50% d'entre elles quittent leur emploi salarié après 10 ans de carrière selon une étude de la DREES parue le 24 août. Déception, usure, peur de l'accident ? Voici les témoignages de professionnelles qui ont choisi de passer en libéral ou même de quitter la profession.
L'étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) se base sur trente ans d'observation, entre 1989 et 2019. Le phénomène est donc préexistant à la crise sans précédent que nous connaissons, et qui est donc amplifié par la pandémie de Covid-19.
Aujourd'hui, il est rare de penser faire toute sa carrière à l'hôpital. "Près d'une infirmière hospitalière sur deux" quitte l'hôpital voire change de métier après dix ans de carrière. 13 % d'entre elles ont même jeté l'éponge cinq ans après leur arrivée.
Dix ans après, toujours d'après cette étude, 54% de ces professionnelles sont toujours salariées d'un hôpital public ou privé, et 11 % restent infirmières salariées, mais se dirigent vers d'autres établissements d'autres fonctions en Ehpad ou l'administration publique.
7% décident d'arrêter d'exercer la profession.
5% de ces professionnelles n'ont plus aucun emploi après dix ans à l'hôpital (chômeuses, inactives ou parties à l'étranger). Un arrêt d'activité qui n'est pas seulement un choix de vie après une maternité...
En soir plus l'étude de la DRESS
"Jamais je ne retournerai à l'hôpital"
Joëlle Dufau fait partie de ces 17% qui ont quitté l'hôpital mais pas la vocation. Après une dizaine d'années de travail en milieu hospitalier et en clinique, en tant qu'aide-soignante et infirmière, elle s'est installée en libérale il y a sept ans au Bouscat. Un changement qui lui a permis de retrouver du sens.
Parce qu'en milieu hospitalier, "les services que j'ai fait, ça n'était pas possible de passer du temps avec le patient".
L'accompagnement de la personne, quand on a X patients à s'occuper, on ne peut pas le faire...
Joëlle Dufau, infirmière libérale en GirondeFrance 3 Aquitaine
Elle n'est pas étonnée par le résultat de l'étude. La charge et la gestion du travail, la hiérarchie, les horaires... elle ne se verrait pas revenir en arrière : "jamais je ne retournerai à l'hôpital !'.
Elle explique également voir beaucoup de collègues de l'hôpital exercer en tant qu'infirmières libérales remplaçantes...
Si la masse de travail reste importante en libéral, ces infirmiers semblent rechercher des conditions de travail plus sereines et un meilleur salaire.
Pour Christelle Sastre ce fut définitif. À Landiras aujourd'hui, elle s'est mise à l'artisanat. Une reconversion nécessaire après avoir travaillé 20 ans en tant qu'infirmière. Après surtout un burn out...
Regardez le reportage de Laurène Godefroy, Taliane Elobo, Nicolas Pressigout.
Tous les soignants concernés
Carole Palus est représentante du personnel du syndicat CGT à l'hôpital de Libourne en Gironde. Elle est aide-soignante depuis 32 ans. Un parcours et un statut en voie de disparition selon elle. Car les plus jeunes ne recherchent plus un emploi dans la fonction publique, sans doute pour pouvoir partir plus facilement avec un CDI ou un CDD via parfois une société d'intérim.
Le phénomène concerne tout le personnel soignant et s'est amplifié depuis la crise du Covid qui a largement contribué à l'épuisement général. "Pendant cette période mais surtout beaucoup après, on a vu des "burn out" chez les soignants". Et même si des choses ont été mises en place pour accompagner ces professions dans certains établissements (relaxation, séances de respiration,..), ce n'était pas partout.
Les suspensions des soignants non vaccinés ont également ajouté à la difficulté. Et puis, des départs : "on a vu beaucoup d'agents qui ont démissionné ou commencé à dire qu'ils avaient d'autres projets professionnels".
Carole Palus met en cause le "sous-sous-sous effectif" mais également une marchandisation de la santé qui voudrait plus de "rendement", alors que le soin ne peut être abordé "comme dans une usine de voitures". "Depuis ce moment-là, on a vu le déclin de l'hôpital public" qui a voulu économiser sur ce qui "coûte" le plus : le personnel.
La peur de l'erreur fatale
Ceux qui raccrochent la blouse, qu'ils soient aides-soignants ou infirmiers, viennent parfois demander conseil auprès des délégués syndicaux concernant, par exemple, le fait de se mettre en disponibilité. Parfois pour voir s'ils se lancent dans une autre profession avant de lâcher complètement l'hôpital.
Elle décrit des collègues à bout. "Le plus souvent quand ils viennent nous voir, ils sont déjà décidés (...)On pose alors la question : pourquoi tu veux partir ? Et là, ils s'effondrent : "Je n'en peux plus, les conditions de travail sont trop difficiles !""
L'épuisement également est invoqué par les candidats au départ mais aussi la responsabilité, : "quand on empêche le soignant de soigner, son travail n'a plus de sens".
Et même pire. Selon elle, la première des raisons avancées par les infirmières à cause de ces sous-effectifs permanents, c'est de se tromper dans un acte ou une injection faute de concentration. "Quand on fait les choses très très vite, il y a le risque d'erreurs. Beaucoup nous disent, au-delà de perdre leur diplôme, " j'ai peur de faire l'erreur fatale pour un patient".