C'est un effet du Covid, les demandes de reconversion professionnelles n'ont jamais été aussi nombreuses. Changer de métier, un parcours du combattant ? Pas toujours. Des dispositifs d'aide existent. Transition Pro Nouvelle-Aquitaine permet de changer de voie en douceur.
Au volant de son utilitaire, Christelle Besse sillonne les routes du nord de la Corrèze. Ce matin, c'est livraison. Arrêt devant la cantine scolaire de Saint-Martin-Sepert. Les cageots plein de légumes valsent rapidement et vont remplir les frigos. La petite commune joue le jeu en faisant travailler cette jeune maraîchère nouvellement installée. Trois ans auparavant, ses mains n'étaient pas pleines de terre. Elle était alors assistante dentaire. Une profession exercée pendant 9 ans qu'elle vivait de plus en plus mal.
J'avais des angoisses, l’appréhension d'aller travailler, plus l'envie de se lever le matin pour aller bosser. Ça se ressentait sur ma vie de famille. J'avais besoin de retrouver le contact avec la nature, l'envie aussi d'être ma propre patronne
Christelle Besse
Le bonheur est dans le pré...
Aujourd'hui plus de mal-être au travail. Souriante et détendue, Christelle remplit des godets de petits plants de tomates. Elle ne compte pas ses heures et le rythme n'a pas été facile à prendre. Pour autant, désormais, elle travaille pour elle-même et ça change tout. Christelle ne débarque pas vraiment dans le milieu agricole. Sa mère était agricultrice et elle a pu s'installer sur des terres mises à disposition par son beau-père. Des tunnels de serre tout neuf ont poussé comme des champignons. Des champignons justement elle en cultive aussi. Des shiitake qui permettent de faire un peu de chiffre en hiver quand il n'y a pas grand chose d'autre à mettre sur les étals. Elle les livre notamment à Enora Mahé.
... Ou en cuisine !
Elle aussi s'est reconverti. A Salon-la-Tour, elle a installé Umami Traiteur dans l'ancienne boucherie juste à côté de l'église. La vitrine est vide mais il y a de l'agitation en cuisine. Et une bonne odeur vient titiller les narines. L'affaire cartonne. Nous surprenons Enora dans son labo alors qu'elle finit de remplir une centaine de verrines de crème brûlée salée au champignons. Quelques années auparavant nous l'aurions trouvé derrière son bureau de responsable de la communication dans une salle de concert. Un métier qu'elle a exercé pendant 8 ans.
Passer derrière les fourneaux, c'est un rêve de gosse qui s'est rappelé à son bon souvenir à l'orée de la quarantaine. La perte de sens dans son travail précédent ayant fait son oeuvre, elle a sauté le pas. Sans regrets.
Je suis contente car je choisi quels produits je travaille, quel sens je veux donner à ma cuisine. J'aime travailler seule. Choisir comment je mène les choses de A à Z c'est essentiel pour moi
Enora Mahé
Le PTP, projet de transition professionnelle
Point commun de ces deux parcours : Christelle et Enora ont toutes deux eu recours à un projet de transition professionnelle. Qu'est-ce-donc ? Transitions pro Nouvelle Aquitaine (ancien Fongecif) est un organisme paritaire géré par des représentants de salariés et de chefs d'entreprises et financé par des contributions de ces dernières. Orientés par des conseillers en évolution professionnelle ou par les chambres consulaires, des candidats à la reconversion peuvent envoyer leur dossier à Transitions pro. Une commission se réunit tous les mois pour les étudier selon plusieurs critères. Le candidat a-t-il une bonne idée du métier vers lequel il veut se diriger. A-t-il fait une immersion dans ce milieu ? La formation demandée est-elle pertinente ? L'emploi visé après la formation fait-il partie des secteur demandeurs de main d'oeuvre ?
Conserver son salaire pendant la formation
Une fois le projet validé par la commission, le candidat peut partir en formation pour une durée maximum d'un an. Et, là ou c'est intéressant, c'est que le salarié conserve son salaire. Son contrat de travail est temporairement suspendu au sein de son entreprise. Si la formation échoue, ou s'il change d'avis, il a la possibilité de retrouver son poste. Le salaire est remboursé à l'entreprise par Transitions Pro.
"C'était avantageux de ne pas avoir la pression de l'argent explique Christelle. Une fois mon diplôme d'exploitante agricole en poche j'ai fait une rupture conventionnelle avec mon employeur. J'ai pu percevoir le chômage pendant deux ans pour lancer mon entreprise".
"On n'est pas précaire quand on est en formation, c'est une sécurité, un confort" confirme Enora. "On a le droit à l'erreur, on peut dire qu'on s'est trompé et réintégrer son poste. Un des mes collègues de formation a fait ça. Pour lui ça restera une bonne parenthèse".
Il faut quand même une bonne dose de courage pour faire de tels virages à 180°. Retourner sur les bancs de l'école, parfois en intégrant des classes où on à l'âge des professeurs. Mais les salariés en reconversion ont une motivation à toute épreuve.
Pendant la formation j'avais un bébé en bas âge, je dormais très peu mais j'étais hyper motivée. C'est juste génial d'apprendre ce qu'on a envie de faire
Enora Mahé
Le changement, c'est maintenant !
Christelle et Enora sont représentatives. Le profil type du salarié en reconversion professionnelle : une femme de quarante ans en CDI. Ouvrier, employés tous les emplois sont concernés. De plus en plus de demandes viennent des cadres qui se dirigent notamment vers l'artisanat. Mal-être, perte de sens au travail, envie de faire quelque chose de plus terre à terre, de plus concret, sont les motivations les plus avancées.
Nous avons beaucoup de salariés du secteur bancaire/assurance. Ils subissent une telle pression, une culture du chiffre qu'ils sont nombreux à vouloir changer de métier
Valérie Toulouse, référente parcours à Transitions Pro
Mais le gros contingent de candidats au changement ces derniers mois vient du secteur de la santé. "L'épuisement des soignants, infirmières, aides à domicile les pousse à vouloir changer de métier" explique Valérie Toulouse, référente parcours de Transitions Pro à Limoges.
Les demandes ont donc nettement augmenté dans le contexte sanitaire.
"Nous avons 15% de demandes en plus. Sur le Limousin pour 2021 c'est 126 demandes de financement. C'est l'effet Covid. Pendant le chômage partiel, les salariés sans activité ont pris le temps de se poser et de réfléchir. Beaucoup se sont dit qu'ils ne trouvaient plus de sens dans leur travail et ont décidé de changer. Nous anticipons d'ores et déjà un prolongement de cette hausse de la demande, vu la situation économique ".
Christelle et Enora profitent désormais de leur nouvelle vie. Une vie de jeune patronne chronophage et exigeante. Les créations d'entreprises par les salariés en reconversion sont fréquemment structurantes pour le territoire. Christelle est installée en bio, approvisionne les cantines scolaires et vend ses paniers en vente directe. Enora a redonné vie à la boucherie d'un petit village.
"Il faut vendre ! A l'heure actuelle je ne sais pas encore si je vais me sortir un salaire. Mais je suis épanouie, les enfants sont mieux. Ils ressentent moins ce stress que j'avais ne permanence. Je suis plus détendue, je fais ce que j'aime. Je ne regrette pas mon choix !" confie Christelle.