Procès de la catastrophe de Brétigny : qui est responsable de quoi ?

Pendant deux jours, le Tribunal correctionnel d'Evry dans l'Essonne cherche à comprendre comment fonctionnent et sont financées les deux sociétés SNCF et SNCF Réseau (ex Réseau Ferré de France). Un imbroglio conventionnel, juridique et financier qu'il est important de dénouer pour mettre le doigt sur les responsabilités de chacune.

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La présidente du tribunal correctionnel d’Evry cherche à comprendre comment fonctionnent la SNCF et l’autre société, SNCF Réseau, gestionnaire de l’entretien et du renouvellement des voies. Il convient de cerner qui fait quoi et qui est responsable de quoi et le rôle de l'Etat dans leurs situations financières. Or, c’est une véritable nébuleuse qui s’est dessinée au fil des restructurations, réformes, réglementations européennes et politiques des gouvernements français. La présidente Cécile Louis-Loyant a souhaité avertir les victimes « Nous allons être loin, très loin du drame du 12 juillet 2013 mais le tribunal doit comprendre le contexte historique, juridique, financier et réglementaire dans lequel ont évolué les deux sociétés SNCF et SNCF Réseau »

La société nationale des chemins de fer français ayant été créée en 1938 et Réseau ferré de France en 1997, les parcours historiques jusqu’à la réunification des deux sociétés en 2015 sont assez indigestes. Pour rendre cela plus attractif, la présidente a diffusé ce mardi 16 vidéos pendant 45 minutes, reprenant des reportages d’Antenne 2 et de FR3 sortis de l’INA. On y voit notamment l’arrivée en 1960 du capitole Austerlitz-Limoges-Toulouse, le lancement du TGV en 1981 sur la ligne Paris Lyon à 380km/h, la transformation de la SNCF en EPIC (établissement public industriel et commercial) le 1er janvier 1983... pour être aujourd’hui et depuis 2020 une société anonyme à capitaux publics.  

En 2013, année de la catastrophe, la société dénommée aujourd'hui SNCF Réseau depuis le 1er janvier 2015, est la Société Réseau ferré de France (RFF) depuis sa création en 1997 par scission de la SNCF. Il s’agissait pour l’État français de libérer la SNCF du poids de sa dette tout en maintenant l’ensemble des cheminots au sein de la société historique. Quant à la maintenance, elle est à l'époque assurée par SNCF Infra. Difficile de rester sur les rails pour comprendre cette organisation où s’entremêlent des conventions entre l’une et l’autre. À tel point qu’après deux heures d’audition de Robert Mathevet, le représentant de la société SNCF réseau s’exprimant d’une voix posée avec la volonté d’être explicite, Maître Philippe Clerc, du Barreau de Limoges, l’interpelle à la barre pour lui demander « au final, je n’ai toujours pas vraiment compris votre métier, SNCF réseau s’occupe de quoi exactement ? » Pour résumer, on comprend que SNCF réseau est propriétaire d’un actif, les 28000km de voies, et qu’elle ne fait que gérer les ressources, à savoir d’une part les péages facturés aux entreprises ferroviaires qui roulent sur ces voies et, d’autre part, les subventions de l’Etat pour la circulation de ses trains (pour le compte des régions depuis la réforme de la décentralisation en 2002), à charge pour elle de gérer le budget de maintenance et de développement. Il s'agit d'une mission uniquement de gestion qui exclue de fait l’opérationnel. « Mais étant propriétaire des voies, vous ne vous souciez pas de la sécurité de ces voies ? » questionne encore Maître Philippe Clerc, Avocat de six parties civiles en Haute-Vienne. Pour le représentant de SNCF Réseau, leur position est claire, « la sécurité est du ressort de la SNCF qui prend les mesures conservatoires chaque fois que c’est nécessaire, nous en prenons acte, on n'a pas de responsabilité opérationnelle et ce n'est pas avec 1500 agents qu'on aurait pu le faire vu le nombre de km de voies en France »  Le représentant de la Société nationale SNCF, Alain Autruffe, indique quant à lui qu'il y avait eu des "renoncements d'investissements sur l'entretien, mais jamais sur la substance des voies de la ligne Paris-Orléans". 

