Les fleuristes ne pourront pas rattraper deux mois de perte

Au moins une centaine de personnes massées devant les magasins de fleurs ce dimanche. Une fête des mères post-déconfinement qui a suscité un désir irrépressible d'achat, même pour ceux qui n'ont pas l'habitude d'offrir des fleurs. Est-ce assez pour redonner des couleurs au chiffre d'affaire ? 

« Il n'y a plus rien, viens on y va » lance Emilie à son ami qui insiste pourtant pour faire la queue. Plus une seule fleur de disponible, en tous cas pas de celles qu'elle voulait. Il est à peine 10h et « déjà plus rien » regrette t-elle en s'éloignant. La maison Rambeau Racaud est une institution à Limoges. 45 ans qu'elle propose des fleurs à l'entrée du cimetière de Louyat. L'un des plus grands d'Europe, selon la légende urbaine. Devant, la file d'attente est une spirale. Elle serpente depuis le trottoir avec des hommes et des femmes masqués qui plaisantent au sujet de l'engouement. « C'est incroyable, hein ? » lance Régis, la soixantaine, à Martine qui agite les bras en riant, juste à un mètre. Le vent est frais, un petit rayon de soleil tente de se frayer un passage entre les nuages. Medhi, bleu jean et pull jaune, sort le premier avec Juliette qui le suit de près. Elle arbore le précieux bouquet, des roses jaunes. « C'est pour ma mère qui fête ses 65 ans cette année ». « C'est la première fois qu'on vient chez ce fleuriste, ajoute Juliette, et c'est un peu spécial, avec le masque, les gestes barrières ». Aurélie, 21 ans, a le rire sonore, derrière son masque bleu. Elle est fière d'afficher le bouquet pour Monique sa maman, 59 ans. C'est cette dernière qui lui a fait découvrir ce fleuriste où elle a ses habitudes.

Elle va aimer la surprise, j'en suis certaine, même si je n'ai pas trouvé forcément ce que je voulais 

« A qui le tour », lance Christelle à la cantonade. C'est la patronne, elle n'a pas le temps. La file s'allonge encore. Des rires répondent à ses réponses expéditives. On insiste un peu, sans la forcer. Qu'est-ce qui marche le plus ? Retente-t-on sans brusquerie. « De tout » coupe-t-elle entre deux clients. « Les gens offrent de tout. Des plantes, des pivoines beaucoup » complète-t-elle en s'éloignant. Et ça fait du bien. « Regardez le monde monsieur, j'ai pas le temps, merci » abrège-t-elle dans un sourire. Un bonjour, nous accueille au niveau de la caisse. « On s'occupe de vous ? ». Des roses, rouges, se risque-t-on pris au dépourvu. « On n'en a plus » coupe la caissière, la machine à carte bleue fermement maintenue dans la main gauche. On prend congé, avec les rires des clients en fond sonore. Dehors, plus une place de parking de disponible. Joëlle, la cinquantaine avance tout sourire vers sa mère postée plus loin. « Une demi-heure pour une fleur, c'est incroyable, lui lance-t-elle, appuyée sur sa jambe gauche. 

Nous sommes des habituées. Des roses brandit-elle, elles sont pour ma petite fille. C'est pour faire la surprise à sa maman. Nous nous faisons plaisir entre femmes.  L'arrière grand-mère, la grand-mère et la petite fille pour une belle fête des mères, sourit-elle en prenant la pose

