En 1870 et 1871 des soldats limousins ont participé à la guerre contre la Prusse déclenchée et perdue par Napoléon III. Si ce conflit s'est estompé dans les mémoires il a marqué les populations de la région et déterminé le cours de l'histoire française et européenne pendant plusieurs décennies.
Pour les Limousins comme pour tous les Français, perdue dans les limbes brumeuses de l'Histoire entre Austerlitz et Verdun, la guerre de 1870 c'est un peu la guerre oubliée.
Et pour cause : voulue, et perdue, par Napoléon III, la guerre de 1870 contre la Prusse fut une gigantesque "raclée" infligée à la France, une invasion de nos cousins teutons jusque dans les campagnes des bords de Loire, bref, une sorte de répétition générale prémonitoire de la débâcle que le pays subira à nouveau en 1940.
Et pourtant : il y a 150 ans, la guerre de 1870 signa la fin du Second Empire, enfanta la révolution de la Commune, marqua l'avènement de la IIIème République, scella l'unification de l'Allemagne et entama la construction d'une Europe des Nations. Mais surtout, ce conflit installa une rivalité et une haine anti-allemande tenace dans l'esprit de plusieurs générations de Français.
Orphelins de l'Alsace et de la Lorraine, avides d'une revanche d'autant plus grande que l'humiliation avait été rude, les vaincus de 1870 feront fermenter cette rancoeur mortifère jusqu'en 1918.
La guerre de 1870 : un conflit qui va rebattre les cartes de l'histoire de la France et de l'Europe
Quand Napoléon III, empereur des Français, déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870, l'armée française est constituée de volontaires, mais surtout, de conscrits tirés au sort qui se retrouvent enrôlés pour un service militaire de 5 ans. Les "bons numéros" qui n'ont pas été tirés au sort sont versés dans une "garde nationale mobile" de réserve.
Mais dès le mois d'août 1870 des bataillons de "Garde mobile" sont mobilisés. A Limoges ce sera le 71ème régiment des mobiles de Haute-Vienne, en Corrèze, le 1er et 2ème bataillon de Corrèze, en Creuse, trois bataillons de gardes mobiles seront formés à Guéret, Aubusson et Boussac.
Pour l'historien Philippe Grandcoing, face à une armée Prussienne dirigée par Bismarck, moderne, bien équipée et aguérrie par une récente victoire contre l'empire Autrichien, la plupart des hommes du 71 ème Mobile de Haute-Vienne "manquent de chaussures, ils recoivent une simples musette en guise de sac, les uniformes sont des plus rudimentaires et les soldats sont logés chez l'habitant. Quant aux armes, il s'agit de fusils se chargeant par la bouche, totalement obsolètes." Du côté de l'encadrement "si certains, officiers, à l'instar du commandant Pinelli, sont d'anciens militaires de carrière, la plupart appartiennent au monde des élites nobles ou bourgeoises". Quant à l'instruction militaire "elle est des plus sommaires".
Face à 300 000 français, 800 000 Prussiens bien équipés et encadrés peuvent aussi compter sur une artillerie moderne, plus performante en nombre et en qualité.
Des Prussiens largement mieux équipés, encadrés et entraînés que les Français
Les résultats ne se font pas attendre : moins de deux mois après avoir déclaré la guerre à la Prusse, Napoléon III est encerclé à Sedan avec 100 000 hommes. Il doit capituler.
Le Second Empire expire et la IIIème République tente de prendre la relève. Le gouvernement provisoire continue la guerre, mais ses soldats manquent de matériel et d'encadrement. Le gouvernement est assiégé à Paris. Les combats se poursuivent, sans victoires décisives, dans le Nord, dans l'Est, en Bourgogne ou sur la Loire.
Les soldats limousins participeront à plusieurs de ces combats, contre des soldats prussiens qui ont pénétré jusqu'au coeur des régions françaises.
En 1870, le comte de Couronnel, aristocrate qui possède des terres et un chateau à Magnac-Laval en Haute-Vienne, est nommé capitaine d'une compagnie du 71ème Mobile. Vingt ans plus tard il racontera les terribles moments vécus avec ses hommes.
L'historien Laurent Bourdelas reprend des détails de son récit : il indique par exemple qu’aucune carte d'état major du département dans lequel le 71ème Mobiles devait opérer n’avait été mis à la disposition des combattants. Il explique que tout leur manquait : les vivres, les ustensiles, les couvertures, les sacs à dos, les chaussures aux bonnes pointures, mais aussi l’expérience, avec des soldats qui font « partir leurs armes en voulant les charger. »
Le 2 décembre, c'est le baptême du feu pour les Limousins lors de la bataille de Loigny au nord d' Orléans. Les combats dans le village Lumeau, dans l'Eure-et-Loir, sont très durs. Les hommes du 71 ème mobiles doivent se battre sous un feu d'artillerie incessant contre les soldats de la 17ème division prussienne du général Von Treskow.
