"La situation est intenable aux urgences du Centre hospitalier de Limoges", les mots sont du directeur adjoint par intérim qui dit entendre la colère et l’exaspération du personnel soignant. Jean-Christophe Rousseau, annonce pour l’occasion l’ouverture "tout de suite de 5 à 6 lits" pour parer au plus urgent. Mais à l’évidence ce n’est pas assez.
"A boire, à boire", c’est le cri entendu toute la nuit du lundi 28 mars 2022 aux urgences de Limoges, se souvient un patient rencontré dans le service ce mardi matin. "Il y a des personnes âgées qui réclament à boire toute la nuit, confie ce patient, et comme les infirmières ne peuvent pas être partout, regrette ce patient, ça s’éternise. On se croirait dans un dispensaire", plaisante à peine le patient.
Ce sont des images absolument surréalistes, avec des couloirs des urgences totalement encombrés par des brancards et encore, à l'heure à laquelle nous réalisons notre reportage, la situation est presque calme rapporte le personnel soignants.
Lundi et mardi matin, environ soixante-dix patients se retrouvent en même temps dans le service, alors qu'il n'y a qu’une quinzaine de boxes pour les accueillir. "On a tout le couloir engorgé, témoigne Patricia, une infirmière, avec toutes ces personnes entassées, sans voir la lumière du jour, avec un seul WC, s’étrangle-t-elle. D’autres personnes sont en train d’arriver, elles vont être réparties là où il n’y a plus de place, donc c’est compliqué", lâche-t-elle dans un rire jaune.
Malgré toute la bonne volonté du personnel, les patients n'en croient pas leurs yeux lorsqu'ils arrivent aux urgences, et surtout lorsqu'ils doivent y rester plusieurs jours, faute de place dans les services hospitaliers où ils devraient être redirigés rapidement.
"Quand je suis arrivée hier matin, raconte l’une d’elle, j’ai cru que j’étais dans un autre monde. Parce que c’était totalement surchargé, il y en avait absolument partout dans les couloirs, et les infirmières ne savaient plus où mettre les patients."
Sa voisine de couloir rapporte le même témoignage : "C’était une ruche, fallait voir ça, tellement on étaient collés, avec des brancards partout. C’est pas croyable pour un pays réputé être l’un des plus riches du monde. C’est inimaginable. Le gouvernement doit faire quelque chose, parce que franchement, ça ne peut pas durer des situations comme celle-là." Elle est hospitalisée depuis trois jours, et elle n’est pas au bout de ses peines. "On va démobiliser les jeunes, s’exaspère cette patiente, et cela non pas par le numerus clausus, mais parce qu’au regard de la situation, ils vont réfléchir à deux fois, avant de venir dans ce métier, et ça c’est toujours très mauvais."
Deux lits plus loin, toujours le même récit, à quelques mots près : "Je suis arrivée hier soir, il était 23h, et ici c’était l’affolement, avec des lits partout. Avec des infirmières qui faisaient du gymkhana à travers les lits pour pouvoir faire les soins, c’était vraiment assez inadmissible parce qu’on n'a aucune intimité. Les gens sont collés les uns aux autres. Et je trouve que le personnel est vraiment exceptionnel, ils gardaient le sourire et le professionnalisme, avec des conditions pareilles qui ne sont pas admissibles à notre époque." Des personnels dévoués, mais souvent à bout de force, physiquement et psychologiquement. Leurs témoignages sont extrêmement forts et émouvants.
Honte de porter la blouse
Une première d’entre elle témoigne anonymement et c’est d’ailleurs elle qui a les mots les plus durs : "Moi personnellement, j’ai honte. J’ai honte de porter la blouse, j’ai honte de représenter l’hôpital public, quand je vois dans quelles conditions on accueille les patients. Quand on voit les regards effarés des gens qui arrivent au milieu de tout ça et qui se disent mais qu’est-ce que c’est que cette situation ? Et qui se rendent compte qu’ils vont devoir rester-là, ça me fend le cœur."
Une seconde aide-soignante, Elisabeth accepte de s’interrompre cinq minutes dans sa course folle pour dire sa fatigue, son écœurement. "Il y a de moins en moins de place dans les étages, c’est pour cela que les patients sont entassés ici", explique-t-elle.