Avenue Georges Dumas à Limoges, les étals de ce fleuriste bien connu sont vides.  Il est près de midi. L'établissement est pourtant ouvert, il y a de la lumière à l'intérieur. La file d'attente déborde jusqu'à hauteur de la boulangerie un peu plus haut sur la rue. A l'entrée, chacun attend son tour. D'un geste de la main, Aurélie* invite à s'approcher. Masquée, elle est derrière une cloison en plexiglas. Il faut se pencher pour s'entendre. A côté d'elle, Isabelle est affairée. C'est elle qui prend les commandes. « Il n'y a que ça dans les bouquets » lance une dame en dégageant sa bouche pour se faire entendre. « Vous n'avez plus trop le choix madame, on a été dévalisés » tranche la vendeuse. « Moi je voulais des pivoines ! » s'exaspère la dame au jean blanc dodelinant sur ses jambes frêles. « On est en rupture de stock », explique Victoria Tran la responsable du magasin, d'une voix vive. « On est contente d'avoir repris le travail, souffle Aurélie* derrière la caisse, mais on ne s'attendait pas à une telle ruée », sourit-elle tout en servant Frédéric et Marie-Félinette. « C'est pour Paulette, ma mère de 76 ans. Moi je voulais des plantes en terre, argumente-t-il, car ma mère a la main verte. Mais là, j'ai dû prendre ce qu'il y avait ». « C'est mieux que rien complète sa compagne, on s'en tire pour 25 euros, c'est pas mal ». Lui est limougeaud, mais enseigne l'Histoire géographie à Mayotte, ils sont bloqués à Limoges jusqu'à la reprise des vols. La fête des mères est une façon de joindre l'utile à l'agréable.

La circulation est à vive allure sur l'avenue. Les clients sont pressés. Ils redoublent de vigilance en traversant la rue. Des klaxons, marquent un agacement palpable. Une jeune fille tombe sur le trottoir en évitant une voiture. Sa mère accourt derrière elle. Elle s'est fait mal aux genoux. On tente de ne pas la plaindre dans la file d'attente. Elle retient ses larmes. Elle ne veut pas gâcher la fête de sa mère qui la câline. Victoria aidée d'une employée tire sur un chariot plein de fleurs pour redonner un peu de lustre à la devanture du magasin vidée par les clients arrivés dès l'ouverture vers 7h du matin. « On est là jusqu'à 20h ce soir, les gens sont de sortie, ils veulent se faire plaisir en offrant des fleurs, on ne va pas compter nos heures », plaisante Victoria.

Le budget moyen

Le panier moyen, précise Victoria, oscille entre 30 et 35 euros. Ça fait 22 ans que je suis là, et je suis contente quand je vois des gens heureux pour acheter des fleurs. Après deux mois de confinement, c'est incroyable de voir des clients se battre pour avoir un bouquet

Une affluence qui fait du bien au chiffre d'affaire. « Une journée comme celle-ci, représente 10 à 15% de notre chiffre d'affaire mensuel, ce n'est pas négligeable, se félicite Victoria. Depuis ce matin, on comptabilise entre 700 et 900 personnes sur la journée. On avait deux caisses à l'extérieur plus une à l'intérieur, et vous avez vu, il n'y a plus rien dehors. Les stocks ont été razziés. Les autres années, les gens anticipaient en venant la veille, mais 2020 est une année spéciale. Voyez par vous-même, tout le monde est là le jour J. A cause de cette foutue pandémie, les gens veulent se faire plaisir et c'est normal. On a le sourire, même si ça ne se voit pas. »

Néanmoins, la fête des mères suffit-elle à renflouer les caisses et le manque à gagner, généré par la crise sanitaire ?

« Malheureusement, on ne peut pas rattraper ce qui a été perdu, s'attriste Victoria réaliste. Ce qui est perdu est perdu. Et puis on n'a repris que 25 heures par semaine, en attendant que la situation sanitaire s'améliore », tempère la responsable du magasin.

Engouement

Ce sont les pivoines qui fonctionnent le mieux, ainsi que les roses, les mini oeillets, les limoniums et les phlox. Les fleurs viennent de France pour une partie, mais aussi de Hollande et de l'étranger. La crise a certes administré sa volée de bois vert, mais la corporation n'est pas résolue à baisser les bras. Car les gens ont toujours besoin de fleurir leur quotidien.

* Les prénoms ont été modifiés

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