« Il faut désengorger les taules, la maison d’arrêt de Limoges est une cocotte-minute » selon un agent pénitencier

La sonnette d'alarme avait déjà été tirée par la députée de la Haute-Vienne, et par l'Observatoire International des Prisons. La maison d'arrêt de Limoges est trop engorgée. Ce sont les syndicats des personnels pénitentiaires qui poussent un cri de colère aujourd’hui. Rencontre.

 « On est là, parce qu’on a fait des bêtises, on assume, mais on aurait pu avoir des meilleurs conditions de vie », une phrase laconique d’un détenu, recueillie fin novembre lors de la visite de la députée socialiste Lamia El Araje à la Maison d’arrêt de Limoges. Dans une cellule, trois détenus se partagent entre 7 et 9 m², avec des matelas par terre. Pour rappel la Maison d’arrêt date de 1856.

« La promiscuité, tout ce que ça peut entraîner comme des tensions entre détenus, des tensions envers le personnel, ça c’est très difficile à gérer », explique Vincent Duroudier, Unsa justice.

« Surpopulation chronique »

Une dégradation de la situation carcérale à Limoges déjà relevée par le contrôleur général des lieux de privation de liberté dans une note de 2011, et qui était en deça de la situation d’aujourd’hui. Plus de 220% du taux d’occupation des cellules.

Ce mardi matin, « à la demande de certains collègues inquiets, je me suis rendue dans les étages de la maison d’arrêt et il s’avère que nous sommes à 220% du taux de capacité de détenus à la maison d’arrêt de Limoges, raconte Fatima Benyoussa, la secrétaire locale CGT pénitentiaire auprès de la maison d’arrêt de Limoges. C’est une catastrophe. On a une quinzaine de cellules occupées par 3 détenus, alors que normalement les cellules sont individuelles. Cela engendre un surcroît de travail. On sait qu’il y a des arrivants quotidiennement, on ne sait plus où les mettre. On est sensé tenir compte de l’âge par exemple, ainsi que des situations des détenus. A l’heure actuelle, on n’en est même plus là. On ne peut plus tenir compte des critères »,  Les détenus qui quittent les quartiers disciplinaires on ne sait plus les mettre, c’est notre dilemme de ce matin »  s’alarme la syndicaliste.

« Les douches, c’est de 7h à 8h, avec 30 c’est gérable, avec le double de population, ce n’est plus possible. Sans oublier le stockage des denrées alimentaires, les frigos ne contiennent pas suffisamment de denrées pour nourrir tout le monde. »

Comment on en est arrivé là ?

On ne comprend pas pourquoi les petites peines nous arrivent, il y a des possibilités d’accorder les bracelets électroniques, ou des travaux d’intérêt général, ou reporter à plus tard les exécutions de peine. Le gouvernement a bien désengorgé au plus fort de la crise sanitaire, pourquoi ils ne le font pas maintenant, car avec les fêtes qui arrivent ça va être compliqué à gérer.

A quoi ressemble le quotidien d’un surveillant pénitencier ?

On embauche à 6h30, on fait un contrôle de l’effectif, on s’assure qu’ils soient vivants. On enchaîne avec les douches, suivis des activités, de l’école, les promenades, les fouilles, les contrôles des barreaux, l’infirmerie, les repas, les extractions (quitter l’établissement), la gestion des parloirs. Avec un service du matin, l’après-midi et la nuit (19h-7h). Et nous sommes exténués avec le surcroît de population à s’occuper au quotidien.

Est-ce qu’il y a un danger pour le personnel pénitencier ?

Il y a des risques psycho-sociaux pour le personnel pénitencier et c’est une cocote minute pour les détenus. Il y a des tensions au quotidien en ce moment. Ils vivent dans 9m². Il y a un matelas au sol, les repas se font en cellule, donc c’est compliqué à 3 dans 9 m² et si ça continue ça va finir à 4.

Sur le plan sanitaire comment vous faites au quotidien ?

Même si nous prenons toutes les précautions sanitaires, il y a beaucoup d’activités, du dessin, le culte, les parloirs, donc il suffit d’un écart pour que toute la prison soit contaminée. Les précautions sont prises, mais on ne sait jamais. Aux parloirs on veille au respect du port du masque, et des règles sanitaires, même s’il y en a qui enlèvent leurs masques. Quand c’est arrivé, on a tout de suite isolé le détenu.

