La centaine de personnes qui squattent une ancienne usine désaffectée de Limoges sont menacés d'expulsion. Depuis le 17 juillet, ils avaient 2 mois pour quitter les lieux, mais ils veulent rester, car "ils y sont bien", en attendant de trouver mieux. Comment vivent-ils la situation sur place ?
L’endroit est propre, un parfum de légumes plane dans l’air, la cuisine est l’univers des femmes et des hommes. Elles sont algériennes, pour la plupart, marocaines, ou encore guinéennes. On en oublie presque que l’on est dans un squat. Les anciens bureaux d’une usine désaffectée en plein centre de Limoges situés avenue de la Révolution grouillent d’enfants. Certains jouent à l’ombre, d'autres se relaient dans une salle aménagée pour un atelier peinture. Ici on rit, on crie, on joue. L’insouciance de l’enfance, la joie de vivre dans un lieu presque habitable. « On essaie d'opposer de la joie à la honte », murmure une bénévole.
Nora est marocaine. Elle a deux enfants de 7 et 5 ans, le premier est en CE1 et le second est en grande section. « C’est une excellente cuisinière » dit d’elle Véronique, une bénévole de l’association Chabatz d’entrar. Nora prépare une quiche et des baklavas une spécialité de chez elle.
Ce jour-là, les femmes préparent le repas pour la cantine du soir. Les habitants du squat y mangent gratuitement, les personnes venant de l'extérieur donnent ce qu'ils peuvent », explique une bénévole. Ici tout le monde met la main à la pâte. Les rires habitent une cuisine presque ordinaire. Un évier aménagé, une gazinière, un four, un grand frigo, des placards, une grande table, du mobilier de récupération.
Les conversations sont ponctuées de rires. Ghania et Fatma viennent toutes les deux de Mostaganem en Algérie, elles devisent au-dessus d’une poêle de légumes, où mijotent des courgettes, beaucoup d’oignons. Fatma est en France depuis 4 ans maintenant, elle aimerait travailler pour subvenir aux besoins de ses enfants.
Derrière elle, Fatiha est affairée, toute discrète. Elle prépare également une quiche au thon. Elle vient d'Annaba, une région du Nord Est algérien. Elle est en France, à Limoges, depuis 3 ans, et elle aussi a hâte de pouvoir trouver un emploi. A côté d'elle, Nassira est curieuse. Elle s'inquiète un peu de notre présence. « Je vis en France depuis 2015 », articule-t-elle. Une fois les présentations faites, elle s'empresse d'envelopper soigneusement une galette qu'elle a elle-même préparée pour nous la tendre avec un grand sourire. Elle a deux enfants, âgés de 20 et 19 ans. Le premier prépare un BTS, le second est en CAP électricité. « Ça se passe très bien, hamdullah, grâce à Dieu, ponctue-t-elle. On se retrouve ici tous les mercredis pour des ateliers cuisine. On fait également des ateliers couture ». « C'est toujours très convivial », se satisfait Véronique.
Rodrigo* lui vient du Chili. Très observateur, il regarde faire, avant de prendre congé. Mhamed* est assis sur une chaise en bois, avec une bassine jaune remplie de tartare avec lequel il fait des boulettes. Il acquiesce, sourit, ses yeux narrent une histoire qu'il racontera peut-être un jour. A l'autre bout de la salle, se dresse une grande bibliothèque qui déborde de livres fatigués. Dehors, sous un grand hangar, des hommes parlementent sur des canapés de récupération. Le sourire est un bonjour offert. La chaleur est assommante. Leur journée est une longue attente. Ce mercredi 16 septembre, le collectif des migrants a manifesté devant la préfecture de la Haute-vienne pour demander un titre de séjour.
« Un huissier doit passer à partir d'aujourd'hui, raconte Angèle de l'association Chabatz d'entrar. Il doit signifier au collectif de migrants qu'il doivent quitter les lieux, comme le précise le jugement, et cette situation angoisse tout le monde sur place. Le préfet a deux mois pour faire partir les gens, la question qui se pose est de savoir si il va faire ou non usage de la force ». Ce qu'il faut également savoir, ajoute la bénévole, c'est que « les enfants sont tous scolarisés, et la menace de l'expulsion, fait croire aux enfants qu'ils vont devoir changer d'établissement, ce qui serait vraiment cruel ».
Le squat appartient à une filiale de Vinci, appelé Speed Rehab. Selon Me Blandine Marty, qui est avocate du collectif des migrants, le propriétaire est en droit de demander au préfet d'expulser ses clients. Mais pour elle, dans le contexte de crise sanitaire, je ne pense pas que le préfet va ordonner l'expulsion ». C'est en tout cas ce qu'elle espère. Un répit qui pourrait démarrer dès le 1er novembre date de la trêve hivernale qui court jusqu'au 31 mars. « Notre souhait, complète-t-elle, c'est que les choses ne se passent pas dans la brutalité ». Au cas où la force publique déciderait quand même de procéder à l'évacuation du squat, Me Blandine Marty affirme qu'elle pourrait à ce moment-là saisir le juge de l'exécution pour obtenir un délai supplémentaire.
Contacté, l'avocat du propriétaire des lieux, Me Bourguignon Béranger est resté injoignable.
*Prénom d'emprunt