Nous avons pu passer une journée complète avec eux, assister à leurs cours, mais aussi à leurs échanges joyeux et savoureux. Depuis 1999, le Centre d'Économie et de Droit du Sport, le CDES créé lui en 1978, propose une formation dédiée aux anciens sportifs et entraîneurs : le D.U. de Manager général de club sportif professionnel. La 13ᵉ promotion est actuellement réunie à Limoges pour trois jours.
"Vous êtes venus jusqu’à Limoges… Bravo et merci…" L’assemblée rit. Il faut dire que certains ont traversé la France pour rejoindre la ville du CDES. Le hockeyeur Clément Masson a fait sonner le réveil à 4h30 du matin pour partir de Chamonix et arriver à l’heure en cours ce lundi matin, Camille Aoustin, joueuse de handball, a dû faire étape à Paris pour couper le trajet entre le Nord et la cité porcelainière.
Mais à 11 heures tapantes, les dix-neuf anciens sportifs ont pris place autour d’une grande table en U dans la salle de conférences du tiers-lieu limougeaud "Le Peuplier", carnet de notes en main, ou ordinateurs portables allumés, prêts à écouter les cours qui vont s’enchaîner trois jours durant.
En préambule, Jean-Pierre Karaquillo, créateur du Centre de Droit et d’Economie du Sport, figure indissociable de ce diplôme dont il est également à l’origine, leur rappelle leur devoir d’étudiant : "N’oubliez pas, ici ce n’est pas l’auberge espagnole, vous avez été sélectionnés sur des critères d’humilité et de loyauté qui nous sont chers."
Un diplôme très demandé
La 13e promotion du D.U. (Diplôme Universitaire) de Manager Général de club sportif professionnel a été constituée il y a quelques mois. Les sportifs ont été choisis par un jury composé d’universitaires, de membres du CDES et d’anciens diplômés. Les dix-neuf candidats ont été sélectionnés parmi une soixantaine de candidatures. Quarante autres dossiers avaient préalablement été écartés, car ils ne correspondaient pas aux critères de sélection, à savoir justifier d’au moins cinq années d’expérience en tant que sportif ou entraîneur professionnel dans l’une des huit disciplines suivantes : basket, cyclisme, foot, hand, hockey, rugby, rugby à XIII et volley.
Et cette nouvelle promotion compte au moins un représentant de chacun de ces sports : pour les plus connus, Laurent Koscielny ou Jérémy Clément en football, Aurélien Rougerie, Fulgence Ouedraogo ou Jonathan Wisniewski pour le rugby, Céline Dumerc pour le basket.
Ensemble, ils entament en cette mi-janvier, leur 3e session de cours, sur douze prévues jusqu’en 2025. Au menu du programme limougeaud : "Organisation institutionnelle et gouvernance des clubs professionnels." Jean-Christophe Breillat, avocat au CDES, est aux manettes : "Le but général de cette session c’est de vous présenter l’environnement institutionnel du sport professionnel, que vous ayez une idée de qui est qui et qui fait quoi, et notamment étudier les relations entre les ligues et les fédérations."
Le prof du jour entre alors dans le vif du sujet : organigrammes et schémas en tout genre, l’organisation et le cadre juridique des institutions sportives françaises sont passés à la loupe. Dans la salle les questions fusent. L’ancien racingman Jonathan Wisniewski demande : « Si un club de Nationale accède à la Pro D2, faut-il rester en association ? ». L’ex-footballeuse professionnelle Siga Tandia questionne : "C’est quoi le rôle et le poids de l’UFSP (Union des Fédérations de Sports Professionnels) ?"
Gagner en légitimité et en compétences
Si ces élèves hors du commun sont si attentifs et concernés, c’est que ce que Jean-Christophe Breillat leur expose résonne avec leur quotidien. Car un certain nombre d’entre eux sont déjà en postes, en club ou dans une institution de leur sport. C’est le cas d’Aurélien Rougerie, joueur emblématique du XV de France (76 sélections) et de l’ASM. « Après ma carrière de joueur, j’ai passé quelque temps dans le noir à Clermont. On m’avait donné un bureau, un ordi mais c’est tout… Alors j’ai pris mon mal en patience. » Puis le club clermontois, lui donne de plus en plus de responsabilités jusqu’à le nommer Team Manager, et lui faire intégrer le « Big Five », sorte de comité de direction. Désormais, sa participation au D.U. lui permet de gagner en légitimité et en compétences. « Le but c’est de valider mes acquis, de trouver une méthodologie pour mettre en application mes missions. Cette formation me permet d’étudier concrètement ce que je vois au quotidien. »
Même constat pour Laurent Koscielny, actuel entraîneur des U17 au FC Lorient et qui passe, parallèlement à la formation du CDES, un BEF, Brevet d’Entraîneur de Football. « Ce diplôme m’apporte un plus en tant que coach. Et puis, plus tard, je ne sais pas si je me tournerai vers le coaching ou un poste de directeur sportif. J’essaie de m’ouvrir à tout. En travaillant en parallèle dans un club, on met tout de suite en pratique ce qu’on a appris, et on voit tout de suite les exemples concrets.»
