ans".
"Les dépenses de loterie, jeux de tirage ou grattage achetés en point de vente ou sur internet sont les plus importantes" souligne l'observatoire, "elles représentent 40% des dépenses totales".
40% du chiffres d'affaire émane des joueurs problématiques
Sur la question des joueurs problématiques, une enquête nationale publiée en 2014 montre que "40% du chiffre d'affaire des jeux est généré par l'activité de joueurs problématiques" dont 17% sont des "joueurs excessifs" et 23% des "joueurs à risque modéré".
Concernant les coûts sociaux générés par ces jeux pour l'Etat français (problèmes d'addiction, dépression, endettement...) l'observatoire reconnaît que "les données françaises sont inexistantes" et que les estimations qu'elle a pu faire sont basées sur des "études anglaises, australiennes et allemandes".
Selon ces études, le coût social des joueurs à risque est estimé, en moyenne, à 15 euros par habitant et par année, soit un coût qui pourrait avoisiner le milliard d'euros en France.
Privatisation de la FDJ : le risque de la recherche du gain
Entre 2007 et 2017, la Française des Jeux a vu son chiffre d'affaire "croître de 62% passant de 9,3 milliards d'euros à plus de 15,1 milliards d'euros" toujours selon l'Observatoire des Jeux.
La privatisation, qui amène ce jeudi l'Etat français à céder 50% de ses parts sociales, pourrait pousser la direction à une politique d'augmentation constante des bénéfices.
Jean-Baptiste Vila pose la question de l'émergence possible de nouveaux jeux. "Seront-ils plus ou moins addictifs ? On pourrait voir se multiplier les jeux avec des bornes, les loteries, des tirages plus fréquents...".
"Des études canadiennes ont montré que plus le taux de retour est important (gains plus fréquents), plus l'addiction est importante. En clair, plus on gagne et plus on a envie de jouer" explique ce spécialiste de la régulation.
Et c'est là que le problème de l'addiction peut s'aggraver.
1 million de personnes en situation de dépendance aux jeux
L'association SOS joueurs estime qu'il y a en France 1,2 millions de personnes en situation de grande dépendance aux jeux d'argent et de hasard.
Et nombre de spécialistes de l'addiction se disent très inquiets de la privatisation de la FDJ.
Les personnes dépendantes sont celles qui ont une pratique persistante et répétée. La multiplication des propositions de jeux ne peut qu'aggraver leur sort.
Près de 80% des addicts sont endettés selon l'association. "Et plus le joueur est en difficulté financière, plus il espère regagner l'argent perdu".
"Tous ses revenus sont absorbés par le jeu. Chèques sans provision, factures impayées, multiplication des crédits s'enchaînent".
Et c'est la descente aux enfers. Une spirale infernale qui aboutit très souvent à un divorce, une dépression, une dégradation de l'état de santé, au surrendettement et dans les cas les plus graves, au suicide.
Des garde-fous nécessaires
Pour Jean-Baptiste Vila, il est important de souligner que, pour l'heure, "rien ne démontre que la privatisation de la FDJ va augmenter les risques d'addiction".
Il insiste cependant sur la nécessité de lancer une vaste étude sur le sujet, menée par les services de l'Etat en collaboration avec des médecins, des juristes et des chercheurs.
Ce serait pour lui la seule façon de connaître l'ampleur réelle du problème qu'il estime aujourd'hui largement sous-estimé.
Il regrette que la clause de revoyure dans le dossier de la privatisation de la Française des Jeux ait été abandonnée. Elle aurait permis de dresser un bilan au bout d'un an. Et de réguler les éventuelles dérives constatées.
Mais il note la mise en place d'un contrôle étroit de la FDJ nouvelle version, qui pourrait jouer ce rôle de modérateur des risques.
Reste que d'éventuels concurrents pourraient avoir l'idée de se lancer eux aussi dans le commerce de la loterie, malgré le droit exclusif de la FDJ dans ce domaine.
Une faille dans le droit français pourrait en effet permettre une ouverture à la concurrence si des poursuites sont engagées au niveau européen.
A suivre...