4000 postes d'enseignants n'ont pas été pourvus en France. En Nouvelle Aquitaine, le rectorat se veut rassurant tout en mettant en place une campagne de recrutement et une plateforme téléphonique. Une situation qui inquiète les professeurs comme les parents d'élèves.
Ce 23 août, alors que 4000 postes ne sont pas encore pourvus en France donc forcément quelques uns en Aquitaine, la rectrice de l'académie de Bordeaux, Anne Bisagni-Faure, se veut confiante : "On est vigilants mais pas inquiets (...) on a encore une dizaine de jours (...). Pas d'inquiétude particulière pour la rentrée".
Tout va bien donc pour le rectorat de Bordeaux qui n'a pas vraiment de chiffres à nous donner : "Il était encore trop tôt".
C'est dans ce contexte pourtant qu'il lance, ce 24 août, une campagne de recrutement de professeurs dans la presse régionale, jusqu'au 10 septembre. Une opération destinée à attirer des professeurs dans les disciplines en tension comme l'Histoire-géographie, certaines langues vivantes, la technologie et l'hôtellerie restauration dans les établissements professionnels.
Ces professeurs contractuels doivent avoir un Bac +3 (quelle que soit la discipline). Ils auront un entretien d'embauche, en direct ou en ligne, bénéficieront d'un dispositif de formation "au fil de l'eau" en accompagnement pédagogique ainsi qu'une "visite conseil par un inspecteur".
Par ailleurs, comme dans les autres académies, des cellules ont été mises en place cette semaine pour répondre aux questions des enseignants contractuels nouvellement embauchés pour pallier les manques d'effectifs, et préparer au mieux la rentrée.
A Bordeaux, la plate-forme est composée de quatre agents à l'écoute des chefs d'établissements, des nouveaux professeurs, des professeurs en attente d'affectation.
L'inquiétude des professeurs
Le "tout va bien" de la rectrice ne rassure ni les parents, ni les enseignants échaudés. Jérémy Destenave, du syndicat d'enseignants SNES-FSU, en Dordogne, semble "désabusé" par cette rentrée qui s'annonce. "On paie des années de politique de contractualisation du métier que l'on dénonce nous depuis des années. (...) On s'expose au jeu du Privé de l'offre et la demande. (...) Les postes qui ne sont pas intéressants ni géographiquement ni en terme de rémunération, on a des pénuries".
Il estime "à la louche" qu'en moyenne en France 10 % des cours sont assurés par des personnes "n'ayant pas le concours".
Pour Jérémy Destenaven les syndicats étant écartés de certaines instances, "on a moins d'information de la part de l'administration". Mais "pour que l'information ne se diffuse plus, il n'y a qu'à casser le thermomètre!"
"Donc on est incapables de dire précisément combien de postes il manque mais on sait qu'il en manque!" Il sait "d'expérience" que les remplaçants prévus plus tardivement "par exemple sur un congé maternité" seront mobilisés pour la rentrée. "Ils vont essayer, pour assurer médiatiquement, d'avoir un professeur pour chaque classe au mépris de tous les remplacements prévisibles pour la suite, quand l'œil des médias ne sera plus là... (...) On le vit régulièrement ça". "Pour nous, sur le terrain, ça ne résoudra pas les problèmes de remplacements qu'on a en cours d'année, qui sont masqués à la rentrée parce qu'il y a une attention médiatique".
Quant aux collègues recrutés "à l'arrache", il estime que ça ne les empêche pas, pour certains qui n'ont pas le concours, "de faire un travail de grande qualité". Mais, selon lui, de cette façon, "on s'expose à des déconvenues face aux élèves. Et on a l'expérience de non-titulaires, arrivés face à des classes, qui sont vite repartis parce qu'ils ne savaient pas faire le travail ou qui posaient de gros problèmes de posture professionnelle".
L'enseignement, c'est un métier qui s'apprend. On ne peut pas recruter quelqu'un, le mettre dans des classes le 2 septembre et penser qu'il fera son métier de manière correcte.
Jérémy Destenave, SNES-FSU DordogneFrance 3 Aquitaine
Jérémy Destenave insiste aussi sur le fait que, dans les établissements, ces non-titulaires que l'on recrute, "on les aide, nous, ces collègues-là. On assure formation et soutien. Et ça, on trouve ça fatigant aussi. On nous prend pour des bonnes poires".
Et dans l'enseignement privé ?
