Santé. Rémunération des médecins intérimaires : vers un mois d’avril tendu à l’hôpital ?

Le gouvernement appliquera, à partir du 3 avril, une loi qui va encadrer la rémunération des médecins intérimaires, souvent accusés d’être des "mercenaires". Mais cette décision pourrait perturber le fonctionnement de certains hôpitaux. Le point sur la situation en Limousin.

Cette évolution n’est pas anecdotique : à compter du 3 avril, un hôpital public qui versera aux médecins intérimaires des rémunérations supérieures à 1 170 euros bruts pour 24 h de travail ne sera plus remboursé par le comptable public. C’est ce que prévoit l’article 33 de la loi Rist, votée en 2021, mais jamais appliquée jusqu’ici, à cause de la crise du Covid.

Selon le directeur de l’Agence Régionale de Santé de Nouvelle Aquitaine, Benoît Elleboode, cette réforme a plusieurs objectifs : "Il faut empêcher les contrats très courts pour stabiliser les organisations, gagner du temps médical avec des médecins intérimaires qui devront travailler davantage, et éviter des déficits dans des hôpitaux liés à l’emploi des intérimaires."

Mais l’application de la loi pourrait poser problème dans certaines structures. En effet, les médecins intérimaires occuperaient actuellement 30 % des postes de praticiens hospitaliers, et tous ne sont pas prêts à accepter le plafonnement. S’ils ne viennent plus renforcer l’hôpital public, il peut y avoir un impact sur le fonctionnement de nombreux services, et même des fermetures de lits. Les spécialités qui nécessitent des gardes, comme la gynécologie, la médecine d’urgence ou l’anesthésie-réanimation, sont les plus sensibles.

Sérénité au CHU de Limoges

Y a-t-il un risque dans la région ? Au CHU de Limoges, vaisseau amiral du groupement hospitalier de territoire, la direction n’est pas inquiète. David Jourdan, directeur des affaires médicales, explique : "Cela fait plusieurs années que ces plafonds existent et que les directions peuvent s’y préparer."

Selon lui, il n’y a pas, au CHU, d’intérimaires rémunérés au-dessus du plafond, grâce notamment à la mobilisation des équipes en place : "On a des professionnels médicaux très attachés à la continuité des prises en charge, on fait très peu d’intérim. Les équipes médicales préfèrent faire plus d’heures supplémentaires plutôt que d’avoir des intérimaires qui connaissent mal la structure." Mais David Jourdan précise : "Plus vous êtes éloignés d’un grand centre, plus vous êtes en difficulté."

En effet, la situation semble moins confortable dans les hôpitaux périphériques. À Brive par exemple, même si aucune fermeture de service n’est pour l’heure envisagée, on reste très attentif à l’évolution de la situation. Une réunion doit avoir lieu ce mardi avec l’Agence Régionale de Santé de Corrèze.

Préoccupation dans les hôpitaux de proximité

À Saint-Yrieix-la-Perche, en Haute-Vienne, on se prépare à l’échéance avec une inquiétude mesurée. Dans cet hôpital de proximité, seul le service des urgences peut être impacté. "La situation est gérée pour le printemps", selon le docteur Jean-Baptiste Fargeas, président de la commission médicale d’établissement. Pour la suite, difficile de faire des prévisions, cela dépendra de la durée d’un éventuel bras de fer avec les intérimaires.

Actuellement, 20 % de l’activité médicale de cet hôpital est assurée avec de l’intérim, par des médecins souvent "fidélisés". Jean-Baptiste Fargeas explique : "Ils sont indispensables à certaines périodes. Habituellement, les plannings d’été sont couverts par les intérimaires." Il reconnaît qu’un problème de rémunération peut se poser à certaines dates où "les enchères commencent à monter" : 15 août, Noël et jour de l’an.

Autre exemple : l’hôpital d'Ussel, en Corrèze, a également anticipé d'éventuelles difficultés pour boucler les plannings du mois d’avril. Mais là aussi, la situation est fragile, et une fermeture ponctuelle des urgences n’est pas exclue s’il n’y a pas de médecin. On note les mêmes dates critiques qu'à Saint-Yrieix.

650 euros pour 12 h

Combien gagnent vraiment ces intérimaires ? Un médecin intérimaire du Limousin dévoile sa rémunération : 650 euros pour 12 h, et donc 1 300 pour 24 heures de suite. C’est au-dessus du plafond, mais très loin des 2 ou 3 000 euros parfois évoqués, "et il faut déduire l’assurance de responsabilité professionnelle, les congés ou la prévoyance en cas d’arrêt-maladie. Ce n’est pas pris en charge par l’hôpital", précise-t-il.

Ce médecin ne se considère pas comme un mercenaire : "Nous allons là où personne ne veut aller, au moment où personne ne veut y aller". Enfin, la motivation pour exercer comme intérimaire n’est pas financière : "A l’hôpital, les médecins sont souvent considérés comme des pions. Les intérimaires choisissent au moins leur case."

Le directeur des affaires médicales du CHU rappelle, de son côté, que pour gagner en attractivité, les rémunérations des praticiens hospitaliers ont récemment augmenté, avec, par exemple, une prime de fidélisation pour les jeunes médecins ou une prime de solidarité pour ceux qui vont aider des établissements en difficultés : "Sur des plages déterminées, des praticiens peuvent atteindre le plafond de l’intérim."

"On ne veut pas inquiéter les gens pour rien"

Le directeur de l’Agence Régionale de Santé de Nouvelle-Aquitaine, Benoît Elleboode, mobilise actuellement ses services pour prendre le virage.

Concrètement, une cartographie "évolutive" est mise en place pour repérer les endroits où travaillent les intérimaires payés au-dessus du plafond. L’ARS demande aux centres hospitaliers où en sont leurs plannings d’avril, et un point de situation devrait être rendu public dans les prochains jours.

Mais Benoît Elleboode se veut rassurant : "Au fur et à mesure qu’on approche de la date, les intérimaires semblent accepter les nouvelles conditions. La réalité, c’est que ça se passe mieux que je le pensais. On ne veut pas inquiéter les gens pour rien."

Reste une équation à deux inconnues. D’abord, quel sera le nombre de médecins intérimaires qui, au moins dans un premier temps, refuseront de renforcer l’hôpital public. Ensuite, s'ils restent ou reviennent, quelle sera leur nouvelle attitude concernant leur lieu d’affectation ou la durée de leurs contrats. Difficile de répondre simplement, car les profils des médecins intérimaires sont nombreux et variés, du jeune médecin qui souhaite privilégier sa qualité de vie au médecin retraité qui veut conserver une activité. Benoit Elleboode résume : "Il y a deux phases dans l’application. D’abord, à chaud, il faut faire face à la résistance de certains intérimaires. Ensuite, envisager leur comportement dans la durée."

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