Les garants du projet sportif dans les clubs
De plus en plus, les clubs professionnels français s’appuient sur leurs anciens sportifs. D’ailleurs, ils sont un peu à l’origine de la création du diplôme dispensé par l’Université de Limoges. « C’est une formation qui a été créée à la demande des partenaires, des ligues, des fédérations, de basket, de foot, de rugby. Ils nous ont dit ‘On a besoin de reconvertir nos sportifs. On leur propose des postes mais il faut les former car ils n’ont pas les outils’ » raconte Jean-François Brocard, économiste et directeur de la formation.
Une idée qui, depuis 1999, a porté ses fruits. Aujourd’hui le D.U. Manager Général s’est installé dans le paysage sportif et il bénéficie d’un excellent bouche à oreille. Beaucoup des membres de cette 13e promotion ont des amis ou anciens coéquipiers qui sont passés par la formation du CDES. Et dans les clubs, les bénéfices s’en font sentir aussi, parce qu’avec l’émergence des Managers Généraux, les modes de fonctionnement internes changent.
« L’intitulé du diplôme c’est Manager Général, mais c’est un terme très large, c’est volontaire, explique Jean-François Brocard. On veut former des gens qui pilotent le projet des clubs, qui se situent entre la direction et le sportif. Il faut éviter que les clubs reposent sur le seul duo entraîneur / président, parce que le président, il n’a pas le temps et l’entraîneur, il n’est là que sur le court terme. Eux, ils doivent être les garants du projet. »
À ces postes de manager généraux, ils ont la légitimité sportive et le diplôme permet de développer et de valider des compétences.
Jean-François BrocardDirecteur de la formation et économiste au CDES
Tromper la "petite mort"
Les clubs y trouvent leur compte et les étudiants du D.U. aussi… Pour ces ex-sportifs, acquérir une telle formation au sortir de leur carrière de joueuses ou de joueurs, c’est une aubaine. Pour ces « jeunes retraités » la période est toujours délicate à gérer. Clément Masson, unique hockeyeur de la promotion, s’est ouvert plusieurs voies pour son après carrière, dont celle de Manager général : « Dans mon sport, on est obligés de penser à notre reconversion assez tôt. Plus que dans certains sports. Mais ce n’est pas pour ça qu’on sait ce qu’on va faire derrière. L’idée c’est d’avoir un bagage en plus pour ma reconversion. Il n’y a que douze clubs (de hockey sur glace, en Ligue Magnus, NDLR) donc les postes sont très chers. »
Si j’arrive à avoir un job, un salaire, tout en restant dans le hockey, c’est parfait.
Clément MassonHockeyeur-sur-glace
Capitaine emblématique de l’équipe de France féminine de basket, 262 sélections chez les Bleues, Céline Dumerc affiche l’un des plus beaux palmarès de son sport en France : championne d’Europe, médaillée d’argent aux JO, sept fois championne de France. Mais à 41 ans, elle a dit au revoir aux parquets à la fin de la saison dernière. Elle est aujourd’hui directrice sportive de Basket Landes, intervient auprès de l’équipe de France de basket féminine, et est consultante pour France Télévisions. Au sujet de sa retraite sportive, Céline Dumerc confie : « J’ai eu de l’appréhension bien sûr, parce que c’était comme une petite mort, et oui je la vis un peu cette petite mort mais le fait de faire beaucoup de choses, fait que je la vis bien. »
"C'est les footeux, ça..."