On pourrait croire que l'enseignement privé pourrait tirer son épingle du jeu en attirant les nouveaux professeurs. Il n'en est rien. "Nous on manque aussi d'enseignants sur toute l'académie", explique Laurent Vedel, du syndicat FEP-CFDT Fédération de l'enseignement privé) responsable du 2nd degré. "Dans les matière scientifiques, math/physique/ sciences naturelles, et depuis peu en Histoire et géographie. Au mois de juin, on ne remplissait pas les cases pour les professeurs à la rentrée". Selon lui, il manquerait en gros 20 % de professeurs dans ces matières.
Il rappelle que les enseignants du privé sont sous contrat, salariés par l'Education Nationale. Le recrutement se fait également sur concours, Capes privé. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, les enseignants du privé ne sont pas plus payés : "c'est exactement les mêmes grilles de salaire que dans le public". Mais sans doute un des avantages du privé est de permettre aux nouveaux diplômés de rester en Aquitaine.
Il estime également qu'il y a une crise des vocations car le métier n'est pas valorisé notamment d'un point de vue salarial (1400 euros par mois en début de carrière), et peut-être aussi à cause des problèmes de respect et d'autorité dans les classes. "Et pour être respecté, il faut être formé pour..."
Du "bricolage" pour des parents dubitatifs
"C'est quelque chose qu'on pointe du doigts depuis des années, avec les syndicats enseignants", explique Stéphanie Anfray, présidente du syndicat de parents d'élèves (FCPE Gironde).
Cette problématique des postes et des remplacements était déjà présente depuis plusieurs années et "s'est accrue, logique, avec la pandémie et est en train de perdurer parce qu'on est aussi dans une zone démographique, en Gironde, où la population augmente donc avec plus d'élèves et de classes dans certaines zones. Il faut des moyens humains à la hauteur du nombre d'élèves. On a un manque d'enseignants qui ne sont plus là, un manque de vocations... C'est un vrai problème ! Et aujourd'hui, on a le sentiment de "bricolage" pour pallier ça, alors que c'est une situation qui s'ancre dans le temps. Ce qui est désolant pour nous et pour nos enfants!"
En Gironde également "par expérience", les parents d'élèves ont pu constater que de nombreux postes n'ont pas été remplacés pendant des semaines, voire des mois. "Par exemple en technologie, l'an dernier en Gironde, mais aussi certaines langues ou le Français dit classique, le Latin".
Concernant le recrutement en urgence, permettant à des personnes titulaires d'un Bac + 3 d'enseigner sans avoir la formation habituelle requise, les parents sont également dubitatifs. "C'est aussi une de nos revendications d'avoir en face de nos enfants des enseignants formés. On a des enseignants qui ont un master mais qui sont passés aussi par l'INSPE. Après, les recrutements en parallèle, les diplômes a priori sont là mais c'est la formation (...) la question de la pédagogie, comment gérer une classe".
On attend (de l'Education Nationale, ndlr) un vrai engagement en terme de revalorisation du métier pour faire en sorte qu'on ait en face de nos enfants du personnel formé.
Stéphanie Anfray, présidente de la FCPE GirondeFrance 3 Aquitaine
Il faut dire que pour répondre à la crise de recrutement, des contractuels ont été embauchés dès le mois de juin lors de controversés "job-dating", entretiens organisés dans plusieurs académies. Les personnes retenues, qui doivent avoir au minimum une licence - quelle qu'elle soit -, enseigneront dès la rentrée, avec souvent quelques jours de formation seulement, proposés à partir de cette semaine.
Une façon de faire qui inquiète et agace certains professeurs qui dénoncent du "bricolage" pour atteindre l'objectif de mettre un professeur dans chaque classe. Ils s'interrogent aussi sur la réserve de professeurs remplaçants.
Un défi pour le Ministre
Moins de huit jours avant la réouverture des écoles, c'est un défi pour le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, qui avait promis "un professeur devant chaque classe".
Sa première rentrée scolaire est marquée par une crise de recrutement inédite. Cette année, plus de 4.000 postes n'ont pas été pourvus aux concours enseignants, un taux historiquement bas, selon les chiffres du ministère de l'Education nationale.
Dans le premier degré public, le taux de postes pourvus est de 83,1%, contre 94,7% l'an dernier. Pour les collèges et lycées, il se situe à 83,4%, contre 94,1% en 2021.
Dans le second degré, certaines disciplines inquiètent particulièrement: plusieurs matières sont loin d'avoir fait le plein aux concours :
- comme l'Allemand (55% des postes pourvus contre 70 à 81% durant les trois années précédentes)
- les lettres classiques (57%)
- la physique-chimie (66,7%)
- les mathématiques (68,5%)