Comment pallier le manque de dentistes : des professionnels à la retraite se mobilisent

L’association s’appelle ASUDE pour Assistance et service pour l’urgence dentaire. Une structure dédiée aux soins dentaires urgents, en zone rurale, mais pas seulement. Ils sont nombreux à raccrocher leurs sondes et autres turbines dentaires. Mais ils sont obligés de reprendre du service. Rencontre.

Dans ce cabinet dentaire, à Felletin, les patients faisaient plusieurs kilomètres pour venir se soigner. Mais rien ne va plus dans ce village de Creuse. Le dernier cabinet dentaire a fermé le 31 octobre. Le docteur Dubois, le dernier dentiste de la commune a pris sa retraite. Il exerçait ici depuis 1985. Pour les felletinois, difficile, voire impossible de retrouver un dentiste dans les environs, et même en poussant jusqu'à Guéret, les places sont rares... En Creuse. Il n'y a pas que les généralistes qui font défaut, les spécialistes comme les dentistes sont de moins en moins nombreux.

A l’extérieur du cabinet, la plaque est encore là, souvenir d'un temps tout récent où on venait de 40 kms à la ronde pour se faire soigner les dents. Mais depuis que le docteur Dubois a définitivement raccroché les roulettes c’est le désert. Pourtant depuis 6 mois fait tous pour se trouver un successeur... Mais en vain.

« Aujourd’hui, les jeunes dentistes ne veulent pas s’installer tout seul dans un cabinet dentaire, regrette le docteur Denis Dubois, car ils estiment que cela génère une grosse charge administrative et du stress. Ils veulent être en sécurité avec d’autres confrères autour d’eux qui peuvent les aider en cas de problème. Et pourtant, la patientèle est nombreuse, une patientèle qui aujourd'hui ne sait plus où aller ».

Dans un café de Felletin, le départ du docteur Dubois est sur toutes les lèvres. Laurence Meunier, la tenancière le connaissait bien, elle regrette qu’il ne soit pas remplacé : « Si on a un vrai souci, on fait quoi ? Je ne sais pas. Et ça c’est vraiment un gros problème », s’exaspère-t-elle.

Pour James Boutiton, le président du conseil départemental de l’ordre des dentistes : « On a un taux de chirurgiens-dentistes pour 100.000 habitants, qui est presque la moitié du taux national. 39 pour 100.000 habitants, alors que la moyenne nationale est de 66, donc on est vraiment sous-dotés, très sous-dotés. Nous avons un petit peu moins 20% de praticiens qui ont plus de 65 ans, voire certains plus de 70 ans qui sont encore en exercice. Alors dans les années qui viennent, 9 praticiens qui vont faire valoir leur droit à la retraite sur 43 praticiens en exercice. Ce qui est un nombre très important, et c’est un problème. Surtout dans le sud de la Creuse. Ce qui fait qu’à Guéret, les 12 praticiens travaillent à flux tendus ».

En France on compte en moyenne 1 praticien pour 1500 habitants. En Creuse, c'est plutôt 1 pour 3000. Et la situation ne cesse de se dégrader. Dans cet autre cabinet aubussonnais, on avait pour habitude de ne refuser aucun patient, mais avec plus de 40 rendez-vous quotidiens, ce n'est plus possible.

« Avec les départs en retraite de mes confrères, explique le docteur Pierre Adant, on est malheureusement obligés de refuser des patients pour pouvoir ne serait-ce que satisfaire notre patientèle qui est déjà nombreuse ».

Alors comment ramener de nouveaux praticiens en Creuse ? Pour le docteur Adam, l'incitation fiscale est un échec. Reste à mettre en valeur les atouts de la pratique en zone rurale.

« On pratique la vraie dentisterie, c’est très intéressant intellectuellement. On peut toucher à toutes les facettes, de notre profession » explique le docteur Adant. « L’avantage qu’on a ici, complète le docteur Dubois, c’est qu’avec tous les confrères, on est très solidaire. Parce qu’il n’y a pas de concurrence. Donc on s’entraide s’il y a besoin. »

Reste également la solution maison médicale, à l'étude sur Felletin. Sachant que d'ici fin 2021, 6 praticiens vont prendre leur retraite, il n'en restera qu'une trentaine en Creuse.

L’association ASUD pour parer au plus urgent

Pour éviter que les gens manquent de soins, Alain Simon, dentiste à la retraite a co-fondé avec Nicolas Moyrand l’association ASUD pour Assistance et service pour l’urgence dentaire. « La pénurie est palpable, nous avons à peu près 100 appels par jour. On ne peut pas satisfaire tout le monde. On essaie de lisser sur la semaine, du lundi au samedi. On reçoit des gens qui viennent de plus 100 à 200 kilomètres à la ronde pour venir se soigner. On essaie de créer des structures du même genre un peu partout en France. On a été appelé, par exemple sur Cahors, une autre fois sur Orléans. Le problème, c’est la pénurie de praticiens. »

Rencontré dans le cadre d’une consultation ce jour-là à Limoges, Alain Simon a 71 ans, la moyenne d’âge dans l’association est comprise entre 70 et 80 ans. Des papys boomer qui sont obligés de reprendre du service à cause du manque de médecins.

« Nous nous sommes rendus compte que les rendez-vous sont de plus en plus long, à cause du manque de praticiens. Certains se rendent disponibles deux jours par semaine, on s’organise comme on peut », argumente le docteur Simon.

Venu en consultation ce jour-là, Salif Duygu a peiné à trouver un rendez-vous en Corrèze Alors qu’il avait une urgence dentaire. Il est bien content d’avoir pu consulter le docteur Simon. « A Brive, regrette-t-il y a peut-être 50 praticiens, aucun n’a pu me prendre. Même mon dentiste ne pouvait pas. Et les rendez-vous c’était dans un ou deux mois ! Les dents c’est important, je ne pouvais pas attendre », sourit-il derrière le masque.

 « On a des gens qui viennent de très loin, et qui repartent soulagés, donc c’est gratifiant. On intervient rapidement pour des problèmes douloureux, esthétiques, fonctionnels. On a reçu des gens avec des prothèses cassées » détaille Alain Simon.

L’urgence et non le suivi

Même si ces praticiens se rendent disponibles quand les autres ne peuvent pas, il est inutile de les contacter pour du suivi. Pour une rage de dent, un abcès douloureux, une incisive cassée ou une couronne descellée, par exemple, ils peuvent s’occuper de vous. Il est également possible de leur confier un appareil endommagé pour être réparé.

Trois jours par semaine

Trois professionnels creusois, à la retraite, ont renfilé leurs blouses pour tenir ces urgences, à tour de rôle. Il est ouvert trois jours par semaine mais l'Asude voudrait pouvoir proposer un quatrième jour, tant la demande est importante.

Rendez-vous obligatoire

Le service de Guért accueille des patients de Creuse, bien sûr, mais aussi de Corrèze, de l'Indre ou encore de l'Allier... A condition qu'ils aient pris un rendez-vous, via la plateforme téléphonique de Limoges. L'occasion de s'assurer que les praticiens puissent les recevoir et de faire une première évaluation des symptômes. 

Les soins ne sont pas remboursés

Les consultations oscillent entre 50 et 140 euros. Comme il s'agit d'un service d'urgence, le cabinet n'est pas conventionné. "C'est un intermédiaire qui permet au soigné de tenir 2 ou 3 mois avant de retourner chez son dentiste traitant", rappelle le co-fondateur de l’ASUDE. Seul bémol, les soins ne sont donc pas pris en charge par l'Assurance maladie, sauf pour certaines mutuelles.

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