Dans quel état d’esprit vous êtes aujourd’hui ?

On vient au travail avec la boule au ventre. La fatigue est liée à la gestion des détenus. S’occuper de trois détenus par cellule en même temps c’est beaucoup de stress, sans compter qu’on a des horaires atypiques. La journée, les matins, les après-midi plus les nuits. On sature, il y a un ras-le bol général. Ce matin, les collègues veulent débrayer.

Est-ce que les tribunaux sont plus sévères ou est-ce qu’il y a une montée de la délinquance ?

Je ne suis pas certain qu’il y ait une montée de la délinquance. On ne peut pas en vouloir au (JAP) Juge d’Application des Peines, mais ce qui se passe c’est que nous sommes hors capacités. Le gouvernement doit agir, ce serait bien de dégorger les taules. On n’a plus le temps de respirer. Le chef d’établissement fait son travail, mais on incarcère à tour de bras. Imaginez qu’on a reçu une personne qui arrive pour un mois de peine ce n’est plus possible.

"Il n'y a pas que la surpopulation carcérale" selon l'ancienne bâtonnière du TGI de Limoges

"Le problème de la prison ne se réduit pas à la surpopulation carcérale", tempère Edith Verger Morlighem, ancienne bâtonnière, représentant le Barreau de Limoges. Elle fait partie du groupe local de concertation prison, qui regroupe les aumôneries catholiques, protestantes et musulmanes, le secours catholique, la halte Vincent, les visiteurs de prisons, l’association d’aide aux détenus, Auxilia, et le barreau de Limoges.

 "Il y a d’autres points de préoccupations dont il faut aussi parler ». Elle vient de participer à la Journée nationale prison, avec des rencontres débats sur le thème : « Prison une communauté à part ».

Pour elle aujourd'hui en France, « il y a une culture de la sanction plus que de la resocialisation ». Pour le grand public, une peine est forcément une peine de prison, les autres peines ne sont même pas connues ou pas considérées comme des sanctions (sursis, sursis avec mise à l’épreuve, peines alternatives) une peine ne se résume pas forcément à de l’enfermement.

Justement, la surpopulation est-elle le fait de tribunaux plus sévères aujourd'hui ?  « Il y a un tout, explique Edith Verger Morlighem. Les multiplications des comparutions immédiates, à l’issue desquelles des peines de prison sont souvent prononcées, avec l’exécution des peines fermes concourent à la concentration de population carcérale notamment à la prison de Limoges qui a été conçue pour recevoir 60 détenus, nous en sommes à 220% de taux d’occupation ! C’est intenable ».

Le groupe local de concertation prison recommande de développer des actions, et de favoriser des rencontres. « Ce qui serait intéressant c’est que soit mis en place une véritable participation des détenus en ce qui concerne leur vie collective, c’est prévue par les textes, notamment par la loi du 23 novembre 2009. Et le fameux module respect, mis en place dans certains lieux de détention, où on contractualise le respect. Chacun a des obligations les uns envers les autres, ça ne peut que calmer les choses, créer du dialogue, et de la resocialisation ».

Dynamiques de resocialisation ?

Quand on peut travailler de façon apaisée avec les détenus, ça se passe beaucoup mieux. Le travail des surveillants pénitentiaires est souvent réduit qu'à du gardiennage, avec des gens sur la défensive, parce qu’il n’y a pas d’intimité. Si tous les jours, dans une petite cellule on tombe sur celui qui dort par terre, il y a une tension qui ne permet pas de faire ce travail de socialisation.

Les agents pénitenciers ne sont aujourd’hui que gardiens, et non pas agent pénitencier. Ils ne peuvent pas organiser les activités annexes sans tensions. Souvent les personnes qui arrivent en prison sont déjà désocialisées avant même de rentrer en isolement. Ça produit l’effet inverse recherché par l’enfermement, le temps de l’exécution des peines.

Parmi les recommandations issues de la journée nationale prison, il y a ce qui est appelé le nouvel ordre carcéral.

"Ce serait bien que chaque personne soit reconnue comme un individu propre. On peut se trouver des intérêts communs, préparer une réinsertion. La détention a pour but de sanctionner mais elle a aussi pour but d’éviter la récidive, donc la réinsertion de la personne condamnée », rappelle l’ancienne bâtonnière du TGI de Limoges.

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