"Je suis aveugle de naissance, mais voilà 26 ans que je fais du vélo" : dans ce club, les malvoyants peuvent rouler en toute liberté

Depuis près de quarante ans, être malvoyant n’empêche pas de faire du vélo à Limoges ! Enfin, du tandem plus précisément. Né de l’initiative d’une association caritative, le Limoges Tandem Club compte aujourd’hui près d’une quarantaine d’adhérents, dont la moitié voit, les pilotes, et l’autre ne voit pas, les copilotes.

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"Je n’avais jamais touché à un vélo, et pour cause, je suis aveugle de naissance ! Mais je me suis dit : pourquoi pas faire du tandem ?"

Sa cécité, Claudine vit avec depuis plus de soixante ans, mais ce n’est pas ça qui va l’empêcher de foncer. D’ailleurs, "même dans la rue, avec ma canne blanche", avoue-t-elle en riant… Alors quand une amie lui a parlé de cette initiative, il y a près de vingt-six ans, ni une ni deux, elle a contacté le club. "J’ai pris rendez-vous, ils m’ont expliqué le fonctionnement, et j’ai fait un test. Et depuis, je n’ai pas arrêté."

Une initiative caritative

Le projet a germé, en 1984, dans l’esprit des membres du club limougeaud des Kiwanis. Associés, à l’époque, avec l’association Limoges Loisirs, ils ont voulu proposer à des non-voyants, aveugles ou malvoyants, de pouvoir tout de même pratiquer le cyclisme, avec cette idée toute bête, mais géniale : le faire en tandem, avec un pilote, forcément voyant, devant, et un copilote, qui lui ne voit pas, derrière, mais qui pédale de même.

Quelques tandems de trouvés, quelques bénévoles en guise de pilote, et roule ma poule, l’aventure était lancée. Des bénévoles pilotes essentiels, puisque sans eux, rien ne fonctionnerait.

Et parmi les actuels, Jean-Baptiste, à la fois pilote, trésorier et doyen du club, à l’âge de 85 ans ! "Quand je suis parti à la retraite, je me suis dit qu’il fallait que je donne du temps aux autres, comme j’allais en avoir beaucoup. Les dirigeants de l’époque m’ont donné le goût de le faire, et depuis, je suis resté. Cela fait 26 ans, comme Claudine. D’ailleurs, elle avait fait son test avec moi."

Depuis, les associations d’origine se sont désengagées, mais il y avait suffisamment de membres pour que le club perdure. Et c’est ainsi qu’est né, en 2004, le Limoges Tandem Club (LTC).

On compte aujourd’hui une quarantaine de membres, dont dix-huit non-voyants et un malentendant côté handicapés. "On le met avec nous, les aveugles. Et oui, nous, on dit aveugle, on s’en fiche", avertit Cyrille Durand, le président, qui est copilote. "Enfin, si ça gêne certains, on s’adapte. Moi, ça m’est arrivé à 36 ans, à cause d’une maladie. C’est déjà dur, alors on ne va pas en rajouter avec un vocabulaire… Ça va, quoi."

Communication et coordination

Chaque week-end, et parfois même en semaine, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige (plus rare, mais c’est également valable pour les fortes chaleurs estivales), les tandems du PTC arpentent les routes de Haute-Vienne.

"On privilégie les petits axes bien sûr, pour la sécurité. Mais il n’y a pas de sécurité particulière, ni de voiture ouvreuse, ou balayeuse", prévient Cyrille. "On respecte les règles du Code de la route, on ne roule pas n’importe comment, et on s’en remet aux directives des pilotes."

À eux de veiller à la circulation alentour, de prévenir des arrêts, des dangers éventuels, ainsi que de la typologie du terrain qui s’annonce. "Lorsque l’on va tourner à droite, par exemple, je préviens mon copilote, et c’est lui qui l’indique, avec son bras, aux automobilistes. Si ça monte, j’annonce qu’il va falloir mettre du jarret, si ça descend, qu’on va souffler un peu. Idem quand je freine. J’annonce tout, enfin, si ça bosse derrière, sinon…", rigole Jean-Baptiste. "Le plus dur, c’est le départ et l’arrêt. Il faut être parfaitement coordonné, sinon, gare à la chute !"

