Voila une petite décennie qu'une filière moutarde bio se monte entre la Creuse et la Haute-Vienne. De la graine jusqu'au pot, tous les acteurs sont présents sur le territoire, et la surface plantée double cette année. Une aubaine alors que la pénurie touche le secteur.
Les étals des supermarchés en sont tristement privés. Plus un pot à l'horizon. La moutarde a disparu. Partout ? Non ! En Limousin, la filière lancée il y a 9 ans arrive à maturité. De 250 hectares l'an dernier, la surface de moutarde semée dans la région passe à 500 cette année. La récolte va débuter dans quelques semaines et s'annonce plutôt bonne. De quoi réapprovisionner bientôt les étals.
Emmanuelle et Stéphane Poirier sont agriculteurs à Saint-Priest-la-Feuille près de la Souterraine en Creuse. Ils ont semé de la moutarde sur 7 hectares pour la première fois à l'automne dernier. Une nouvelle corde à leur arc dans leur stratégie de diversification.
"On sait bien que faire uniquement du bovin, ce n'est plus tellement jouable de nos jours. On a commencé par faire du veau sous la mère. Cette année nous avons pris le parti de diminuer notre cheptel et de semer de la moutarde", explique Emmanuelle.
La moutarde est plutôt facile à cultiver. Une culture beaucoup plus rémunératrice.
"C'est évident, on ne va pas se le cacher. Le fait que ce soit du bio est bien plus rentable. On est déjà partis pour en faire 7 ou 8 hectares tous les ans", confie Stéphane.
La filière est née de la rencontre des entreprises AB développement et Delouis. La première est basée à Maisonnisses en Creuse, la seconde à Champsac en Haute-Vienne. Elle produisait déjà de la moutarde il y a une dizaine d'années, mais les graines étaient intégralement importées de l'étranger, notamment du Canada.
De la rencontre des patrons de ces deux entreprises est née l'idée de monter une filière locale.
"Il y a 9 ans, nous avons débuté la moutarde bio avec 3 agriculteurs volontaires sur 50 hectares. Il sont désormais une vingtaine entre la Creuse, la Haute-Vienne, la Vienne et la Charente. On produit environ 53 tonnes de graines de moutarde prêtes à être transformées par l'entreprise Delouis" explique Henri Guimbretière, patron de AB Développement.
L'entreprise a été créée dans les années 80. Précurseur à l'époque, son fondateur se lance dans le conseil agricole pour le bio. L'idée étant d'apporter logistique et technique pour les agriculteurs tentés par l'expérience. Sa zone d'action s'étend désormais sur tout le centre de la France, de la Charente à l'Yonne en passant par l'Auvergne et le Limousin.
Le reportage que nous avions tourné en 2018 sur le lancement de la culture de la moutarde.
Pas encore tout à fait suffisant pour couvrir les besoins de l'entreprise Delouis, estimés à environ 150 tonnes par an. Mais la filière progresse.
La maison Delouis, c'est un vinaigrier historique crée en 1885. Produisant à l’origine vinaigre d'alcool et vinaigre de vin, la société s'est diversifiée. D’abord en créant le vinaigre de cidre avec les pommes locales puis en débutant la production de moutarde et la mayonnaise dans les années 90.
A voir le reportage de l'ORTF consacré à la maison Delouis en 1968.
"L'idée, en montant cette filière, c'est de ramener la valeur ajoutée sur le territoire. Nos emplettes sont nos emplois, c'est du BSP (bon sens paysan)", explique Gaël Brabant patron de Delouis depuis 2004. La société affiche des produits bio à son catalogue depuis 35 ans. "Plutôt que de faire travailler des agriculteurs à l'autre bout du monde, nous avons voulu faire vivre ceux d'ici. La relocalisation, c'est un travail de longue haleine ,c'est compliqué et heureusement, sinon tous nos concurrents l'auraient déjà fait".
La production locale constitue pour le moment 30% de la moutarde bio produite par Delouis. L'entreprise compte bien aller plus loin.
Les pré-requis ? Trouver des agriculteurs volontaires. Et faire comprendre aux consommateurs qu'il faut dépenser un peu plus. Pour que le filière locale continue de se développer, il faut qu'elle soit rémunératrice pour les agriculteurs.
"Est-on prêt à mettre quelques euros de plus par an dans un pot de moutarde sachant qu'un Français en consomme en moyenne 1 kilo par an ? Je pense que c'est possible".
En attendant Delouis affirme faire face sereinement à la pénurie. "Nous continuons d'approvisionner nos clients historiques. Nous avons simplement dû rationaliser. Continuer à vendre tout en gardant une partie de la moutarde pour notre propre production de vinaigrette".
D'ici 5 ans, Delouis compte approvisionner 100% de sa production de moutarde bio en local.