Notre travail, on ne l’exerce pas en sécurité, ni dans le bien-être de nos patients. On est frustrés à ce niveau-là, on traite des patients avec de l’urgence, on n’est pas assez nombreux pour les traiter dignement.
aide-soignante, au CHU de Limoges depuis une dizaine d’année.
Venant d'un personnel la charge est rude : "On devient malveillants pour eux, et c’est irrespectueux", s’exaspère une infirmière. Il suffit de voir, il y a au moins soixante personnes sur des lits, les uns collés aux autres. Il n’y a pas d’intimité, et pour nous c’est invivable. Parce que quand on rentre chez nous, on n’est pas satisfait de notre travail. On fait de notre mieux avec ce qu’on nous donne. Mais à l’évidence, on ne nous donne rien, on n’a pas les locaux, il faut courir après le matériel, à un moment donné, ce n’est plus vivable."
La direction du CHU a bien conscience de cette situation. Elle nous a d'ailleurs autorisé la réalisation du reportage dans le service et nous a permis de recueillir tous ces témoignages. Comme un aveu, le directeur par intérim, Jean-Christophe Rousseau affirme que dix-neuf lits vont être rapidement ouverts pour désengorger les urgences.
"Ce qui se passe aux urgences n’est pas tenable pour les soignants, admet le directeur par intérim. Nous sommes en grande difficulté du fait de cet afflux de patients que l’on connait depuis ce week-end dans un contexte où on est encore très contraints sur le plan de nos capacités à hospitaliser des patients."
Cela dit, pour le directeur la situation s’explique par de multiples facteurs combinés : "le nombre de lits fermés, en raison aussi de l’absentéisme d’agents, ainsi que de difficultés à pourvoir les postes vacants", liste le directeur adjoint. "Cette situation n’est d’ailleurs pas spécifique à Limoges, tempère-t-il. C’est une situation que connaissent tous nos collègues sur le territoire national."
Annonces
"On va pouvoir ouvrir de nouveaux lits dès ce mardi après-midi pour accueillir les patients, dix-neuf au total", lâche le directeur par intérim, "mais on ne va pas pouvoir faire entrer dix-neuf patients d’un coup, parce qu’il faut organiser leur prise en charge dans ce service d’hospitalisation, mais c’est déjà une première réponse. A hauteur de 5 à 6 lits dès ce mardi et puis le même nombre ce mercredi 30 mars et ainsi de suite."
"C’est en SSR gériatrie que ces patients seront accueillis, pour les patients gériatriques relevant de ce type de prise en charge. En complément, des lits sont proposés aussi dans les services plus aigus, à la faveur de sortie de patients qui s’opère de façon plus rapide que prévu initialement", rassure Jean-Christophe Rousseau.
La polyclinique Chénieux appelée à la rescousse
"On a également sollicité la polyclinique de Limoges qui a des lits disponibles pour pouvoir accueillir des patients rapidement", admet le directeur par intérim.
Une dizaine de lits supplémentaires seront prochainement disponibles dans d'autres services du CHU et la polyclinique de Limoges se serait engagée à accueillir, elle aussi, une dizaine de patients.
"La situation est très dégradée pour les patients qui sont mal pris en charge, malgré le dévouement de nos professionnels. Les conditions de travail pour ces professionnels, on en a bien conscience aussi, sont très dégradées ", reconnaît volontiers le directeur adjoint du CHU de Limoges.
A celles et ceux qui s’impatientent, Jean-Christophe Rousseau affirme que "l’hôpital a également sollicité les agences d’intérim pour renforcer les moyens infirmiers, d’aides-soignants, aux urgences, pour faire face à ce nombre élevé de patients. Mais on a bien conscience de cette situation, qui ne peut pas s’inscrire dans la durée."
Projets
"Donc on a le projet au CHU d’accroître notre capacité de lits en gériatrie. Cet été, on pourra ouvrir 10 lits supplémentaires. On est tributaire de la sortie de la nouvelle promotion d’élèves infirmiers cet été pour pourvoir tous nos postes d’infirmiers vacants aujourd’hui."
Pourquoi les fermetures de lit ?
"Le problème n’est pas budgétaire, réaffirme le directeur par intérim, il est plutôt au niveau de la démographie médicale et paramédicale depuis deux ans à peu près. Avec des difficultés à pourvoir les postes vacants. Conjugué à cela, l’absentéisme plus important que ce que l’on connaissait durant les années antérieures, du fait de la Covid", conclut amer le directeur par intérim.