Et ainsi les deux cyclistes de partir du même pied, le gauche, après un décompte à trois, et de s’asseoir simultanément sur leur selle. Idem pour l’arrivée, où il faut poser le pied pareillement ensemble. Dis comme cela, ça a l’air simple. "Ouais, enfin moi, la première fois, je suis tombé direct", avoue Cyrille Durand. "Mais vous savez ce qu’on dit, quand on tombe… Par contre, attention, c’est sportif hein, on ne fait pas dans la balade pépère. C’est soixante bornes minimum la sortie." 

Si certains aiment bien rouler ensemble, au gré des affinités développées, les couples ne sont pas fixes. "On n’hésite pas à changer, sur les tandems. Déjà, pour que tout le monde puisse se brasser, se croiser, et pour ne pas pénaliser un copilote si un jour son pilote ne peut pas venir", explique Cyrille. "Mais vous savez", renchérit Jean-Baptiste, "les malvoyants ont l’habitude d’être aidés, donc ils font confiance tout de suite". Et Claudine d’opiner : "ah ben, c'est comme en voiture, hein, si on veut rouler, faut faire confiance, parce que ce n’est quand même pas nous qui allons conduire !" [rires]

Liberté et convivialité

"Vous savez, quand on est aveugle, qu’on le soit de naissance ou plus tard, on se sent terriblement isolé. Et c’est pire pour le sport. On peut en faire, mais ce sont surtout des sports d’intérieur. Là, la sensation de faire du vélo, la sensation de la vitesse, certes avec un pilote, c’est un plaisir énorme. C’est une quasi-renaissance !" Cyrille Durand ne cache ni sa joie de pratiquer, ni sa fierté de contribuer à ce que d’autres pratiquent. "C’est une liberté incroyable de pouvoir faire du sport. Pour moi, c’est très important, c’est très agréable", ajoute Claudine.

D’autant que sur le vélo, la conversation ne s’arrête pas qu’à la bonne marche. "On parle des paysages que l’on traverse, des couleurs sur les arbres par exemple. On parle de tout en fait, on papote, enfin quand on peut", dit Jean-Baptiste. "Moi, j’adore quand c’est l’automne. Avec ce que me dit le pilote, j’ai l’impression de le voir !" confirme Claudine.

D’autant que si le sportif compte, la philosophie du club va bien au-delà. "C’est notre devise : sport, détente et convivialité", explique Jean-Baptiste, "et on y tient beaucoup. En plus, la particularité de notre club, c’est que l’on va chercher les gens chez eux. On les amène au lieu de rendez-vous, on fait notre sortie et après, on les ramène. Ça, c’est un vrai atout pour eux, ça leur permet de ne pas être dépendants plus qu’ils ne le sont. Et comme ça, on est devenu une famille."

"Moi", dit Claudine, "j’ai soixante-sept ans. Mais et pour le bonheur de faire du vélo, et pour le bonheur d’être avec eux, si j’avais un conseil à donner à une petite jeune, ou un petit jeune, c’est essaie, fonce, n’ai pas peur et surtout, n’hésite pas !"

On a bien flippé, mais on a adoré !

Et l’auteur de ces lignes, qui était également le journaliste du reportage, de confesser qu’il avait promis au LTC d’essayer, justement. Et que le caméraman, le journaliste reporter d’images comme on dit dans le jargon, histoire de ne pas être en reste, itou. Et que les deux zigotos n’ont eu de cesse que de reposer des questions, de faire retourner quelques plans supplémentaires…

Bref, de faire traîner les choses. Mais chose promise, chose due ! Et il faut avouer qu’on a bien flippé, mais que l’on a adoré.


Jean-Baptiste et Claudine avaient raison : on ne peut que faire confiance. Une fois ceci comprit, et l’étrange sensation d’être totalement désorienté domptée, arrive une incroyable sensation de plénitude, de calme, le vent dans les oreilles, la banane accrochée au sourire.

C’est tout vu : le Limoges Tandem Club, pédaler avec, c’est l’adopter !

durée de la vidéo : 00h03mn03s
Depuis près de quarante ans, être malvoyant n’empêche pas de faire du vélo à Limoges ! Enfin, du tandem plus précisément. Née de l’initiative d’une association caritative, le club compte aujourd’hui près d’une quarantaine d’adhérents, dont la moitié voit, les pilotes, et l’autre ne voit pas, les copilotes. Intervenants : 1/ Claudine Mesmin, copilote au Limoges Tandem Club depuis 26 ans 2/ Jean-Baptiste Garot, pilote, trésorier et doyen du Limoges Tandem Club 3/ Cyrille Durand, copilote et président du Limoges Tandem Club Équipe : JM Jonquard, N Chigot, S Passelergue ©France Télévisions
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