Pour comprendre pourquoi et comment le laisser-aller s'installe à partir de 2005 pour l'entretien et le renouvellement des voies, il faut aussi que les débats portent sur la partie financière de ces deux sociétés, sur leurs ressources. 

Pour l’association des victimes de Brétigny, l’attente de ce procès est de voir ces deux sociétés déclarées certes responsables  « comme Guillaume Pépy, Président de la SNCF en 2013, nous l’a annoncé au lendemain de la catastrophe, mais ce que l'on veut entendre à l’issue de ce procès c'est qu'ils soient déclarés coupables » souligne Jean-Luc Marissal, vice-président de l’association Entraide et défense des victimes de la catastrophe de Brétigny (EDVCB).  Une attente que partagent les autres victimes de Limoges, Vincent Roux, Philippe Gardès, tous deux cadres chez Legrand, légèrement blessés et surtout choqués par la tragédie, Brigitte Blondy et son époux, parents de Morgane 26 ans qui a succombé dans la tragédie, Suzanne Germiquet, veuve de Dan Germiquet 63 ans. Toutes et tous attendent de ces débats judiciaires comment on en est arrivé là ce 12 juillet 2013, veille d'un week-end de vacances où chacun rentrait dans l'insouciance estivale retrouver les siens.  

Car des fautes, il y en a, au vu de l'enquête. Pas moins de quinze comportements fautifs ont été relevés au cours de l'instruction à l'encontre des deux personnes morales, et quatre fautes caractérisées à l'encontre du cadre de maintenance. Des fautes et délits qui fondent leur renvoi devant le Tribunal correctionnel pour "homicides involontaires" et "blessures involontaires". L'accusation, représentée par le procureur Rodolphe Juy-Birmann, reproche à SNCF Réseau notamment "des fautes" ayant conduit "à l'absence de renouvellement anticipé" de la voie ou à "l'insuffisance des effectifs", ainsi que des défaillances "dans l'organisation, le contrôle et la réalisation des opérations de maintenance" à la Société nationale SNCF. La SNCF elle conteste le défaut de maintenance et affirme que jamais la sécurité n'a été mise en cause. Elle soutiendra tout au long du procès qu'à Brétigny ce 12 juillet 2013, il y a eu un "défaut de métallurgie rendant imprévisible l'accident. La SNCF n'a jamais prétendu que le système était parfait mais jamais au regard des difficultés rencontrées, la sécurité n'a été en jeu. La SNCF a communiqué des milliers de documents. Il n'a jamais été question de la part de la SNCF d'interférer de quelque manière que ce soit, ni de faire entrave à l'enquête" a affirmé l'Avocat de la SNCF alors que pendant l'instruction, les juges ont eu des doutes sur la bonne volonté de la SNCF de collaborer à l'enquête.

S'agissant de Laurent Waton, responsable de proximité, il lui est reproché d'avoir effectué un contrôle le 4 juillet 2013 "sans annonceur, contrairement aux règles, avec un niveau de diligence et d'attention manifestement insuffisant". 

Les contrôles se faisaient normalement de nuit mais de moins en moins de personnel voulait le faire. Ce 4 juillet, le cadre de maintenance contrôle la voie seul, alors que la procédure de sécurité impose d'être deux pour surveiller l'arrivée d'un train. Le fait d'être seul ne lui permettait pas, comme l'on souligné les experts, de se concentrer sur son contrôle, "sachant que les boulons et les éclisses ne sont pas toutes faciles d'accès pour un contrôle visuel" souligne Pascal Dubois, Avocat au Barreau de Limoges et représentant des victimes en Haute-Vienne

Les deux sociétés encourent pour homicides involontaires une peine d'amende de 225 000 € et de 7500 € pour blessures involontaires. La seule personne physique présente pour cette prévention est le responsable de proximité de 24 ans à l'époque, en charge de l'entretien des voies de la gare de Brétigny, risque lui trois ans d'emprisonnemen, 45 000 € d'amende pour homicides involontaires et 1 500 € d'amende pour blessures involontaires. A ces peines pénales encourues, se plaideront à la fin du procès les intérêts civils, à savoir les indemnisations que sont en droit de réclamer les 184 personnes morales et physiques qui se sont constituées parties civiles.

Le procès est prévu jusqu'au 17 juin 2022

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