Lumeau : une terrible bataille pour les soldats limousins
"Dans un froid glacial, après une nuit passée à faire brûler tout le bois disponible et à marcher pour se donner un peu de chaleur, le 71ème Mobiles est engagé dans la bataille de Loigny. Il a été complété par un petit contingent arrivé la veille de Limoges. Pour parvenir au contact de l’ennemi, il faut progresser en ligne de bataille, à travers les champs et les chemins bordés de fossés, certains s’égarent. Malgré l’enthousiasme initial des Limousins, l’artillerie adverse fait bientôt de gros dégâts, les canons français étant démontés, la plupart des chevaux sont tués ou blessés".
Nous restions sous une pluie d’obus telle que nos vieux troupiers disaient n’en avoir jamais vue de pareille
L'historien Philippe Grandcoing indique que les limousins ont tenté plusieurs fois de reprendre le village, en vain, sous le feu d'une artillerie bien supérieure en nombre et et d'une infanterie solidement retranchée. La retraite s'effectue dans le plus grand désordre, de nuit et sous le neige.
Dès 1873 un mémorial sera érigé à Lumeau pour célébrer la bravoure des soldats limousins et remercier les habitants du village qui avaient prodigué des soins aux blessés.
Le 9 décembre, ce qui reste du 71ème mobile est attaqué à Chambord par des soldats d'un régiment de la Hesse. Une centaine de Français sont faits prisonniers. Les autres rentrent à Limoges. Le voyage en train dure deux jours et deux nuits.
A Limoges, les soldtas ne recoivent parfois pas l'accueil escompté. Il faut dire que parallèlement à la guerre, partout en France les mouvements sociaux viennent se greffer sur l'effort de guerre. La Commune de Paris va éclore et essaimer dans d'autres villes françaises dont Limoges.
Pour Philippe Grandcoing "L'heure est aux polémiques. Pour une partie de l'opinion publique, les soldats n'ont pas fait preuve de la bravoure escomptée et on les soupçonne de lâcheté" ... "les critiques portent aussi sur le commandement. Les officiers appartiennent au monde des notables , beaucoup sont catholiques et conservateurs, et la gauche républicaine les soupçonne de ne pas se montrer d'ardents patriotes".
A Limoges, le doute sur la guerre, la solidarité avec les soldats
Mais pour Laurent Bourdelas, cela n'empêche pas la mobilisation d'un grand élan de solidarité de la part de la majorité des habitants de Limoges. Une ambulance est envoyée sur le front pour suivre les soldats, des centres de soins sont installés en ville, une infirmerie à la gare pour les premiers soins, et des souscriptions sont ouvertes.
Le 31 décembre, le régiment reconstitué repart pour le Mans, puis vers Laval, aux confins de la Bretagne et de la Normandie jusqu'à la fin de la guerre.
Le 18 janvier 1871, les États allemands s'unissent et proclament l'Empire allemand, dans la grande Galerie des Glaces, au château de Versailles. Un premier armistice est signé le 26 janvier 1871, puis un traité de Paix mettant fin à la guerre le 10 mai 1871.
Un monument pour célébrer les soldats de 1870 ... trente ans après
En 1892, un comité est constitué à Limoges pour honorer les soldats des deux bataillons du 71ème Mobiles de la Haute-Vienne morts pour la la patrie pendant la guerre de 1870. Une souscription est ouverte pour la réalisation d'un monument.
En août 1899, le monument constitué de des sculptures en bronze d’Adolphe Thabard est installé à l’angle de la place Jourdan et de l’avenue de la Gare. Il est inauguré le 1er octobre.
Au dessus du blason de la ville et des armes de Saint-Martial on peut y voir une jeune femme limousine en coiffe et en sabots aux allures de Mariane tenant un drapeau et entraînant trois soldats et un officier dans un geste ample et dynamique.
Aujourd'hui tous les habitants de Limoges passent à côté de ce monument. Peu d'entre eux le voient ou connaissent encore l'histoire qu'il raconte.
A la mairie de Limoges, une plaque rend également hommage "aux mobiles de la ville morts pour la patrie". Un petit monument qu'il faut chercher avec attention : il est presque caché dans le hall d'accueil, à gauche sous le grand escalier d'honneur.