Entre deux chapitres de cours, la pause-déjeuner se fait bienvenue. Le plaisir de se retrouver se lit dans les regards, et le don inné des sportifs pour se chambrer se fait entendre. Assis côte à côte Camille Ayglon-Saurina, ancienne internationale de handball (270 sélections, championne du monde en 2017, championne d’Europe en 2018) et Laurent Koscielny, défenseur de l’équipe de France de football entre 2011 et 2018, s’envoient des piques, en toute bienveillance, dès que l’occasion se présente. Quand Camille raconte une piteuse expérience de soccer où elle a manqué de peu de se blesser, Laurent réplique : « C’est parce que t’avais mis de la colle sur le ballon, non ? » En réponse, la jeune femme tacle l’ancien joueur d’Arsenal sur son imposante et luxueuse voiture garée sur le parking : « C’est les footeux, ça, nous (les handballeuses) on vient en Clio ou en Dacia, plaisante-t-elle. »
Mais au-delà de la blague – récurrente au sein de la promotion - sur les moyens des footballeurs, la rencontre de ces anciens sportifs est justement l’occasion pour les uns et les autres de prendre conscience des disparités qui existent dans le sport. « Les footeux sont sur une autre planète par rapport à nos réalités économiques, explique dans un sourire Camille Ayglon-Saurina, dans le hand féminin, le manque de moyens économiques fait qu’il faut être intelligent, trouver des solutions : l’enjeu est passionnant. »
Et c’est bien cette question qui a poussé l’ancienne internationale, à candidater au D.U. du CDES : « Dans notre ligue, il y a beaucoup de structurations à faire et j’aimerais apporter ma pierre à l’édifice. Avec cette formation, j’aurai le bagage pour. »
Il y a l’idée de rendre à mon sport ce qu’il m’a apporté. J’ai envie d’aider le monde du hand, notamment féminin.
Camille Ayglon-SaurinaAncienne internationale de handball
Un groupe qui tisse des liens
Au moment du dessert, les uns échangent sur les plus chaudes ambiances vécues dans les salles ou les stades, d’autres parlent de leur aversion pour les pâtes après dix-sept ans de régime alimentaire sportif. Que les sujets soient futiles ou sérieux, tous apprécient ces échanges enrichissants entre anciens sportifs de haut-niveau, de différentes disciplines. Le directeur confirme : « Il y a une forme de complicité, c’est un petit groupe qui tisse des liens. C’est bien également, car avec les anciens diplômés, il y a un réseau qui se construit et qui peut les aider dans leurs nouvelles carrières, résume Jean-François Brocard. »
14h06. Retour en salle de conférence. Le chapitre, complexe, sur les relations entre ligues et fédérations s’ouvre. Le juriste du CDES, Jean-Christophe Breillat, évoque d’anciens exemples de friction entre les instances sportives, comme le projet de fusion entre le Stade Français et le Racing Métro 92 : le 17 mars 2017 la LNR, la Ligue de rugby décide de reporter les matches de ces deux clubs, prévus le lendemain, le 18 mars. Une décision annulée, par la FFR… le 22 mars. Autrement dit, la FFR a donc décidé d’annuler le report de matches du 18 mars, qui de fait, étaient déjà reportés puisque cinq jours s’étaient écoulés depuis… Au récit de cette anecdote absurde, la salle rit. Les rugbymen lancent : « On a des valeurs nous ! On réfléchit, nous ! » Nouvelle salve de rires…
La première journée de cette 3e session du diplôme s’achève par l’intervention de la responsable juridique de la Fédération française de handball, Gwenhaël Samper. L’exposé de l’organisation de sa fédération et de ses relations avec la ligue professionnelle sont particulièrement intéressants et permettent aux étudiants de découvrir un exemple concret. Nombre d’intervenants du monde sportif professionnel sont programmés tout au long de leur formation. Au cours de la session limougeaude, le président du Toulouse Football Club, Damien Comolli, le directeur général de l’Olympique Lyonnais Féminin, Vincent Ponsot ou encore le responsable RH et juridique de la JDA Dijon, Yoann Petit, doivent venir à la rencontre de la promotion. « Les rencontres avec les intervenants, diplômés ici pour certains, sont très enrichissantes. Ils ont des postes de responsables, on peut facilement se référer à leurs parcours, se projeter » apprécie Laurent Koscielny.
Fin de la journée ou plutôt fin des cours. Car tous se retrouvent une petite heure après, à la Maison Bernardaud pour la présentation officielle de la 13e promotion, devant les partenaires, les élus. Un rendez-vous important et symbolique car ils ne viennent qu’une fois par an à Limoges, au cours de leur formation qui dure deux ans.
Cette année, les prochaines sessions se tiendront dans différents lieux en France, aux Girondins de Bordeaux ou au Biarritz Olympique, entre autres. Pour les 19 anciens sportifs, ces blocs de cours leur permettront d’alourdir encore plus leur bagage, et de continuer à nouer des liens dans cette aventure qui les accompagne vers une nouvelle page de leurs vies.